« Scrapper », un père et manque

« Scrapper », un père et manque

« Scrapper », un père et manque

« Scrapper », un père et manque

Au cinéma le 10 janvier 2024

Dans la banlieue de Londres, Georgie, 12 ans, vit seule depuis la mort de sa mère. Son univers est chamboulé lorsque Jason, un jeune homme qui se présente comme son père, débarque à l'improviste. Comédie sociale solaire, Scrapper évoque avec tact et poésie le deuil en évitant soigneusement tout misérabilisme et livre une tendre réflexion sur le lien familial. Le tout porté par la fantaisie de l'imagination enfantine entre espoir et réalité.

Depuis la mort prématurée de sa mère, Georgie (Lola Campbell) continue à vivre seule dans la maison familiale. