Viva Cuba ?

Viva Cuba ?

Viva Cuba ?

Viva Cuba ?

24 août 2011

Si Cuba donne bien souvent l'image d'une nation démunie, aspirée par plusieurs décennies de communisme, le pays reste toutefois porté par sa musique unique et sa culture atypique. Une magie cubaine qui s'opère également à travers la diversité exceptionnelle de sa population. Reportage dans une société qui a su transcender les différences ethniques, mais pas les inégalités sociales.

« Hola amigos, bienvenue dans le pays le plus sûr du monde ! ». Voilà comment Sabina, une jeune cubaine, essaie d’engager la conversation avec deux touristes français déambulant dans une rue animée de La Havane. Une démarche à première vue amicale, bien qu’elle vise un objectif plus pragmatique : emmener le jeune couple dans un bar pas très loin, histoire de toucher quelques commissions sur les boissons qu’ils savoureront en sa compagnie.

A l’instar de cette rabatteuse, bon nombre de cubains profitent aujourd’hui de ces combines pour arrondir leurs fins de mois. « Sans les petits business générés par le tourisme, nous ne pourrions pas nous en sortir, reconnaît, pour sa part, Roger, un cubain qui travaille officiellement à la gare de la Havane, car il constitue l’une de nos premières rentrées d’argent ». Et pour cause : chaque année, Cuba reçoit pas moins de deux millions de visiteurs. C’est dire la manne financière que représente un tel marché pour un peuple qui vit toujours sous le joug de l’embargo américain.

Cuba, un pays développé ?

Si l’image carte postale du dernier bastion communiste d’Amérique a toujours de quoi séduire les touristes – siroter des mojitos au soleil, danser la salsa, se baigner dans la mer turquoise… -, elle n’en cache pas moins une réalité des plus sombres. « A Cuba, on ne vit pas, on survit seulement, c’est la débrouille continuelle », renchérit tristement Roger. Et c’est bien là tout le paradoxe de l’île : si elle caracole à la 52e place des pays les plus développés de la planète (niveau similaire à l’Argentine ou la Bulgarie, selon le classement IDH de 2009), la population, elle, ne s’est jamais sentie aussi démunie.

 

En témoigne les tickets de rationnement et taxes multiples auxquels la population est encore soumise. Ainsi, rappelons que les producteurs de cigares sont obligés de revendre la majeure partie de leur production, à bas prix, à l’État. Le gouvernement mène également la vie dure aux détenteurs de Casa particular, habitations cubaines habilitées à loger les touristes. Ainsi, pour chaque chambre louée, ils doivent payer des centaines de dollars de taxes par mois à l’Etat.

Des inégalités flagrantes

Autre difficulté, pour le moins surprenante, qui pèse sur la population, et in fine, la divise : l’usage au quotidien de deux monnaies. Celle dite "convertible" ou CUC, dédiée aux touristes et aux Cubains riches, et le peso, réservé aux Cubains les plus pauvres. Un système pervers engendrant une économie à deux vitesses, et donc des inégalités de taille que la révolution cubaine était pourtant censée faire disparaître. Résultat : alors que certains Cubains ayant accès au convertible, arborent aujourd’hui les plus beaux vêtements, d’autres en sont réduits à harceler les touristes pour un simple t-shirt ou déodorant.

 

Cette contradiction flagrante avec l’idéologie dominante ne doit pourtant pas éclipser la survivance d’un système communiste toujours bien en place. Et il se traduit, par exemple, par un système, à minima, de redistribution des richesses assurant un certain niveau de vie à l’ensemble de la population. Résultat : tous les Cubains disposent aujourd’hui encore d’un vrai accès à l’éducation, couplé d’un système de santé à faire pâlir bon nombre de pays sud-américains.

Un système liberticide

« Certes, on ne vit pas dans la misère içi, mais on n’a aucun avenir, aucune perspective », nuance Felipe Junior, gardien d’un jardin public à la Havane. Si ce dernier parle couramment trois langues (espagnol, anglais et allemand) et possède chez lui la plupart des équipements modernes (téléviseur, micro-ondes, etc.), il déclare pourtant lui manquer l’essentiel : la liberté. « Beaucoup de gens disent que Cuba est le pays le plus sûr d’Amérique Latine. Mais quoi de plus normal avec tous ces policiers postés partout dans les rues ? Officiellement, ils disent « protéger » les touristes. Mais en vrai, c’est pour nous surveiller, afin que personne ne raconte ce qui se passe ici », détaille ce dernier, laconiquement, en citant comme premier moyen de contrôle de la population, les fameux "Comités de défense de la Révolution".

 

Implantés un peu partout dans les villes cubaines, ils ont pour mission de lutter coûte que coûte contre les opposants potentiels au régime castriste. Et notamment tous ceux qui osent ouvertement critiquer les messages de propagande à l’effigie du Che ou de Fidel, visibles un peu partout dans les rues et le long des autoroutes. « Depuis la révolution de 1959, on en est toujours au même point, déplore Felipe Junior, qui rêve un jour de pouvoir quitter le pays. À Cuba, nos seuls liens sont avec le Venezuela. Mais eux là-bas sont libres, alors que nous, toujours pas ».

L’image d’une société 100 % diversifiée

On l’aura compris, Cuba donne encore largement l’image d’un pays exsangue dont la vie semble avoir été aspirée par plusieurs décennies de politique austère. Pourtant, tout n’est pas noir sur l’île, comme aiment à le répéter nombre d’habitants… Tant cette nation dynamique semble encore boostée par sa musique et sa culture atypique. Et pour cause : au delà d’une histoire révolutionnaire qui a marqué les consciences, la magie cubaine s’opère à travers la diversité exceptionnelle de sa population, héritage de la société créole née de la colonisation espagnole et de l »esclavage d’Africains. Si, le dernier recensement effectué en 2002 sur l’ile, a dénombré 24 % de Métis, 65 % de Blancs, 10 % de Noirs et 1 % de Chinois, vivant à Cuba, c’est l’image d’une société mélangée, non communautarisée, qui s’est toutefois imposée. Et ce grâce à l’émergence d’une culture afro-cubaine originale, devenue un véritable ciment social et identitaire entre les différentes "ethnies".

« Mais ça n’a pas toujours été le cas. Du temps de Batista, les trois sociétés, blanche, métisse et noire, vivaient totalement séparées, rappelle Mireya, une métisse cubaine, professeur de salsa à ses heures, à Trinidad. Pire, un racisme institutionnalisé était exercé à l’encontre des descendants d’esclaves. Mais depuis la révolution, les Cubains sont désormais plus égaux. Ainsi, les préjugés ont globalement disparu, excepté parmi les vieilles générations ». Une équité raciale toutefois loin d’être parfaite. En effet, rappelons que parmi les grandes figures révolutionnaires, les noirs et les métis n’étaient qu’une poignée. Et parmi la grande majorité des exilés cubains installés aujourd’hui en Floride, en Espagne, etc., les noirs sont peu nombreux. Enfin, si les villes cubaines ne connaissent pas aujourd’hui les phénomènes des gangs, les noirs et métis vivent encore dans les quartiers les plus populaires.

Largement évocateur, ce constat ne suffit pourtant pas à faire déchanter les derniers défenseurs du miracle cubain, toujours convaincus par "l’exceptionnalité" de leur pays. A l’instar de Lester, un barman qui travaille à Remedios, une bourgade près de Santa Clara : « À Cuba, il n’y a ni Noirs, ni Blancs, ni riches, ni pauvres. On est tous égaux, tous Cubains, et fiers de l’être ».