« Belle », métavers pas solitaire

« Belle », métavers pas solitaire

« Belle », métavers pas solitaire

« Belle », métavers pas solitaire

Au cinéma le 29 décembre 2021

Adolescente timide, Suzu vit avec son père dans une petite ville de montagne. Mais, dans le monde virtuel de U, Suzu devient Belle, une icône musicale. Relecture moderne du célèbre conte, Belle nous entraîne de l'autre côté du miroir numérique, dans le monde vertigineux du métavers. Sublimée par des visuels spectaculaires, cette quête d'identité épique plaide pour la préservation d'un îlot d'humanité au sein d'un océan de virtualité. Magistral.

Dans la vie réelle, Suzu est une adolescente complexée vivant avec son père dans une petite ville coincée dans la montagne. Mais, au sein du monde virtuel de U, Suzu devient Belle, une chanteuse charismatique qui envoûte les foules. Son avatar devient rapidement une icône musicale suivie par plus de 5 milliards de followers.

Cette double vie difficile à gérer pour la discrète Suzu prend un tournant inattendu lorsque Belle rencontre la Bête, une créature aussi fascinante qu’effrayante. Camouflé derrière son aspect d’animal fantastique, cet avatar mystérieux s’est mis en tête de semer le trouble au sein du monde numérique de U.

Belle engage un chassé-croisé virtuel avec la Bête pour découvrir qui se cache derrière cet avatar intriguant. Une quête épique qui va l’amener à se découvrir elle-même.

Belle © 2021 STUDIO CHIZU

Familles, je vous créé

Avec Belle, Mamoru Hosoda démontre une nouvelle fois à quel point le thème de la famille est indissociable de son œuvre. Depuis ses débuts, le cinéaste s’inspire en effet de ses proches pour donner vie à ses personnages animés.

Ainsi Les enfants loups, Ame & Yuki (2012) était un hommage poignant à sa mère et Le Garçon et la Bête (2016) – lire notre critique -, une réflexion sur l’évolution d’un jeune garçon, inspiré par son fils. Plus récemment, Miraï, ma petite sœur (2018) – lire notre critique – explorait avec une poésie folle l’immanence du lien familial.

Cette fois-ci, le réalisateur a trouvé l’inspiration en se projetant dans un avenir proche. Le personnage de Suzu/Belle est une transposition de la fille du cinéaste. Il anticipe son évolution en tant qu’adolescente face à l’univers virtuel du métavers dans lequel elle sera naturellement plongée.

Belle © 2021 STUDIO CHIZU

Le rêve devenant réalité, virtuelle

Cette adaptation du célèbre conte français de La Belle et la Bête dans un univers virtuel est un projet de longue date pour Mamoru Hosoda. Grâce au succès de ses films précédents, il a enfin pu créer cet univers foisonnant dans lequel son héroïne peut aussi bien se perdre que se révéler.

Pour réussir ce tour de force visuel, le cinéaste a pu compter sur Chizu, le studio qu’il a cofondé en 2011 avec Yuichiro Saito. Avec le Studio Ghibli, ce studio d’animation dont le nom signifie « carte » en japonais est le seul entièrement consacré au Japon à son réalisateur emblématique.

Pour l’occasion, l’équipe du studio s’est étoffée de talents étrangers venus apporter leur contribution à cet univers vertigineux. Visuellement exubérant, le monde virtuel de U imaginé par Hosoda est étourdissant. Sa frénésie permanente incarne le danger latent d’une perte de contrôle qui menace Belle.

Belle © 2021 STUDIO CHIZU

Retour dans la matrice

Avec ce thème d’un méta-univers numérique, Mamoru Hosoda revient à ce monde virtuel déjà exploré avec brio au début de sa carrière. Dans Summer Wars (2009), l’interface irréel s’appelait alors OZ et ses avatars étaient menacés par un virus destructeur.

Ce premier film « geek » familial imposait un regard nouveau alors que l’interconnexion permanente et l’instantanéité des smartphones s’installaient définitivement dans nos vies. Depuis, ce monde virtuel perfectionné de façon impressionnante dans les jeux vidéo est sur le point de s’immiscer plus intimement encore dans notre quotidien.

Désormais, fini de jouer. Le métavers souhaite s’immiscer dans ce qui était jusqu’à présent l’apanage de la vraie vie. Dans ce nouveau monde, l’avatar n’est plus un personnage ludique que l’on incarne temporairement mais le prolongement virtuel de soi-même. Au risque de perdre pied ?

Belle © 2021 STUDIO CHIZU

Vie-rtuel

Promesse technique passionnante, le métavers pose également question alors que certains troubles psychiatriques liés à l’usage d’Internet commencent à être mieux connus. Le taux de suicides d’adolescents utilisateurs d’Instagram notamment devrait être un sujet analysé de près même si les sociétés mises en cause s’en défendent.

