Sur l’île canadienne de Cap-Breton en Nouvelle-Écosse, Blaise (Andrew Gillis) et Nessa (Bhreagh MacNeil), deux jeunes marginaux, vivent de petits boulots. Pour quelques dollars, ils tondent les pelouses des habitants et font du porte-à-porte pour subvenir à leurs besoins. En quête de stabilité, le couple s’inscrit à un programme de sevrage à la méthadone. Mais, face au traitement, les deux amants ont des réactions qui les éloignent : tandis que Nessa se bat pour s’en sortir, Blaise flirte dangereusement avec le point de non retour.
En marge
Pour son premier long métrage, la réalisatrice Ashley McKenzie n’a pas eu besoin d’aller chercher très loin l’inspiration. Blaise et Nessa sont les projections cinématographiques d’un couple accro au crack qui hantait les rues de sa ville natale — l’île de Cap-Breton au sud est du Canada où le film est d’ailleurs tourné — et vivait en marge de la communauté. À travers l’histoire de ces deux êtres dépendants — à tous niveaux, accros à la drogue et inséparables —, la cinéaste fait l’autopsie d’un couple qui tente d’échapper à sa condition en sacrifiant au passage sa cohésion. Au delà d’un point de vue sans concession sur la prise en charge inadaptée de ces individus par une société, Werewolf dresse le portrait émouvant d’un couple tiraillé par des décisions qui les éloignent l’un de l’autre. Dans ce combat contre l’addiction, Nessa et Blaise ne sont en effet malheureusement pas égaux : alors que la jeune femme arrive à gérer son sevrage et décroche même un emploi, son compagnon peine à sortir la tête de l’eau, rattrapé par les vieux démons de la dépression. Un autre combat s’impose alors — cette fois-ci interne au sein du couple — lorsque Nessa tente de soutenir Blaise au risque de replonger tous les deux. Cette lutte pour rejoindre la société et retrouver leur autonomie, Ashley McKenzie la filme avec tact à travers des plans qui entrent en résonance avec l’errance de ses personnages.
Des cadrages
Avec ses images volontairement ternes, Werewolf fait évoluer le couple dans une ambiance crépusculaire renforcée par un choix de cadrage original qui vient étouffer les deux protagonistes de ce drame où l’espoir côtoie la fatalité. Avec des plans très serrés et focalisés sur Blaise et Nessa, la cinéaste exprime visuellement l’enfermement psychologique dans laquelle se trouvent les deux amants. Souvent, on ne voit qu’une partie de leurs visages ou de leurs corps dans des gros plans qui ne captent pas toujours leur expression. Les deux jeunes adultes se dérobent sans cesse à notre regard et n’apparaissent jamais totalement, tels des fantômes mis au banc d’une société qui ne souhaite pas les voir. Les plans d’Ashley McKenzie nous donnent à voir, toujours partiellement, ces spectres qui nous échappent et n’existent pas pour les autres et à peine pour eux-mêmes. Seul leur relation fusionnelle existe et celle-ci est mise à l’épreuve lorsque Nessa trouve un autre moyen d’exister, à travers l’emploi qu’elle a réussi à décrocher.
Les cadrages partiels de Werewolf décrivent un monde en décalage avec le réel et parfois poétique comme ce plan serré sur les mains de Nessa et Blaise tenant une barre métallique qui évoque à la fois l’antique tondeuse qu’ils trimballent pour tenter de survivre et une hypothétique poussette promenant un enfant qu’ils n’ont jamais eu. Malgré ces scènes qui flirtent avec le mystère, ce drame est profondément ancré dans le réel et possède un aspect documentaire qui colle avec la réalité des drogués en cure de désintoxication. Certains personnages encadrant le couple jouent d’ailleurs leur propre rôle. Inspiré d’un couple ayant existé, le réel s’est encore plus immiscé dans le projet lorsqu’un ami de la réalisatrice dépendant à la drogue prévu pour jouer le rôle de Blaise s’est suicidé avant le tournage et que la relation de la cinéaste avec son compagnon a pris fin lors de la production. L’art et la vie se sont mêlés pour donner à ce film à la pâleur translucide une atmosphère à la fois tragique et pleine d’espoir.
Drame spectral, Werewolf dépeint une touchante histoire d’amour en marge de la société filmée avec pudeur et justesse. Un premier film âpre et surprenant plutôt addictif.
> Werewolf, réalisé par Ashley McKenzie, Canada, 2016 (1h18)