Un jour, il dessinait un vêtement dans le métro et une femme en fauteuil roulant l’a interpellé. Elle aimait beaucoup son croquis mais regrettait que rien ne soit jamais dessiné pour les personnes comme elle, celles qui roulent. Chris Ambraisse, 20 ans bien sonnés et un diplôme de designer en modélisme, a alors une idée : « Je me suis dit : » pourquoi ne pas allier la mode et le handicap ? » Je voulais qu’ils aient accès à quelque chose de beau et design qui soit aussi adapté à leur vie quotidienne ». De plus, l’une de ses amies se déplaçait en fauteuil, il était convaincu. Durant presque deux ans, le jeune homme multiplie les rencontres avec les associations, les ergothérapeutes, les médecins. « J’avais besoin de bien cerner la problématique de l’habillement. Il fallait que je comprenne pourquoi, concrètement, c’était difficile pour eux de mettre normalement un pantalon ! » Chris Ambraisse n’y connaît donc rien en matière de handicap lorsqu’il décide d’y consacrer son existence !
Une étonnante ténacité
De ces nombreux entretiens et grâce au FSE, fonds de solidarité européen, naît sa première collection, en 2007. « Evidemment je me suis heurté à des barrières : « ça ne va jamais marcher« , « vous êtes black, il faut faire plus d’effort !« Mais moi j’ai foncé, j’avais une idée en tête. Il fallait forcer le passage. » C’est sans doute ce qui frappe le plus chez ce garçon de 28 ans, calme, doux, presque timide et pas toujours à l’aise : la ténacité et la confiance en soi. Pourquoi se confronter à un tel défi ? « Depuis que je suis petit, je suis très sensible, très touché par les problèmes des autres. »
Frappé par ses parents, Chris Ambraisse n’en veut pas au monde entier mais veut aider le monde entier. Il aimait la mode mais voulait absolument donner un aspect très humain à sa propre mode. Il choisit le handicap parce qu’il a croisé cette femme dans le métro, son choix aurait pu se porter ailleurs. « Je ne sais pas pourquoi. J’ai eu un déclic je crois. » Il est ce qu’on appelle un « type bien ». Non content d’habiller des personnes à mobilité réduite, il fait fabriquer ses vêtements à l’atelier Femmes Actives, une association pour la réinsertion des femmes au chômage. Et ce depuis sa première collection. Il s’agit bien sûr, aussi, d’un échange de bon procédé entre ces femmes qui ont toujours travaillé dans la couture et le créateur. Tout de même, cette étiquette éthique et sociale est très importante pour lui. « Je ne veux pas m’arrêter sur le handicap, je veux également aller le plus loin possible concernant ces problématiques. » Voilà qui ne devrait pas vous étonner, Chris Ambraisse utilise des matières recyclées. Il récupère d’ailleurs les tissus non utilisés de Lanvin et LVMH. Avec le luxe, on fait du A & K Classics, la griffe d’Ambraisse.
Cette marque, il l’a créée en 2006. En même temps que son association « Mode et handicap, c’est possible ». A & K Classics répond à un concept précis : habiller tout le monde sans distinction, ni exception. L’exclusion, Chris Ambraisse déteste. En fauteuil ou sur des jambes, chacun est concerné par ses créations, des vêtements design, souvent asymétriques et avec des ouvertures inhabituelles, pour des valides. Les mauvaises langues diront qu’une personne à mobilité réduite a d’autres préoccupations que le design ou la matière de ses vêtements ! « C’est vrai que ce qui les intéresse avant tout est d’avoir des vêtements adaptés à leur handicap. Mais la plupart aime, comme tout le monde, les beaux vêtements ! » Concrètement, les poches sont placées plus bas sur les cuisses par exemple et chaque pièce possède de larges ouvertures sur le côté ou au niveau du col. « Pour les valides, il y a de toute évidence un aspect ludique. »
Au quotidien, Chris Ambraisse travaille en partenariat avec des instituts qui accueillent un public handicapé. Il se rend régulièrement dans le Val d’Oise pour travailler, avec des personnes handicapées, sur les problématiques liées à l’habillement. « Et elles participent à mes défilés. Certaines ne demandent que ça. C’est un bonheur pour elles. C’est bien de les sortir de cette camisole, de ce côté glauque. On ne les voit jamais dans la rue, on a l’impression qu’ils sont enfermés. Je veux qu’on puisse les voir, dans la mode aussi. »
Des trisomiques ou encore des mal-voyants y participent également. Chris Ambraisse ne supporte pas l’exclusion, le fil rouge de tout ce qu’il entreprend. Lauréat du label Paris Europe en 2009, qui récompense les initiatives artistiques et sociales, il partira dans différentes villes européennes pour y présenter son concept et ses créations. Il compte emmener avec lui dans chaque pays « une personne qui sort de prison, une personne âgée, une autre qui se réinsère ». Pourquoi emmener ces gens ? « Parce qu’ils ne connaissent pas forcément d’autres pays que la France. » Mais pourquoi ceux qui se trouvent tous en situation difficile ? « Parce qu’ils ne connaissent peut-être pas le monde de la mode. » Pas de réponse attendue, comme quoi il faut aider les plus faibles. C’est tout juste consciemment qu’il se tourne toujours vers des personnes « à la marge ».
Créateur avant tout
Dans l’institut avec lequel il collabore, les ergothérapeutes le conseillent et les pensionnaires testent les vêtements. « Les personnes handicapées n’ont pas la même morphologie que des personnes valides. Réaliser une collection est très difficile et demande une grande écoute et une longue réflexion. On n’apporte pas toutes les solutions mais on contribue à leur faire gagner en autonomie. » Cette phase de préparation est incontournable car Chris Ambraisse reste avant tout un créateur et non un spécialiste des handicaps moteurs. Comme tout créateur, chacune de ses collections s’articulent autour d’un univers qui insuffle une identité aux vêtements. L’armée russe pour la première en 2007. Pourquoi l’armée russe ? « Parce que c’est intéressant. » L’important est qu’il soit inspiré, pas de savoir pourquoi. La collection 2010, a, quant à elle, navigué dans le plissé.
Son prochain défi, une collection pour enfants. C’est un défi car A & K Classics est identifiable par ses pièces unies, ses teintes sombres et une asymétrie de rigueur. « Je vais devoir travailler sur la couleur et les imprimés ». Personne ne l’a interpellé dans le métro cette fois-ci. La mère d’un enfant handicapé lui a téléphoné, dénonçant le manque de choix dans les vêtements pour enfants. Une injustice ? Chris Ambraisse se met alors à la tâche. Le créateur est un électron libre et singulier. Ses concurrents sont-ils des créateurs de mode dernier cri ou des spécialistes de l’habillement pour handicapé ? « Les marques de vêtements spécialisés sont très pratiques. Ils travaillent uniquement sur l’adaptabilité et l’utilité des vêtements. Moi, je suis mode avant tout, ensuite, j’adapte. Je suis incapable de travailler sur des choses classiques ou uniquement utiles ». Seules, la première est inutile et la deuxième dépourvue de créativité. Chris Ambraisse ne peut, in fine, qu’allier les deux.
Le rire clair, l’œil passionné, Chris Ambraisse fait vraiment ce qu’il aime. Il ne se plaint pas. Mais quand on l’entend énumérer ses postes d’activités, on a soudain le vertige. L’association, qui emploient deux personnes, la marque, le travail en institut et bientôt l’entreprise, qui devrait voir le jour en janvier prochain… Il faut être endurant, c’est certain. Et supporter le stress des fins de mois difficiles. Les créations sont vendues entre 30 et 150 euros sur Internet et les points de vente se comptent sur les phalanges d’un doigt. L’unique parisien a d’ailleurs récemment fermé. Les fourmis ont beau s’activer dans le petit atelier, niché sous les toits à Saint-Denis (93), ce ne sera pas suffisant, de même que les nombreux prix remportés en moins de quatre ans. A & K classics a besoin de visibilité et surtout de pouvoir s’installer au rez-de-chaussée. L’atelier est actuellement au premier étage et inaccessible pour des personnes à mobilité réduite. Quelle ironie ! « Pour l’instant on n’a pas le choix. On est là depuis un an et il fallait absolument continuer à faire vivre la marque. » Il espère très prochainement pouvoir emménager dans le XIXe arrondissement de Paris, sans étage à gravir. L’endroit serait un atelier mais aussi un lieu de vente directe. Chris Ambraisse reste optimiste. Il a raison. Après tout, il n’a pas encore 30 ans. Et déjà, il a offert à son amie une cape de sa propre griffe, qu’elle peut enfiler et ôter sans difficulté !