Sans diaboliser a priori les avancées promises par le métavers, l’arrivée de ce monde virtuel mérite réflexion. D’autant plus si, comme c’est le cas actuellement, seules les règles du marché sont amenées à réguler son fonctionnement. Le changement de nom de Facebook en Meta pour assumer pleinement son envie de mettre la main sur ce nouveau monde virtuel n’augure rien de bon.

Avec ses visuels époustouflants et les envolées lyriques de sa musique, Belle offre un aperçu grisant de ce qui nous attend. Un monde sans limite où une adolescente timide protégée derrière un avatar peut devenir une star suivie par des milliards de personnes.

Belle © 2021 STUDIO CHIZU

En métavers et contre tous ?

Si Summer Wars interrogeait avec une prescience remarquable la stabilité de la cellule familiale face au bouleversement technologique, Belle pose un constat plus global face à l’emprise envahissante du virtuel dans nos vies.

L’arrivée du métavers pourrait venir déstabiliser un équilibre déjà précaire pour beaucoup d’utilisateurs d’Internet. Sincèrement fasciné par les possibilités de connexion offertes par Internet, Mamoru Hosoda espère que la jeune génération saura utiliser cet outil pour « changer le monde de façon positive et ludique » selon ses propres mots.

Équilibré, Belle n’est pas une charge réactionnaire opposée par principe au changement. Mais le cinéaste est toutefois conscient des effets pervers d’un Internet qui isole et permet la haine en valorisant la désinformation. Un phénomène qui pourrait prendre des proportions difficilement contrôlables au sein d’un métavers sans aucune règle.

Belle © 2021 STUDIO CHIZU

Le fait que Suzu soit une adolescente mal dans sa peau – un quasi pléonasme à cette période – n’est évidemment pas un hasard. La solitude et le dénigrement personnel face à une image virtuelle améliorée de soi-même plane sur cette habile relecture d’un classique.

L’appel de la Bête

Dans cette version moderne de La Belle et la Bête où le virtuel remplace le fantastique, Mamoru Hosoda est dans son élément avec le personnage de la Bête. Que ça soit dans Les enfants loups, Ame & Yuki ou encore Le Garçon et la Bête, le réalisateur aime explorer le mal-être et sa violence intrinsèque à travers des personnages tiraillés entre l’homme et l’animal.

Personnage effrayant, la Bête incarne une agressivité envers les autres avatars qui interroge. Devant ce comportement énigmatique, Belle décide de découvrir qui se cache derrière sa fureur. Au cœur du film, cette enquête entre réalité et virtuel permet au cinéaste de livrer un regard lucide mais surtout plein d’espoir sur l’évolution de ces mondes virtuels.

Belle © 2021 STUDIO CHIZU

Human after all

Malgré l’évolution fulgurante des outils numériques, Mamoru Hosoda espère que certains fondamentaux de l’existence humaine perdureront. On retrouve ici l’idée d’un héritage qui se transmet de génération en génération déjà présent de façon magique dans Mirai, ma petite sœur.

La quête de Belle pour savoir qui se cache derrière l’avatar de la Bête épouse l’esprit du conte originel avec cette fois-ci le masque de l’identité numérique en guise de costume aliénant.

Avec Belle, Mamoru Hosoda plaide pour un univers virtuel devant prendre en compte la réalité des âmes qui le peuplent : des êtres humains avec leurs failles mais aussi une capacité universelle à l’empathie.

Belle © 2021 STUDIO CHIZU

Le cinéaste rejoint sur ce point le souhait exprimé par Steven Spielberg dans Ready Player One (2018) – lire notre critique – de ne jamais perdre de vue la réalité. Reste à savoir si le code des futurs métavers prendra en compte la sensibilité obstinément humaine de leurs utilisateurs.

Magnifique réinterprétation du célèbre conte, Belle nous plonge dans un monde fascinant aux possibilités infinies. Tout le génie de Mamoru Hosoda consiste à ne pas nous perdre dans cette immensité et à faire émerger une humanité salvatrice au sein d’un virtuel vertigineux. Espérons que l’avenir se calera sur sa vision d’une virtualité sensible.

Belle (Ryû to sobakasu no hime), réalisé par Mamoru Hosoda, Japon, 2021 (2h02)

Belle (Ryû to sobakasu no hime)

Date de sortie
29 décembre 2021
Durée
2h02
Réalisé par
Mamoru Hosoda
Avec
Kaho Nakamura, Takeru Satoh, Kōji Yakusho, Lilas Ikuta, Ryō Narita
Pays
Japon