Au-delà de l’euthanasie

Au-delà de l’euthanasie

Au-delà de l’euthanasie

Au-delà de l’euthanasie

17 août 2011

L'affaire de Bayonne et les actes du docteur Bonnemaison, soupçonné d'avoir provoqué la mort de quatre personnes âgées, ont relancé le débat habituel "pour ou contre l'euthanasie" et plus généralement celui de la fin de vie. Citazine fait le point avec docteur Benoît Burucoa du CHU de Bordeaux. Entretien.

Mise en examen pour « empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables » ! Le 12 août, le docteur Nicolas Bonnemaison, responsable de l’unité d’hospitalisation de court séjour à hôpital de Bayonne, fait la une des médias. Le médecin urgentiste est soupçonné d’avoir provoqué, entre avril et août, le décès de quatre patients âgés. Un geste, des faits qui ont relancé le débat animé et passionné du "pour ou contre" l’euthanasie.

Citazine s’est demandé ce qui existait concrètement pour les personnes malades en fin de vie. Depuis la fin des années 1980, avec une nette accélération dans les années 2000, la France s’est dotée de structures spécialisées proposant des soins palliatifs aux patient en fin de vie. Qu’offrent ces unités de soins palliatifs (USP) aux personnes atteintes de maladies graves, évolutives ou terminales ?
Parallèlement à ces soins et à cet accompagnement, la loi "Droits des malades et fin de vie" de 2005 (dite loi Leonetti) interdit, pour la première fois en France, "l’obstination déraisonnable", aussi appelée acharnement thérapeutique. Est-ce suffisant, à l’heure actuelle, pour répondre aux demandes d’euthanasie des patients ?
Entretien avec le docteur Benoît Burucoa, chef du service d’accompagnement et de soins palliatifs au CHU de Bordeaux.

Quel est votre sentiment sur l’affaire de Bayonne ?

D’abord, il faut être extrêmement prudent, comme à chaque fois dans ces affaires médiatisées et sensibles. Prudent sur les faits eux-mêmes puisqu’une enquête est en cours. En tant que responsable de structures de soins palliatifs, nous n’avons aucun jugement à porter. Eventuellement une appréciation sur des faits lorsqu’ils seront connus, mais pas de jugement sur un confrère. Il ne s’agit pas de le protéger. Ce n’est pas notre rôle, c’est tout.
Ensuite, ce médecin qui est apprécié pour son travail, son sérieux, ses qualités humaines, est accusé d’actes qui sont vraiment graves. Et on ne peut pas les éluder. Il faudrait également en savoir plus sur les personnes concernées, ce qu’elles vivaient, de quoi elles souffraient. Est-ce qu’elles étaient demandeuses pour qu’on abrège leur vie et leurs souffrances. Enfin, et c’est ce que je retiens, c’est que cela concerne des personnes âgées. La fin de vie des personnes âgées qui arrivent aux urgences est un vrai problème de santé publique. Leur nombre ne cesse d’augmenter, tout comme le nombre de personnes âgées qui meurent dans ces services. C’est une question d’adaptation des structures de soins : comment anticiper les urgences palliatives de ces personnes, leur accompagnement et leurs soins. Mais c’est un autre problème.

Concrètement, que recouvrent les soins palliatifs ?

