« On ne fait pas la guerre aux majors »

« On ne fait pas la guerre aux majors »

« On ne fait pas la guerre aux majors »

« On ne fait pas la guerre aux majors »

14 janvier 2011

Fairplaylist est une voie alternative pour faire de la musique. L'association veut appliquer une économie éthique et solidaire à la production musicale. Loin de l'industrie, que connaissent bien les majors, la démarche vise à redonner sa place à l'artiste et à l'art. Gilles Mordant, cofondateur et directeur artistique de l'association, répond à Citazine.

Pourquoi et dans quelles circonstances l’idée de Fairplaylist est-elle née ?

Je suis musicien. J’étais à l’étranger durant un long séjour et je suis rentré en France au moment des grèves des intermittents du spectacle. En tant que musicien et citoyen, je me suis demandé comment je pouvais vivre dans la filière existante. Quelle était ma place ? Beaucoup de musiciens et moi avions de moins en moins notre place. J’ai voulu résoudre ce problème en créant un nouveau modèle, une nouvelle filière.

Le moteur initial est-il de faire en sorte que les artistes puissent vivre de leur art ?

Oui, mais cela concerne aussi le fait de réellement trouver sa place. C’est-à-dire trouver des lieux pour enregistrer, pour diffuser, pour donner des spectacles. Il est aussi important pour un artiste d’avoir des possibilités pour développer son art, ce qui n’existe presque plus dans le modèle actuel.

Vous parlez de « modèle actuel ». Concrètement, que reprochez-vous au système des grandes maisons de disques ?
Ce n’est pas forcément un reproche. Le système actuel est basé sur une consommation de musique, qui est souvent une surconsommation, comme le reste. La musique est devenue un produit qu’on écoute, qu’on jette. A la différence de ce modèle qui est industriel, nous voulons un modèle basé sur l’art, sur l’artisanat. Nous souhaitons une expression artistique et diversifiée. Que la diversité culturelle, et surtout l’accès à la diversité culturelle, soit possible.

Pensez-vous que de nombreux artistes feraient une musique différente s’ils ne devaient pas avant tout séduire les majors ?

Cette musique non formatée existe. De nombreuses artistes en font. Il se trouve que si on fait une chanson de plus de trois minutes, on est tout de suite hors du format de la radio. Premier problème. Cette musique existe mais il faut fédérer les gens qui travaillent à différents niveaux de la filière et qui, chacun dans leur coin, pensent la musique différemment que les majors.
Il s’agit de proposer aux musiciens un nouveau modèle, pour que ceux qui font de la musique différente de celle des majors puissent exister. Et pour ceux qui s’autoformatent, leur donner la possibilité d’arrêter de le faire. C’est une alternative.

Aujourd’hui, un artiste doit-il immédiatement être vendeur ?

On leur demande de rapporter tout de suite de l’argent. Alors qu’il y a beaucoup d’artistes célèbres aujourd’hui qui ont d’abord enchaîné les échecs commerciaux, avant de devenir des figures de la chanson française. A l’heure actuelle, il faut être vendeur immédiatement, on ne leur laisse plus le temps de débuter. Un artiste a besoin d’aide, de temps, il a besoin de mûrir comme un fruit.

Est-ce le goût du public qui mène les majors ou plutôt les majors qui façonnent le goût du public ?

Je ne suis pas gaulliste mais de Gaulle a dit : « Les Français sont des veaux ». Je crois que c’est une réalité. Je suis moi-même un veau en ce moment. Actuellement, je n’ai plus Internet chez moi alors je vais travailler au bistro, où il y a la radio. J’y vais depuis un mois et demi. Toute la journée, entre cinq et dix artistes passent toute la journée : Florent Pagny, Yannick Noah, Kylie Minogue… Une autre musique existe mais évidemment ce sont eux qui deviennent les plus gros vendeurs. Moi-même, quand je sors du bistro, je chante leurs chansons. Parce qu’on a tous leurs chansons dans la tête.

