On le rencontre peu avant le vernissage de sa première exposition. Est-il angoissé ? « Ha non, pas du tout. Mais vraiment pas du tout. » Est-il content ? « Oui, je suis content ». Très souriant, treillis camouflage, chemise blanche, cravate, veste anthracite, logo du métro londonien cousu sur la poche gauche, Thom Thom est détendu. Depuis l’année 2000, armé de son cutter, « j’en ai toujours un dans la poche, c’est plus facile que d’enlever les affiches du Front national avec des clés », il s’en prend aux affiches quatre mètres par trois sur les panneaux publicitaires. Sa technique, l’échantillonisme, dont il publie le manifeste dans les petites annonces de Libération en mars 2000. Il attaque, pour la première fois, en avril de la même année, rue Oberkampf. Il coupe, découpe, creuse, taille et cisèle en dentelle. Il détourne aussi. Le travail est minutieux et de longue haleine.
Dans la rue, au grand jour
Pour les panneaux gigantesques, il lui faut quatre à cinq jours de travail de 8 heures à 18 heures. Ensuite, il faut plier les gaules, les forces de l’ordre apprécient moins l’art, la nuit. Pourquoi cette première attaque ? « C’était le lancement de Noos. Partout, il y avait des affiches, c’était trop ».
Thom Thom – il a dû ajouter les "h" pour ne pas s’appeler comme une célèbre marque – dénonce la laideur d’une publicité omniprésente. « La laideur de certaine pub me déprime. » Et il doit bien l’avouer, cette publicité tant décriée lui offre des possibilités formidables et l’inspire, passée la déprime. « Sa destruction m’inspire, mais aussi ses couleurs. Je me considère comme un coloriste et la pub offre une palette beaucoup plus large que celle des bombes de peinture. Les couleurs sont putassières, clinquantes, claquantes, mais offrent une grande variété. J’ai vraiment le plaisir de la couleur. »
Le résultat est étonnant, prodigieux de minutie et de précision. A 38 ans, il a acquis une dextérité remarquable. « C’est ni plus ni moins l’expérience d’un ouvrier ou d’un artisan, qui exerce la même technique pendant dix ans. On s’améliore. »
Un spot sous surveillance
Lorsqu’il aperçoit un panneau, est-il capable d’imaginer un rendu ? Parce que les couches se superposent, une pub en cachant une autre. « C’est comme une radiographie. On ne s’étonne pas de trouver un foie sous la peau du ventre. Là, c’est pareil. Si je découpe un visage je sais que je vais encore trouver des choses intéressantes en dessous. Parce que les publicitaires ne mettent pas les éléments n’importe où ! » Et puis, il travaille toujours au même endroit. Ce panneau, au croisement de la rue Amelot et de la rue Saint-Sébastien à Paris, c’est son spot. Il garde toujours un œil bleu foncé sur les nouvelles affiches collées ; ainsi, pas de surprise.
Thomas Schmitt a d’abord pensé au cinéma. Mais en sortant de l’école Louis Lumière, il se trouve confronter à des réalités financières qui stoppent, dans l’œuf, sa carrière. Après deux courts métrages, fini le cinéma, il descend dans la rue. Mais ces premières amours pelliculaires, il les retrouve dans ses escapades urbaines. « Pour ces deux domaines, la notion du cadre est très importante. Et je travaille image par image, photogramme par photogramme. C’est du cinéma expérimental que je fais dans la rue ! »
D’ailleurs, le cinéma expérimental, il l’enseigne à l’Eicar (Ecole de cinéma, audiovisuel et école de réalisation) et remplit son frigo. « Je suis aussi l’un des spécialistes mondiaux du vidéo clip. », glisse-t-il sans s’attarder. Ce rouquin de 38 ans, aux allures d’ado vite poussé, tantôt docte, tantôt facétieux – ce n’est pas peu fier qu’il déclare avoir rédigé la page Art Urbain de Wikipédia – croise la route de Jean Faucheur, rue Oberkampf, en 2001. Le deuxième voit le premier à l’œuvre, l’entreprend, les deux se trouvent du charme. « Tous les deux, on prend la publicité en sandwich. L’un colle, l’autre découpe. L’un est iconodule, l’autre est iconoclaste ».
Avec Jean Faucheur, il fait le M.U.R
Ensemble, au bout de six ans de patience et ténacité, ils fondent l’association le M.U.R. (Modulable Urbain Réactif), en 2007. Elle permet à des artistes d’investir, chacun leur tour, la situation de la rue Oberkampf, premier spot de Thom Thom. Bien sûr, on pense à Jacques Villeglé, qu’il évoque avec passion. « Je ne suis pas allé voir sa rétrospective au Centre Pompidou. Je serais resté au lit pendant un mois ! Villéglé me parle et me touche tellement ! Je ne peux qu’en voir une de temps en temps, il me bouleverse beaucoup trop. » Etonnant d’imaginer ce visage sympathique et affable, prostré au fond d’un lit parce que trop bouleversé, lui qui affiche une décontraction de rigueur. – Vous êtes un hypersensible en fait ? – Pour certaines choses, oui.
L’art urbain est éphémère, par essence. Le travail de Thom Thom l’est encore plus, sans cesse recouvert par de nouvelles réclames. Aujourd’hui, le voici exposé dans une galerie, n’est-ce pas contradictoire ? « Mon attitude a changé quand j’ai rencontré des collectionneurs. Pour l’expo Né dans la rue, Graffiti, à la Fondation Cartier. J’ai eu mon panneau quatre mètres par trois. Je collais moi-même mes affiches et les découpais dans la journée. Je découpais des morceaux. Un petit noyau dur de collectionneurs que je connais m’a demandé de les maroufler sur une toile. »
Désormais, il va dans cette direction. S’il peut échantillonner une partie de l’affiche pour la conserver, il le fait. Pas d’états d’âme jusqu’au-boutistes, du type l’art urbain doit rester dans la rue.
Le quatre par trois, ses favoris
Pour cette première expo, Thom Thom n’est pas dans le gigantisme sur lequel il travaille habituellement. Les formats sont plus petits. « Ce sont des affiches que j’ai récupérées dans le métro où il est hors de question de travailler. Le geste n’est pas le même que sur les panneaux ». Ce qu’il aimerait vraiment, c’est travailler chez lui sur du quatre par trois, grimpé sur son escabeau, cutter menaçant, et attaquer l’affiche. C’est peut-être en bonne voie, avec cette exposition.
On quitte Thom Thom, adossé à une barrière du trottoir. Il affiche toujours le même sourire engageant. Le vernissage a débuté mais lui est dehors.
> L’exposition Echantillons est organisée par la galerie MathGoth, exclusivement en ligne et spécialisée dans l’art urbain, jusqu’au 29 mai à l’espace In My Room. 32, rue Rodier, Paris IX.
> Retrouvez le portrait de Jean Faucheur, figure emblématique du Street Art et aimable fumeur de pipe.