Sexe, sang, servitude : Moineau ou l’Histoire par le bas

Sexe, sang, servitude : Moineau ou l’Histoire par le bas

Sexe, sang, servitude : Moineau ou l’Histoire par le bas

Sexe, sang, servitude : Moineau ou l’Histoire par le bas

28 mai 2025

Best-seller aux États-Unis, Moineau est de ces livres qui vous hantent longtemps. Une fresque sans concessions d’une société orgiaque et décadente, âpre et charnelle, où la petite voix d’un enfant-esclave résonne comme un infini cri de douleur.

Enfant des ténèbres

Il est Pusus, le garçon, un garçon parmi d’autres, enfant dans un bordel de Carthago Nova, ville d’« une province abandonnée aux frontières sanglantes d’un empire mourant ». Il n’est personne. Rien de plus qu’une chose, rien de moins qu’une larve. Ses premiers souvenirs de vie sont sur le sol de la cuisine de l’Hélicon, lupanar sordide, au milieu des entrailles et des têtes de poisson tranchées avec férocité par Focaria, la cuisinière. Une Focaria parmi d’autres, elle aussi interchangeable, elle aussi esclave, dans un monde où, privés de leur identité, les esclaves ne sont rien de plus que des biens meubles. Une femme qui élève l’enfant avec une impatience brutale car, dans ces bas-fonds d’une violence abyssale, la tendresse n’a guère sa place.

Heureusement, Pusus a aussi l’amour d’Euterpe, l’une des louves qui œuvre à l’étage, forcée, comme tant d’autres, de faire commerce de son corps. Car dans cette société orgiaque et décadente, les louves jouent un rôle social fort, celui de protéger les femmes honorables des assauts des hommes. Bon marché, mais pratiqués dans des conditions sordides, leurs services sexuels complètent l’offre des auberges et des restaurants de Carthago Nova. Bienvenue dans un monde de débauche, régi par la violence masculine. À l’Hélicon, les femmes, exploitées, finiront par se souder face à ce quotidien d’une brutalité sans nom, fait d’insultes, de coups et de passes sordides, sous l’œil d’un souteneur aussi abject que glaçant.

Il est Pusus, un gamin terrifié par toute cette violence qu’il devine et entrevoit, bientôt trop âgé pour être encore épargné par l’enfance. C’est l’heure d’un apprentissage initiatique de la survie dans un monde d’une violence sans nom. Parfois, quand la réalité franchira un pas de plus dans l’abominable, le garçon laissera son esprit s’envoler. Il deviendra Moineau – Sparrow, pour le titre original – qui regarde de haut son corps d’enfant supplicié.

Moineau, fresque sans concessions d’une société orgiaque et décadente

« Je ne suis qu’un auteur de plus dont personne ne se souviendra jamais, et ce livre n’est qu’un livre de plus qui ne changera rien. »

Il est Pusus, ce narrateur désormais âgé qui, dans ses mémoires, précise d’entrée de jeu au lecteur que rien ne lui sera détourné ni édulcoré. Une « vérité brute », qui prend le lecteur à la gorge, le contraignant à s’enfoncer dans les méandres d’une enfance fracassée, où la brutalité physique rejoint la terreur psychique et où rien ne lui sera épargné. Certains passages sont très brutaux, peut-être excessivement, mais leur violence explicite sert le propos : elle nous met face à la réalité nue, celle des corps possédés, utilisés, abandonnés. Ce partis pris, aussi intense que délibérément voyeur, expérience immersive redoutable, à quelque chose d’avide et de sidérant.

Moineau, fiction historique ou hyperréalisme psychologique ? Sans doute les deux. La puissance de la narration repose sur un subtil équilibre entre documentation minutieuse et plongée sensorielle dans l’intime. Le rythme, très étiré, permet de vivre avec les personnages, de ressentir leurs liens, leurs espoirs, leurs déceptions, leurs peurs et leurs douleurs.

Un seul bémol : une fin trop abrupte, presque fantasmée, qui déroute. Un basculement qui peut apparaître comme une fuite ou une échappée. Peut-être cette fin est-elle compensée par le fait que Moineau n’est, selon son auteur James Hynes, que le premier volet d’une tétralogie. On attend la suite avec impatience !

Moineau de James Hynes

480 pages
Date de publication
16 avril 2025
Éditeur
Fayard
Page du livre sur le site de l’éditeur