Danseuse épanouie, Elena (Greta Grinevičiūte) anime un atelier avec des jeunes personnes sourdes. Pour l’aider dans ce projet, elle fait la rencontre de Dovydas (Kęstutis Cicėnas), un interprète en langue des signes. Attirés l’un vers l’autre, Elena et Dovydas entame une relation qui se heurte à une dissonance inattendue. Alors que leurs corps se rapprochent, Dovydas confie à Elena qu’il ne ressent aucun désir sexuel pour elle, ni pour personne : il est asexuel. Ensemble, ils tentent, tant bien que mal, de bâtir une nouvelle forme d’intimité.
Éloge de la lenteur
Pour le titre international de son film, la réalisatrice lituanienne Marija Kavtaradze s’est inspirée du répertoire aussi sensuel que spirituel de Leonard Cohen, dont le documentaire Hallelujah, les mots de Leonard Cohen (2022) – lire notre critique – donne un aperçu. Dans Slow, titre qui ouvre l’album Popular Problems sorti en 2014, l’allusion à l’orgasme est transparente : le poète chanteur canadien plaide pour la lenteur : You wanna get there soon / I wanna get there last.
Ce clin d’œil au morceau de Leonard Cohen n’est pas anodin. À travers le prisme de l’asexualité, la réalisatrice interroge de façon plus large notre rapport à l’instantanéité : un « tout, tout de suite » encouragé par notre rapport aux technologies – à commencer par Internet – qui infuse dans nos relations. Selon Marija Kavtaradze, nos sociétés modernes idéalisent l’évidence d’une relation qui doit débuter vite et fort, sans déconvenue, au risque de passer à la suivante.
En confrontant Elena au mur inébranlable de l’asexualité, Slow plaide pour une lenteur qui est synonyme de prise en compte de la différence. Le relation entre Elena et Dovydas pose la question du sentiment amoureux en dehors du sexe mais aussi des différents moyens d’aimer et de le montrer.
I (don’t) want your sex
En retirant le sexe de l’équation, la romance entre Elena et Dovydas explore des questions très intéressantes. Cette histoire d’amour non conventionnelle entre la danseuse qui ne compte pas mettre sa sexualité en berne et le jeune homme dont la flamme du désir reste éteinte peut-elle vraiment trouver un équilibre ?
Le film traite avec beaucoup de tact et de justesse les questions que posent cette incompatibilité sexuelle qui vient bousculer les modèles traditionnels d’une relation. Les différences de besoins physiques influencent la relation entre Elena et Dovydas, bousculant les attentes romantiques mais aussi les rôles de genres.
Parmi les questions qui émergent : quelle place a le besoin d’être désiré dans le sentiment d’être aimé ? Ainsi Elena ressent – plus que le besoin sexuel en lui-même – ce besoin d’être désirée. Une validation qu’elle va chercher dans d’autres lits, tout en revenant irrémédiablement vers Dovydas.
De compromis en compromissions
De tentatives en ajustements, Elena et Dovydas essaient de faire voguer leur barque sur les eaux troubles d’une relation qui tangue, bousculée par des courants intimes et sociétaux. Derrière le vernis délicat de l’asexualité qui provoque tous ces débats passionnants, Slow ausculte nos relations modernes, entre recherche de l’évidence – le grand Amour – et compromis.
Car, derrière le pacte des deux amoureux, une question très personnelle se pose : quels efforts est-on prêt à consentir pour faire fonctionner une relation ? Et surtout, où doit s’arrêter cette volonté de répondre au désir de l’autre – ou dans ce cas précis l’absence de désir ? Il plane sur cette relation bancale l’inévitable rapport à l’acception de soi.
À vouloir faire fonctionner leur relation quoiqu’il en coûte, la danseuse et l’interprète ne se mentent-ils pas à eux même ? Plus qu’un plaidoyer sur l’acceptation de l’autre dans ces différences, Slow renvoie chacun à son identité intime. Comment faire en sorte de rester honnête par rapport à ce que l’on est ? Asexuel ou non, la question est universelle.
Avec son couple sexuellement incompatible, Slow séduit pour son traitement sans cliché de l’asexualité qui remet en question ce qui constitue le ciment d’une relation amoureuse. La romance de Elena et Dovydas interroge avec brio la complexité de la construction de l’intimité dans un monde qui vante un absolu – par définition inatteignable – à l’immédiateté réconfortante.
> Slow (Tu man nieko neprimeni), réalisé par Marija Kavtaradze, Lituanie – Espagne – Suède, 2023 (1h48)