« Cette loi isolera les prostituées »

« Cette loi isolera les prostituées »

« Cette loi isolera les prostituées »

« Cette loi isolera les prostituées »

8 avril 2011

A la clôture de la mission d'information sur la prostitution en France, Roselyne Bachelot se déclarait favorable, le 30 mars dernier, à la pénalisation des clients des prostituées. La mesure devrait être adoptée dans le cadre d'un texte de loi qui serait proposé en 2012 et que la ministre des Solidarités et de la cohésion sociale soutiendra.
Citazine a demandé au Strass, le syndicat des travailleurs sexuels, quelle était sa position quant à ces déclarations. Maria, travailleuse sexuelle à Grenoble et secrétaire générale du Strass, dénonce la pénalisation des clients.

Le Strass est contre la pénalisation des clients de prostituées. Pourquoi ?

Nous sommes contre parce que cette disposition est dangereuse pour le respect des libertés individuelles. L’Etat n’a pas à interdire à ses citoyens d’être client ou non de prostituées. Surtout, qu’il s’agit là encore d’une logique de classe sociale.
Par ailleurs, cette loi aura les mêmes effets que la loi LSI (Loi sur la sécurité intérieure adoptées en 2003, NDLR) concernant le racolage passif. Elle isolera les prostituées. Il va encore falloir aller se cacher dans des endroits reculés et non sécurisés, ce qui met toujours davantage en danger les prostituées. La loi ne diminuera pas la prostitution mais poussera seulement à se cacher.
Ce qui, de plus, signifie souvent une baisse des revenus. On peut alors s’attendre à davantage d’exposition au MST et VIH.

Pourquoi ?

On constate que lorsque les prostitués et clients sont davantage sous la pression, on ne prend pas forcément le temps de négocier le port du préservatif, par exemple. Le risque d’arrestation mène souvent à adopter des comportements plus dangereux.
La pénalisation peut entraîner, par ailleurs, une baisse des clients. Les prostituées sont alors amenées à accepter de prendre des risques pour gagner plus d’argent et compenser la baisse de revenus.

Vous parliez de la logique de classe sociale. Que vouliez-vous dire ?

Quel type de client va être condamné avec une telle mesure ? Certainement pas des ministres qui ont des escortes personnelles à 5000 euros, mais le pauvre petit mec qui va voir sa pute une fois par mois pour oublier un peu sa vie de merde. Les précaires seront condamnés, pas les escortes de luxe ou les plus riches.

Tout de même, punir les clients pourrait aider à lutter contre la prostitution subie ?

Au contraire ! Plus les prostituées devront se cacher, plus il sera difficile de repérer les réseaux et venir à bout de l’esclavage sexuel. En plus, isolées, les associations qui circulent en ville, à la rencontre de prostituées, seront encore moins en contact avec elles. Elles font leur tournée et proposent aux prostituées un café, des capotes, ou seulement du contact. Comment pourra-t-on les trouver si elles sont cachées ? Et un client stressé, le sera-t-il parce qu’il est vraiment louche ou parce qu’il a peur des flics ? Je le répète, se cacher est toujours plus dangereux pour les prostituées.

Roselyne Bachelot prend pour exemple la Suède…

Madame Bachelot parle du « beau modèle » suédois, le premier pays à pénaliser les clients et à véritablement appliquer une politique abolitionniste envers la prostitution. En effet, dans les centres-villes, on ne voit plus aucune pute. C’est très joli et ça plaît aux touristes. Mais les réseaux ont largement augmenté puisque les filles ont peur et se mettent plus facilement sous la protection d’un mac. Des prostituées étrangères sont aussi arrivées (sous la houlette de ces nouveaux réseaux qu’elles intègrent à leur arrivée dans le pays, NDLR).

Distinguer la prostitution subie et la prostitution choisie

Que faudrait-il faire pour enrayer la prostitution subie ?

Il faudrait que la loi fasse la distinction entre le travail du sexe choisi et libre, comme n’importe quel travail, et l’esclavage sexuel ! La justice perd un temps fou à arrêter et à faire des procès à des gens qui sont très heureux. Donc s’ils arrêtaient de gaspiller de l’énergie avec des travailleurs du sexe qui ont choisi ce travail, ils pourraient avoir plus de temps pour éradiquer les réseaux de traite d’êtres humains.
On attend aussi que la notion de proxénétisme soit plus réaliste. Aujourd’hui, la loi considère comme proxénète, toute personne qui aide une prostituée ou toute personne qui profite des revenus d’une prostituée. Alors qui peut être proxénète ? Le conjoint d’une prostituée, ou une de ses copines qui l’accompagne dans la rue peut tomber pour proxénétisme. Comme le véritable proxénète qui pousse les filles dans la rue. Il faut faire des distinctions !

Le Strass a été créé en 2009. Depuis sa création, constatez-vous des avancées ?

La principale évolution est le fait qu’on commence à avoir du poids dans les débats. Quand il se passe quelque chose, on nous contacte alors qu’avant, on ne contactait que l’Amicale du Nid. Ils font des choses très bien mais veulent abolir la prostitution et ne différencient pas la prostitution subie à la prostitution libre. Le gouvernement sait aussi qu’on existe et nous demande désormais notre avis à chaque fois que cela s’impose. Mais bien sûr, ils nous consultent pour la forme, pour ne pas s’entendre dire : « Vous faites un truc sur la prostitution et vous ne contactez même pas le syndicat des putes ! ». Mais jamais ils ne prennent en compte ce qu’on leur dit.

Que voulez-vous dire à la ministre ?

Je lui rappellerai ce qui vient d’être dit. Elle a tout de même été ministre de la Santé ! Elle tenait une pharmacie ! La santé des citoyens est tout de même une chose qui devrait lui tenir particulièrement à cœur. C’est elle qui a dit que la lutte contre le VIH serait un des points d’honneur de sa politique, notamment en permettant d’assurer de meilleures conditions de travail aux travailleurs du sexe. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le possible retour des maisons closes a également été abordé mais pas retenu. Quelle est votre position à ce sujet ?

On est totalement contre la maison close puisque cela signifierait un contrôle total de l’Etat sur le travail sexuel, puisqu’il s’agirait de la prostitution autorisée. Et avec les maisons closes, la seule légalité sera celle de l’enfermement, là où on ne sait pas ce qui se passe. Encore une fois, il était question de pousser les prostituées à se cacher.