Les soins palliatifs démarrent à partir du moment où la guérison n’est plus possible : dans le cas de maladies cancéreuses mais pas uniquement (sida déclaré, AVC avec séquelles graves irréversibles). J’explique aux personnes arrivant dans une unité de soins palliatifs et à leur famille que "palliatif" ne veut pas dire "terminal". Le grand public ont peur des termes "soins palliatifs" car il entend soins terminaux. Les soins palliatifs, c’est d’abord le soulagement : on doit tout faire pour soulager physiquement le patient. Cela comprend bien sûr, la douleur. Mais il y a aussi beaucoup d’autres souffrances physiques qui peuvent survenir : atteinte cutanée, constipation grave, essoufflement majeur, vomissements. Les soins palliatifs vont soulager l’ensemble des symptômes, au premier rang desquels, la douleur.
Ensuite, il y a l’apaisement. On se réfère ici à la dimension psychologique (anxiété, dépression) et existentielle (être accompagné par ses proches, avoir une place dans la société). Il faut tout faire pour que la personne malade soit apaisée, ce qui ne veut pas dire qu’elle est tout le temps en paix : les soins palliatifs ne prétendent pas gommer la souffrance. Il n’y a pas de réponse à toutes les souffrances. Il faut au moins que cet apaisement puisse survenir par moment, et que la vie reste supportable aux yeux de la personne concernée.
Soins palliatifs signifie aussi personnalisation : c’est un individu en particulier que l’on va soigner et accompagner. Il est considéré pour lui même. Il fait l’objet d’attentions particulières. Il faut écouter ses volontés, ses attentes. Nous devons personnaliser le projet de soins. Enfin, l’accompagnement signifie toujours la prise en compte et le soutien des proches, pour eux-même, mais aussi essentiellement pour le bienfait du patient. Le malade, vulnérable, a encore plus besoin de ses proches et il doit pouvoir compter dessus.

« Evaluer les douleurs, adapter les médicaments »

La prise en compte de la douleur est-elle donc l’axe central des soins palliatifs pour pouvoir soulager et apaiser le patient ?

Ce n’est pas si simple. Souvent, une personne en phase avancée connaît plusieurs douleurs : pour un cancer, un même patient peut souffrir du foi (métastase), des os (métastase), de la peau (escarre), de la bouche (sécheresse, mycose). Plus la maladie évolue, plus les douleurs sont multiples. Le symptôme de la douleur est central dans la prise en compte d’une personne relevant des soins palliatifs. Central mais pas exclusif car la douleur s’associe à bien d’autres symptômes (fatigue, régression physique, nausée, gène respiratoire, insomnie). Ce que l’on sait, c’est qu’une personne qui souffre de douleurs intenses, mal ou peu soulagée, va être totalement envahie dans sa vie, dans toutes ses composantes (psychologique, sociale, familiale, existentielle) : elle ne pourra même plus être en relation avec son entourage.
Quand un patient est admis dans une USP, les soignants demandent tout de suite quelles sont les douleurs physiques. On évalue alors les douleurs, on tente d’en comprendre les mécanismes et d’adapter les médicaments. Mais sans dissocier les douleurs des souffrances psychologiques et morales. C’est très important, car l’une renforce l’autre.

 

Apaiser les souffrances pour ne plus qu’elles soient un motif de demande d’euthanasie de la part du patient ?

Dans une unité de soins palliatifs, on va pouvoir soulager l’immense majorité des douleurs et les rendre supportables aux yeux du patient. Ca veut dire qu’il reste des situations très complexes, par exemple quand les nerfs sont atteints. On va arriver à soulager la douleur, mais on doit faire face à deux problèmes : les effets indésirables des médicaments (somnolences partielles, fatigue induite), et les accès douloureux paroxystiques[fn]Exacerbation transitoire de la douleur chez des patients ayant par ailleurs un fond douloureux chronique stable, bien contrôlé par opioïdes.[/fn]. Là, on a encore des progrès à faire, c’est certain.
Il est vrai que l’on rencontre encore des situations de personnes qui sont mal soulagées, avec des douleurs physiques qui deviennent insupportables. Ces personnes peuvent être amenées à demander à être dégagées de ces douleurs, donc à souhaiter la mort. Cela existe encore, mais moins qu’autrefois, on a progressé dans le domaine de la lutte contre la douleur. J’appelle cela des "demandes chaudes d’euthanasie", c’est-à-dire qu’il y a une souffrance très actuelle. Et cette souffrance, on doit pouvoir la soulager pour que la personne se retrouve rapidement dans un état supportable, que sa vie lui paraisse acceptable donc qu’elle souhaite continuer à vivre. Une fois soulagée, il y aura un regain de vitalité. Mais les soins palliatifs ne résolvent pas toutes les situations. En cas de "demandes froides d’euthanasie" par exemple.

Qu’entendez-vous par "demandes

froides

d’euthanasie" ?

