« Trois fois rien », ticket marrant

« Trois fois rien », ticket marrant

« Trois fois rien », ticket marrant

« Trois fois rien », ticket marrant

Au cinéma le 16 mars 2022

La vie de Brindille, Casquette et La Flèche, trois sans-abri, bascule du jour au lendemain lorsqu'ils gagnent au Loto. Mais, pour encaisser l'argent promis, encore faut-il se réinsérer dans un dédale administratif kafkaïen. Comédie tendre avec son sujet, Trois fois rien charme par son trio attachant et un traitement aussi intime que social. Un regard qui ne sacrifie pas la vraisemblance à la fiction, ni la décence au rire.

Dans leur cabane de fortune construite au cœur du bois de Vincennes, Brindille (Antoine Bertrand) et Casquette (Philippe Rebbot) vivent comme ils peuvent, au jour le jour. Cette vie en marge de la société est remise en cause lorsqu’ils gagnent au Loto. Mais le ticket gagnant a été financé avec la participation de La Flèche (Côme Levin), un jeune SDF turbulent qu’il va falloir supporter.

Unis par les circonstances, les trois compères fantasment déjà leur vie de nouveaux riches. Mais, pour cela, il faut pouvoir toucher le pactole remporté. Car sans domicile, pas de carte d’identité à jour et sans compte bancaire, pas de paiement ! La galère est loin d’être terminée.

Trois fois rien © SRAB Films - Le Pacte

En marge

La réalisatrice Nadège Loiseau considère Trois fois rien comme un deuxième enfant qui s’est imposé à elle tout naturellement. L’histoire de ce second long métrage qui lui est venue comme une évidence vient cristalliser un intérêt pour le sujet des sans-abri qui la préoccupe depuis longtemps.

Lors de son arrivée à Paris il y a une vingtaine d’années, la cinéaste a été confrontée à ces « fantômes » qui vivaient dans le bois de Vincennes dans leur campement de fortune. Une situation dont la banalité choque autant qu’elle émeut et donne un désagréable sentiment d’impuissance.

Alors que les candidats à la présidence promettent en vain de mettre fin à cette situation indigne d’un pays riche, Nadège Loiseau a décidé d’exorciser ce malaise avec le sourire.

Trois fois rien © SRAB Films - Le Pacte

Three is a magic number

Pour incarner les trois chanceux SDF, le choix a été évident. Sur le tournage de son premier film Le Petit Locataire (2016), Antoine Bertrand, Côme Levin et Philippe Rebbot donnaient déjà des envies de trio à la cinéaste. L’association hétéroclite de leurs physiques et tempéraments fonctionne ici à merveille.

En assumant la référence aux Pieds nickelés, Trois fois rien joue sur le ressort comique toujours efficace de la réunion de personnages mal assortis. C’est notamment le cas pour Brindille et Casquette, deux amis de longue date, qui doivent supporter l’envahissant jeune SDF pour espérer encaisser le pactole.

Imaginée comme un conte, cette histoire de gros lot inespéré met en scène avec tact des hommes vulnérables. Mais cette fragilité assumée n’interdit ni l’expression de fortes personnalités ni un humour qui n’est pas forcément celui du désespoir.

Trois fois rien © SRAB Films - Le Pacte

Décent abri

Après avoir fait miroiter une grosse somme d’argent au trio, Trois fois rien prend un malin plaisir à les en priver. L’argent est là, ils l’ont gagné. Mais il est inaccessible, bloqué dans les rouages d’un système qui semble décidément résolu à les exclure. Car, pour encaisser le pactole, il faut un compte en banque et pour cela une identité reconnue.

Le clin d’œil à une machine bureaucratique kafkaïenne fait écho aux difficultés que chacun a pu rencontrer au moins une fois dans sa vie. Avec une touche supplémentaire d’amertume face à l’injustice de la situation. Cette piste tragi-comique de l’argent impossible à toucher, le film aurait pu la poursuivre pendant toute la durée du périple de nos trois compères.

Mais le récit prend ses distances avec cette trajectoire toute tracée pour gagner en profondeur. Par un tour de passe-passe scénaristique mettant en avant une entraide salvatrice, la question de l’encaissement de l’argent laisse peu à peu place à son utilisation. Une fois sous un toit protecteur, le trio peut rêver à la suite. Avec des ambitions très différentes.

Trois fois rien © SRAB Films - Le Pacte

Presque très riches

Contrairement à la célèbre famille de cinéma originaire de Bouzolles adepte de frites, Brindille, Casquette et La Flèche ne gagnent pas un si gros lot que ça. Alors qu’ils pensaient décrocher des millions, ils doivent se contenter d’un peu plus de 70 000 euros chacun. Une somme très généreuse mais qui limite de fait les rêves les plus fous.

Cette cagnotte revue à la baisse n’est pas anecdotique car elle renvoie pour chacun à l’essentiel. Comment utiliser au mieux cette somme ? Pour Casquette, il tient enfin l’occasion de voyager avec son vieil ami Brindille comme ils se l’étaient promis. À l’image de sa fougue, La Flèche se lance dans une consommation débridée sans projection dans l’avenir.

Cette fortune relative et imprévue renvoie Brindille à son identité d’avant. Car, Nicolas Grenier, son vrai nom, est père de deux filles qu’il n’a jamais revu depuis qu’il est à la rue. Cette honte d’être repoussé en marge de la société plane sur le film à travers ce personnage incarné avec une justesse impressionnante par Antoine Bertrand. Sa tentative de reconnexion familiale enfin rendue possible est particulièrement bouleversante.

Trois fois rien © SRAB Films - Le Pacte

Gêne éthique

Faut-il y voir le symbole d’une société qui préfère détourner le regard ? La Française des Jeux, sollicitée pour le tournage, a refusé que son nom ou son logo soient utilisés. Selon la cinéaste, la raison est que le film n’était pas « dans l’ADN de leur marque ». Pourtant, que l’argent mis en commun par les français à travers cette loterie nationale aille à celles et ceux qui en ont le plus besoin semble un beau projet.

L’argent ne fait pas le bonheur, certes. Mais un minimum vital permet d’envisager sereinement l’avenir. Trois fois rien garde les pieds sur Terre en confrontant les trois SDF à leurs propres limites qui ne sont pas, loin de là, que financières. L’argent gagné ne vient pas changer radicalement le trio, il révèle leurs touchantes espérances ou leur réticence à retourner dans une société qui les a rejetés.

Peu importe si certaines scènes de comédie peuvent paraître manquer de rythme par moment. Après tout, les pitreries des trois amis n’ont pas d’autre vocation que les distraire. Brindille, Casquette et La Flèche sont ce qu’ils sont avec leurs failles et leurs maladresses et c’est ce qui les rend si touchants. Avec ou sans argent.

Comédie sociale assumée, Trois fois rien invite à porter un regard tout simplement humain sur celles et ceux qui vivent sur nos trottoirs. Une invitation réussie grâce à l’incarnation sincère du trio et un scénario qui laisse ses personnages exprimer toute leur complexité face à un retour potentiel au sein de la société.

> Trois fois rien, réalisé par Nadège Loiseau, France, 2022 (1h37)

Trois fois rien

Date de sortie
16 mars 2022
Durée
1h37
Réalisé par
Nadège Loiseau
Avec
Philippe Rebbot, Antoine Bertrand, Côme Levin, Emilie Caen, Nadège Beausson-Diagne, Yves Yan, Yilin Yang
Pays
France