Charlie Brown n’est pas le garçon le plus populaire de l’école, loin de là. Souvent moqué par ses petits camarades, il vit assez mal cette mise à l’écart et a tendance à se laisser gagner par la mélancolie. Tout change pour le jeune garçon lorsqu’il se voit attribuer par erreur la note maximum à un devoir.
Devenu un « winner », Charlie Brown va tout tenter pour séduire la « petite fille rousse », nouvelle venue dans sa classe, tandis que son fidèle chien Snoopy va vivre par procuration les tentatives de rapprochement de son maître en s’imaginant héros de roman. Installé sur sa niche volante, l’adorable beagle tente dans ses rêves de sauver Fifi, une ravissante caniche, des griffes de l’horrible Baron Rouge.
De la vraie BD en 3D
C’est le studio Blue Sky, créateur de L’âge de glace (2002) et de Rio (2011), qui a eu la lourde tache d’adapter pour la première fois au cinéma les aventures des Peanuts, cette attachante bande de gamins aux questionnements existentiels issue de l’imagination de Charles M. Schulz. Et le résultat, très respectueux de la BD originale, est franchement réjouissant.
Snoopy et les Peanuts est un film familial car il divertit aussi bien les enfants que les grands enfants – communément appelés adultes –, mais également parce qu’il a été imaginé par la famille du dessinateur. En effet, on retrouve à la production et à l’écriture du scénario Craig Schulz, le fils de Charles, son fils Bryan et leur associé Cornelius Uliano.
La volonté de ne pas dénaturer l’esprit de la bande dessinée d’origine a guidé les choix de l’équipe, jusque dans les moindres détails. La qualité de l’animation en images de synthèse est un indice du soin qui a été apporté à la réalisation des personnages. Le délicat défi qui consiste à donner vie, à travers une animation tout en relief, à des personnages créés pour la surface plane du papier est ici relevé haut la main.
En s’inspirant des adaptations animées précédentes – comme le téléfilm A Charlie Brown Christmas réalisé en 1965 par Bill Melendez – pour le mouvement des personnages, l’équipe de Blue Sky s’inscrit habilement dans la lignée de ce que l’on connaît de l’univers des Peanuts. L’animation de Snoopy et les Peanuts, totalement inédite, est hybride. Elle combine le rendu 3D habituel des films d’animation aux techniques de la bande dessinée. Sur ces personnages tout en rondeur numérique, tout ce qui fait l’expression des personnages est le résultat de traits qui rappellent ceux du crayon.
On est tenté d’imaginer Charles Schulz venant finaliser ses personnages en traçant lui-même les yeux et la bouche des enfants et du célèbre chien. Les sourcils de Charlie Brown se retrouvent ainsi souvent sur sa casquette, une hérésie graphique qui fonctionne pourtant à merveille tant elle évoque la liberté du trait du créateur de Snoopy.
Certains passages rêvés ou fantasmés par les personnages apparaissent même en animation “classique”, en noir et blanc, renforçant ainsi l’hommage à l’œuvre d’origine.
Respecter l’imaginaire
Une seule fois, Charles Schulz a fait apparaître des adultes dans les aventures des Peanuts… et l’avait amèrement regretté. Cette règle de ne montrer que Charlie Brown et ses acolytes est respectée dans le film : des adultes, on n’entend que la voix. Et encore, ils s’expriment à travers des sons de trompettes malicieux joués par le musicien Troy Andrews.
La tentation de faire parler Snoopy a également – fort heureusement – été écartée, le beagle s’exprime donc avec ses mimiques inimitables, ponctuées par des soupirs et sons étranges provenant des enregistrements réalisés au fil des ans par Bill Melendez, voix historique de Snoopy. La musique jazzy et entraînante créée pour les téléfilms des Peanuts a elle aussi été réutilisée.
La même précaution a été apportée aux décors, qui ne trahissent aucune époque précise, conservant ainsi l’aspect intemporel de ces gamins et ce drôle de chien qui se baladent dans des cases à l’ornement minimaliste. Cette volonté de ne pas dénaturer l’aspect graphique de l’œuvre de Schulz se retrouve également dans l’esprit de l’adaptation.
C’est ce bon vieux Charlie Brown !
Le papa des Peanuts et de Snoopy a dû se battre, à l’instar de Bill Watterson, le créateur de Calvin & Hobbes, pour garder un droit de regard sur l’utilisation de ses personnages en dehors de l’univers de la bande dessinée. Convaincu, à juste titre, que les aventures des Peanuts n’était pas (seulement) destinée aux enfants, Charles Schulz a toujours lutté contre la tentation mercantile de modifier le ton de la BD pour la rendre accessible à un public toujours plus jeune, attiré par le sympathique Snoopy.
Avec ses thématiques sombres et inédites pour l’époque, Peanuts – un nom imposé par l’éditeur mais que Charles Schulz détestait – a révolutionné le monde des comics dès le début des années 50 et a su réunir un public très large. Le défi de ce premier long métrage était donc de moderniser l’univers de Charlie Brown et Snoopy sans trahir le travail du dessinateur qui ne voulait pas simplifier son univers.
Le difficile équilibre entre le respect de l’héritage de Schulz et une adaptation moderne est maintenu tout au long du film. Alors que Charlie Brown tente de séduire la charmante “petite fille rousse”, Snoopy apporte un souffle d’aventure romanesque en imaginant, perché sur sa niche, des combats aériens impitoyables contre le terrible et mystérieux Baron Rouge. Les deux univers se succèdent avec harmonie, dans une avalanche de gags très réussis et le film ne souffre d’aucun temps mort.
Axé sur le thème du rejet et de l’aliénation propre au personnage de Charlie Brown, le film oscille entre une douce mélancolie et la fantaisie, dans la lignée directe de la bande dessinée. Volontiers pince-sans-rire, le ton n’est jamais infantilisant et le résultat charme et amuse aussi bien les enfants que les adultes.
Film familial par excellence, Snoopy et les Peanuts est une adaptation intelligente d’une rare qualité. Le résultat est d’autant plus touchant que l’amour et l’admiration pour le travail de Charles M. Schulz se ressent dans chaque séquence du film. Charlie Brown peut continuer à se questionner sur le sens de la vie, il a en tout cas brillamment réussi son arrivée sur grand écran.
> Snoopy et les Peanuts : Le film (The Peanuts Movie), réalisé par Steve Martino, États-Unis, 2015 (1h28)