« As bestas », la défaite des voisins

« As bestas », la défaite des voisins

« As bestas », la défaite des voisins

« As bestas », la défaite des voisins

Au cinéma le 20 juillet 2022

Installés dans un village de Galice, un couple de Français vivent de leur exploitation agricole. Mais leur projet de vie est perturbé par un conflit larvé qui les oppose à leurs voisins et conduit à l'irréparable. Thriller rural alimenté par une xénophobie instinctive, As bestas surprend en évoluant vers un drame familial explorant avec sobriété la résilience du deuil et un besoin obstiné de justice.

Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs), un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un hameau de Galice. Ils ont décidé de s’y installer pour vivre leur rêve : travailler la terre et vivre du fruit de leur récolte. En complément de leur travail à la ferme, ils restaurent des maisons abandonnées en espérant faciliter le repeuplement du village.

Cette vie paisible possède cependant une ombre au tableau. Leurs voisins, Xan (Luis Zahera) et son frère Lorenzo (Diego Anido), leur reprochent le blocage d’un projet d’installation d’éoliennes. Peu à peu, le conflit entre le couple et les deux frères s’envenime. Jusqu’au drame.

As bestas © photo ​​Lucia Faraig - Le Pacte

Deux en un

Adepte de l’ambiguïté, Rodrigo Sorogoyen aime développer des films qui bousculent les attentes du genre. En 2016, il propose avec Que Dios nos perdonelire notre critiqueun thriller sur fond de climat religieux oppressant à même de corrompre le duo d’inspecteurs censé le résoudre. Deux ans plus tard, il retrouve l’acteur Antonio de la Torre englué dans la corruption politique avec El reinolire notre critique. Là encore, le réalisateur appuie sur le côté humain de l’affaire pour déstabiliser notre jugement sur le personnage.

Pour ce nouveau projet, le cinéaste suit une nouvelle fois cette logique du décalage. Construit comme un thriller, As bestas est scindé en deux par le drame qui survient. Au lieu de considérer la tragédie comme le climax de son histoire, elle est utilisée comme tremplin pour raconter une autre histoire où la tension laisse place à un deuil lancinant.

As bestas © photo ​​Lucia Faraig - Le Pacte

L’injustice est dans le pré

À la base de ce nouveau film, le concept de justice. Rodrigo Sorogoyen et sa co-scénariste Isabel Peña ont construit les relations antagonistes des personnages autour de cette idée d’une justice qui n’est pas un concept immuable. Selon les points de vue et les intérêts de chacun, ce qui est considéré comme « juste » diffère.

Au fur et à mesure, le conflit qui oppose le couple de Français et leurs voisins se dévoile et met en lumière une conception de la justice radicalement opposée. La brouille trouve ses origines dans un projet d’implantation d’un parc d’éoliennes qui rapporterait un petit pécule à chaque habitant. De l’argent sur lequel comptent les deux frères mais qui reste bloqué par Antoine qui s’oppose au projet.

Sa prise de position est d’autant plus vécue comme une injustice par Xan et Lorenzo que le couple est une pièce rapportée au sein du village. La brouille est l’occasion de laisser cours à un repli sur soi inspiré par une méfiance naturelle envers ceux qui viennent de l’extérieur.

As bestas © photo ​​Lucia Faraig - Le Pacte

Droit du sol

Même s’ils sont installés depuis des années, Antoine et Olga sont encore considérés comme des étrangers par certains villageois. Au bar du village, Xan interpelle Antoine en le nommant « le Français » pour marquer une distance. Nés dans le village, les frères Anta n’acceptent pas que le couple puisse avoir leur mot à dire.

Au-delà du conflit sur les éoliennes, la xénophobie des deux frères se nourrit d’une défiance sociale envers un couple plus cultivé et considéré comme arrogant. Et leur projet consistant à retaper les maisons en ruines pour « sauver » le village n’arrange rien. En explorant les motivations intimes de chacun, Rodrigo Sorogoyen décrit habilement les méandres d’un conflit qui ne peut finir que par exploser.

Lorsque Antoine explique qu’il ne veut pas d’éoliennes « chez lui », les deux frères autochtones lui oppose une conception bien différente de l’appartenance au village. Au cœur du conflit, les règles démocratiques sont en jeu. Xan ne supporte pas que la voix d’un étranger puisse valoir autant que la sienne, lui qui est né sur ces terres.

As bestas © photo ​​Lucia Faraig - Le Pacte

Chute de tension

De petites mesquineries en actes d’intimidation, Xan et Lorenzo cherchent à faire craquer le couple en leur pourrissant la vie. Selon leur logique il ne peut y avoir qu’une seule solution au conflit : leur départ. Et peu importe les tentatives de désamorcer la querelle. La haine et la crainte s’installent, s’alimentant l’une et l’autre.

En explorant sans jugement les motivations de chacun, ce thriller agraire réalise une autopsie glaçante d’un conflit banal qui s’emballe sans que rien ne puisse permettre le retour à la normale. Mais cette tension qui monte progressivement vers une issue irrémédiable n’est pas le but ultime du cinéaste qui déroute les attentes comme à son habitude.

As bestas est ainsi très proche dans l’esprit de Madre (2020) – lire notre critique. Également inspiré du drame d’une disparition brutale, le cinéaste y utilise les codes du polar pour faire basculer très rapidement le film vers le portrait inquiétant d’une mère inconsolable.

As bestas © photo ​​Lucia Faraig - Le Pacte

All by myself

Après l’escalade de tension de la première partie, le thriller passe au second plan pour explorer le deuil et une détermination viscérale à rendre justice. Une justice dictée par la loi, indiscutable. Mais il est aussi question d’une justice plus personnelle, une réparation qui se veut salvatrice face à l’intolérable.

Le dénouement du film met ainsi en lumière les conséquences d’une disparition subite vécue comme une terrible injustice. Digne et taiseuse, Marina Foïs incarne avec brio par son jeu minimaliste une volonté à toute épreuve. Une détermination face au danger qui plonge sa propre fille (Marie Colomb) dans l’incompréhension.

Car le drame familial fait également remonter à la surface les rancœurs. Face à sa fille, Olga assume totalement les sacrifices faits et la part d’égoïsme pour vivre sa vie telle qu’elle l’entend. Si cette deuxième partie de film est déroutante pour son pas de côté face au thriller, elle offre un beau portrait d’une résilience combative et surprend par l’affirmation d’une individualité face au rôle de parent rarement associée au deuil.

As bestas © photo ​​Lucia Faraig - Le Pacte

Thriller terrien qui s’efface peu à peu pour laisser la place à un drame familial poignant, As bestas offre une séduisante complexité à ce qui pourrait n’être qu’un énième fait divers dans un journal local. L’exploration de l’après drame met en lumière une détermination absolue qui impose une résilience familiale face au deuil d’une originalité troublante.

> As bestas, réalisé par Rodrigo Sorogoyen, France – Espagne, 2022 (2h17)

As bestas

Date de sortie
20 juillet 2022
Durée
2h17
Réalisé par
Rodrigo Sorogoyen
Avec
Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera, Diego Anido, Marie Colomb
Pays
France - Espagne