C’est très peu fréquent. Ce sont souvent des personnes atteintes de pathologies chroniques pour lesquelles les symptômes et douleurs sont assez bien soulagés. Elles souhaitent que leur vie s’arrête à partir du moment où elles savent qu’elles vont mourir d’une maladie et qu’elles n’acceptent pas certaines conditions de vie ; elles n’acceptent pas de se voir dégrader, elles veulent avoir accès à la provocation de leur mort. Là, on est dans une logique qui paraît implacable : c’est l’attitude existentielle d’une personne. Cette personne revendique son choix, au nom de sa liberté individuelle. Sa demande est raisonnée, construite.
Elle va demander à un professionnel de l’aide pour mourir par injection ou absorption orale de médicaments. On est ici dans un cas d’euthanasie où la personne est aidée à mourir : soit dans le cadre du suicide assisté, soit dans le cas d’une euthanasie à la demande de la personne concernée, c’est-à-dire une euthanasie volontaire. C’est en fait la seule définition valable. Il faut bien comprendre cela. Quand on dit euthanasie, ça sous-entend la demande de la personne concernée qui estime que sa vie est insupportable : si elle est aidée par un tiers, on appelle ça un acte d’euthanasie. Si elle a accès à des moyens pour se suicider, c’est un suicide assisté. En France, l’euthanasie comme le suicide assisté relèvent du droit pénal. Le code pénal français pose une limite, celle de l’interdit de provoquer intentionnellement la mort d’autrui.
Nous, acteurs des soins palliatifs, nous sommes contre l’acte d’euthanasie car la vie d’un être humain doit être respectée, car il est possible de rendre supportables les pires souffrances imaginables. Mais nous reprenons à notre compte la loi Leonetti pour adapter et proportionner les soins, pour éviter des traitement futiles. Pour éviter l’obstination déraisonnable.

Comment réagir face à une demande d’euthanasie ?

La question de l’euthanasie rapportée à une situation clinique est vitale pour nous, professionnels. Nous devons vraiment entendre la demande d’euthanasie mais aussi toutes les nuances que cette personne exprime autour de cette demande. Pour moi, la vraie demande d’euthanasie, c’est « faites-moi une piqure qui provoque ma mort parce que je souffre ou parce que je crains de souffrir ». Mais la plupart du temps, ce n’est pas ça que j’entends. Ce que j’entends très fréquemment, c’est plutôt « j’aspire à mourir parce que je ne supporte plus ma vie aujourd’hui ». Dans ce cas-là, on travaille, on soulage, on accompagne, on apaise et cette demande, que j’appelle "l’évocation de la mort-délivrance", elle s’estompe. Il est donc vital de tenir compte des attentes du patient, ses demandes, pour voir comment articuler le projet de soins et d’accompagnement. C’est un vrai dialogue avec toutes les personnes concernées.
Dans tous les cas, le médecin ne doit pas rester tout seul. Le travail en équipe est essentiel, la collégialité primordiale : un médecin, le plus compétent, le plus dévoué soit-il ne peut pas assurer ni assumer seul des situations aussi complexes, aussi lourdes de conséquences, que l’abstention ou la suspension d’un traitement. Des situations pour lesquelles, je le rappelle, nous ne sommes pas du tout dans un acte d’euthanasie, comme le permet la loi de 2005. A condition de respecter les conditions légales : traçabilité et double avis médical.

« La loi Leonetti est largement méconnue, même des professionnels »

La loi Leonetti répond-elle au problème de la fin de vie ? Est-elle suffisante ou faut-il la réformer ?

Cette loi, c’est celle des droits des malades et du droit à la fin de vie. Elle va très loin. Elle prévoit même de pouvoir arrêter l’alimentation voire l’hydratation d’un patient ! Elle va loin mais il faut la respecter : c’est une loi qui encadre la décision médicale en situation palliative, en fin de vie. Pour moi, ce n’est pas une loi qui est simplement contre l’acharnement thérapeutique. Cette loi apporte une réponse, ou en tout cas participer à la réponse des personnes qui demandent d’euthanasie. Pour répondre à une demande d’euthanasie, la loi ne suffit pas évidemment, il y a tout un travail à accomplir. Il faut s’engager avec le patient, la famille, l’équipe soignante et chercher ensemble des solutions au jour le jour. Par contre, pour moi, elle ne résout pas les cas de "demandes froides d’euthanasie", qui sont, il est vrai, exceptionnelles. Elles soulèvent davantage la problématique du suicide.

Pourquoi la loi Leonetti de 2005 n’est-elle pas davantage appliquée alors qu’elle est très précise sur la fin de vie ?

Parce qu’elle est très largement méconnue, même des professionnels de soins (infirmières libérales, médecins, psychologues). Le public non plus ne la connaît pas : plus de 70 % des personnes interrogées par la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs) n’ont jamais entendu parler de la loi sur la fin de vie. Cette loi évoque pourtant la notion de "personne de confiance" pour le malade et lui donne des droits (accès au dossier, droit à la décision, etc.). Ce qui est très rarement appliqué.
Je pense aussi que cette loi interroge en profondeur l’attitude du médecin et ses pratiques : consentement et information du sujet, travail avec les infirmières. Cela tombe sous le sens pour les bienfaits du patient et c’est cohérent d’agir ainsi mais cela modifie considérablement les comportements. Des comportements qui ne sont pas faciles à modifier.

Y a-t-il également une défaillance dans la formation médicale ?

Pour moi, la formation médicale n’a pas suffisamment suivi l’évolution des lois. La loi de 2005 est enseignée, mais peu de temps lui est consacré. Les étudiants connaissent rarement ses applications concrètes. Sauf à rencontrer un service où elle est appliquée, un atelier, etc. On est seulement en train de la diffuser. La loi est non seulement mal connue mais surtout très mal appliquée alors qu’elle est complète. Les pratiques de professionnels de santé ont évolué de manière inégale depuis son entrée en vigueur.

Selon vous, le débat sur la légalisation de l’euthanasie est-il stérile ou finalement utile ?

Pour moi, le débat sur cette question est nécessaire, indispensable. Mais médiatiquement, il est pipé pour au moins deux raisons. D’abord, en raison de la manière très concertée et programmée dont l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) se saisit d’une affaire médiatique, avec énormément d’émotion. Forcément, ce sont des situations terribles, sensibles, très affectives. Il y a toute une militance parfaitement orchestrée. Et je peux tout à fait le comprendre. Il faudrait aussi peut-être traduire ce qu’exprime cette militance, écouter pour comprendre.
De plus, la grande majorité des adhérents de l’ADMD, sont des personnes âgées de plus de 75 ans. Des personnes dans la dernière période de leur vie et qui ont peur de se retrouver avec un respirateur artificiel. Avec le débat sur la légalisation de l’euthanasie, ils entendent un écho à leurs angoisses d’être surmédicalisés. Justement, la loi Leonetti répond parfaitement à une partie de leurs attentes.
Il ne s’agit pas d’affronter, d’opposer les soins palliatifs et l’euthanasie, comme le font souvent les médias. L’euthanasie est un acte parmi d’autres, alors que les soins palliatifs sont un ensemble d’actes et d’attitudes, un projet de soins et d’accompagnement. La SFAP réunit environ 25 000 professionnels (médecins, infirmières, psychologues, kinésithérapeutes, aides-soignants, travailleurs sociaux, enseignants universitaires) et 200 associations d’accompagnement. Nous, nous ne sommes pas des militants : nous sommes pour les soins palliatifs. Nous sommes des acteurs des soins palliatifs.

 

Les chiffres, en France

107 unités de soins palliatifs (USP)

, soit 1176 lits au total. Ce sont des structures d’hospitalisation d’environ 10 lits accueillant, pour une durée limitée, les patients en soins palliatifs.
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353 équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP)

: ces membres interviennent comme consultants dans les différents services de soins sur demande du patient, de sa famille, des membres de l’équipe, du médecin du service, toujours après accord du chef de service.
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4800 lits identifiés en soins palliatifs

, situés au sein de service d’hospitalisation.
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124 réseaux de soins palliatifs à domicile

, permettant à toute personne en situation de soins palliatifs de choisir son lieu de vie et de fin de vie, en bénéficiant de soins de qualité.