Pourquoi les majors choisissent-elles ce type de musique facile à retenir et non pas un genre de musique plus complexe ?

Elles pourraient. Mais les majors vendent aussi des personnages consensuels. On vend le personnage, comme Yannick Noah, mais pas forcément ce qu’il fait.


 

Quel est précisément le rôle de Fairplaylist ?

On a un rôle bâtard aujourd’hui. On intervient, pour l’instant, dans beaucoup d’étapes. On est des expérimentateurs de réflexions qu’on a menées avec des gens de la filière. On a écrit une charte "Musique Ethique" qui est pour nous une référence. On essaie de l’appliquer au numérique et au spectacle vivant. On espère, d’ici deux ans, créer un label sur le modèle des labels bio, identifié au travers des différents points de la charte. C’est vrai que cette charte peut toucher n’importe quelle musique et pourquoi pas Yannick Noah mais on a quand même une ligne éditoriale. On travaille avec des artistes qui, à nos yeux, sont créatifs et qui tiennent une place dans la société.

Au-delà de l’identité éthique et écolo, quels critères musicaux appliquez-vous ?

C’est strictement personnel. J’agis en tant que directeur artistique de l’association et c’est uniquement moi qui choisis. Quand le label sera créé, je n’aurai plus mon mot à dire. Il concernera une façon de faire de la musique et non plus un genre musical. On est encore dans une démarche très artisanale et expérimentale. Mais après cette étape, je ne choisirai plus.

Quand le label sera créé, n’importe quel artiste pourra donc en faire partie à la seule condition que ce qu’il fait corresponde à la charte ?

Oui, bien que le couperet de la sélection tombe toujours, à un moment ou à un autre : les producteurs, les distributeurs, etc. Les personnes du métier font toujours des choix.

N’avez-vous pas peur de devenir celui qui accepte de produire les malheureux dont les grandes maisons de disques ne veulent pas ?

Je ne fais pas la guerre aux majors, elles peuvent même être associées à notre projet. Elles ont de très bons directeurs artistiques mais qui ne parviennent plus à faire tout ce qu’ils veulent. Elles sont cotées en bourse et ne sont plus aussi libres. Mais elles pourraient avoir des partenaires comme nous, qui assurent ce qu’elles ne font plus elles-mêmes, comme le développement d’artistes. Et un artiste peut tout à fait aller signer dans une major. On milite pour que les artistes aient le choix et soient entièrement libres, donc ce n’est pas un problème.
Mais, et c’est très intéressant, aujourd’hui ce n’est pas du tout le cas. C’est l’inverse. Des artistes signés dans des majors espèrent pouvoir revenir chez nous.

Quelle est la différence entre une économie classique et une économie solidaire appliquée à la musique ?

C’est la façon dont on fait des profits, dont on les redistribue ; la transparence, la non-exploitation des travailleurs. On utilise le commerce équitable comme base, comme pour le café. On réfléchit au juste investissement tout au long de la filière pour que ce ne soit pas à une seule branche de prendre le risque et de financer seule le projet. On mise aussi sur la solidarité entre les membres.

Comment s’assurer que les engagements sont respectés ?

A ce jour, nous en sommes à la phase d’expérimentation. De plus en plus d’acteurs de la filière, qui fonctionnaient déjà de cette manière mais en étant isolés, nous rejoignent autour de la charte. On attend le label d’ici deux à trois ans, et alors, chacun évaluera ses pairs. Le musicien pourra voir ce que fait la production qui pourra voir ce que fait le distributeur. Il y aura aussi sans doute une évaluation externe opérée par le label. Ceux qui nous rejoignent essaient d’allier la charte avec ce qu’il est possible de faire parce qu’il n’est pas évident de trouver un studio qui tourne en électricité verte, une gravure verte, etc. Dans la charte, on s’engage à tendre vers une meilleure pratique mais celle-ci n’est pas toujours possible immédiatement.

 

Fairplaylist organise, chaque année, le festival de Ménilmontant. Marché équitable, débats autour de l’économie sociale et solidaire et concerts ponctuent la semaine.