La sexualité spectacle : à double tranchant

La sexualité spectacle : à double tranchant

La sexualité spectacle : à double tranchant

La sexualité spectacle : à double tranchant

17 mai 2013

Michel Dorais est sociologue de la sexualité. En France, on a vu ce Québécois dans les médias lors du débat sur le mariage homosexuel, qu’il défend. Et étudie de très près depuis très longtemps. Il vient par ailleurs de publier un livre intitulé "La sexualité spectacle", où il est question de sexe et des changements "circassiens" que la sexualité vit aujourd’hui, sous l’influence du numérique. Michel Dorais vante les mérites de cette nouvelle sexualité, mais nous met en garde contre l’absence de regard critique. Surtout il milite pour que l’intimité retrouve sa place dans la sexualité. Contre la censure, contre les ligues de vertu, contre la pudibonderie, Michel Dorais rêve d’une véritable éducation sexuelle, qui se ferait à l’école, à la maison.

En quelques mots, pouvez vous définir la sexualité spectacle ?

La sexualité spectacle, c’est tout voir et tout montrer, en gros plan, tout de suite. Sur les smartphones, les tablettes, la télé réalité, Internet… la logique est la même partout. Et je n’ai rien contre. Je préfère ça à la pudibonderie et à la censure. Ceci dit, j’ai l’impression que nous avons perdu un sens critique. C’est comme un grand cirque où nous sommes comme des enfants. Nous sommes naïfs.

C’est à dire, on manque de recul par rapport aux images ?

Oui, on n’a pas suffisamment de recul. C’est ce que j’explique dans le livre. Je pense qu’on peut regarder ce spectacle de manière différente et qu’il est important de retrouver de l’intimité, de l’intériorité. C’est ce qu’on risque de perdre. Le temps de la relation s’accélère aujourd’hui. Avant les archétypes étaient Abélar et Louise, Roméo et Juliette, tout les séparait, on trouvait beaucoup d’adversité dans ces histoires là. La séduction durait très longtemps et il fallait conquérir l’autre. Aujourd’hui, cet archétype a volé en éclat. Le temps de la séduction diminue comme peau de chagrin et c’est ce qui est inquiétant.

C’est la pudeur qui est menacé ?

Oui, le sens de la pudeur disparaît et attention, la pudeur n’a rien à voir avec la pudibonderie.

L’hypersexualisation des vieux

A qui pensez-vous exactement, aux jeunes ?

On parle beaucoup d’hypersexualisation des jeunes. Moi, les jeunes, je ne les trouve pas du tout hypersexualisés. Ma génération, celle qui a fait mai 68, est la première génération hypersexualisée. Et c’est toujours le cas ! Combien de personnes de ma génération meurent de se faire remonter les fesses, les seins, les cuisses, le visage. (…) Car la sexualité spectacle exige l’apparence spectacle. Et le modèle à suivre, c’est Lolo Ferrari. Elle était une caricature d’elle-même à sa mort, mais c’était un modèle. Nos modèles sont extrêmes parce que notre sexualité doit être performante et spectaculaire. Il faut aussi une vie spectaculaire, qu’on étale sur Facebook, tout cela va ensemble.

Dans le livre, vous expliquez qu’on assiste actuellement à l’avènement de l’amateurisme.

Aujourd’hui pour vendre la porno (en québécois, ndlr) aux professionnels, il faut des amateurs ou suggérer que c’est fait par des amateurs.  Les amateurs son beaucoup moins chers et en plus, ils font plus vrais. L’amateurisme est en train de tuer le porno ou d’obliger l’industrie à feindre l’amateurisme.

Couverture de la Sexualité Spectacle, édition française.

Ce qui n’est pas si mal puisque les corps ne sont plus formatés.

Dans la sexualité spectacle, il y a bien sûr un bon et mauvais côté, c’est pour ça qu’il faut garder son sens critique. Avec son avènement, on en trouve effectivement pour tous les goûts. Il n’y a plus de stéréotypes, pas un corps d’homme ou un corps de femme type. Tous les corps sont là et c’est une bonne chose. Mais il ne faut pas perdre de vue le mauvais côté : avec le développement de l’amateurisme, on fait de moins en moins de prévention contre les MST.

Vous expliquez aussi que l’amateur doit se surpassez pour attirer l’internaute.

Oui, parce qu’une fois de plus, on est confronté à des modèles impossibles ! Parce que pour que votre vidéo soit vue plus que les autres, il faut innover. Proposer des choses que les autres ne proposent pas ailleurs. Il faut toujours aller un peu plus loin. Au moment où je vous parle, chez moi, on parle de l’affaire Magnotta. Ce n’est pas très sexy, mais sa vidéo, dans laquelle il massacrait son amant, a été l’une des plus vues cette année avant que YouTube ne la retire. Pour le vedettariat, on est capable d’aller très loin dans le gore.

Mais grâce à Internet, on est jamais tout seul avec sa sexualité « bizarre ».

C’est un des bons points d’Internet. On n’est jamais tout seul avec ses désirs si bizarres et exceptionnels soient-ils, il y a toujours quelqu’un pour les partager avec vous. Là encore, ce point positif peut aussi s’avérer nocif. Les pratiques illégales, la pédopornographie par exemple, se développent sur le Net. Cet effet de nombre, le fait de ne pas être seul déculpabilise. J’ai interviewé beaucoup de personnes à ce sujet, des agresseurs sexuels. C’est ce qu’ils racontent, qu’ils sont déculpabilisés. Une fois de plus, on voit la part sombre et la part lumineuse de la sexualité spectacle.

« La sexualité, ce n’est ni laid, ni sale, ni péché »

Alors on fait quoi ? La sexualité spectacle est une bonne chose mais il faut savoir la manipuler. Comment ?

Je veux plus d’éducation à la sexualité. On voit beaucoup et on explique peu. Il y a peu et de moins en moins d’éducation sexuelle. A fortiori, avec les images véhiculées sur Internet, les jeunes en ont vraiment besoin. Et il ne faut pas faire une éducation sexuelle en parlant d’une sexualité menaçante, mais éduquer les enfants aux images auxquelles ils seront confrontés sur Internet. Et surtout leur apprendre à développer un sens critique. La sexualité, ce n’est ni laid, ni sale, ni péché. Il faut juste un regard critique. Il faut redonner sa place à l’intimité. Embrasser, c’est intime. Faire l’amour aussi, il faut l’expliquer. Si on veut profiter de la diversité d’Internet, il faut développer ce sens critique que seule un éducation sexuelle, surtout pas orientée vers la peur, peut apporter. Les mises en garde poussent au contraire à commettre l’interdit, c’est excitant. Les codes parentaux sur les ordinateurs motivent les jeunes à les contourner.  Interdire ne marche pas.

Et la censure non plus.

La censure est une mauvaise solution, elle excite et participe au spectacle !

Michel Dorais. | Photo Dorothée Duchemin

Dans votre livre vous expliquez aussi que l’étalage de sexualité peut tuer le désir.

Oui, le risque, c’est de détruire la machine à fantasme ! On use le désir à montrer tant de facilités dans la résolution sexuelle. Alors bien sûr, sur Internet, on trouve toujours de nouvelles pratiques qui peuvent de nouveau exciter mais, ça s’use très vite.

« La sexualité, on ne la critique pas »

Mais vous décrivez un comportement addictif-là ?

Oui, ça peut être addictif. Là encore j’insiste, rien est mauvais, il faut juste savoir l’utiliser. On voit des images qu’avant on achetait, coupable, sous le manteau. Maintenant, c’est accessible en deux clics. Et c’est très bien. Tout ce qu’on voit est éducatif mais ne suffit pas, il faut aussi savoir l’expliquer, le rationnaliser. La pornographie est le seul spectacle dont il n’existe pas de critiques. Le théâtre, le cinéma, on en parle. La pornographie, jamais. La sexualité, on ne la critique pas. C’est pour ça que je considère qu’on est comme des enfants. La sexualité occupe une place primordiale dans notre vie, ce n’est pas qu’une pulsion, c’est un acte intellectuel. On devrait pouvoir la critiquer.

D’autant plus qu’il n’y a plus de « normes » auxquelles se rattacher. 

La grande question a toujours été : suis-je normale ? Aujourd’hui, les modèles ont explosé. C’est à nous de définir notre propre normalité, et c’est une excellente nouvelle !

Pourtant on a vécu en France un débat violent sur le mariage homosexuel. Les ligues de vertu, qui aime la norme, étaient particulièrement nerveuses et présentes !

Les dinosaures, avant de périr, lance leur plus grand cri. N’oubliez jamais ça ! 
Il n’existe plus de modèle. La sexualité spectacle a permis de le rendre visible. C’est grâce à elle qu’on peut aujourd’hui choisir son modèle. Il faut seulement recadrer tout ça. La sexualité fait partie de la vie citoyenne, l’école doit jouer son rôle.

> La Sexualité spectacle, Michel Dorais, Mars 2013, éditions H&0, mars 2013, 12 euros. 

> Michel Dorais est également l’auteur de « Etre homo aujourd’hui en France » écrit avec Isabelle Chollet. Editions H&O, 2012.

Photo d’illustration en haut de l’article : Couverture de la Sexualité Spectacle, édition canadienne.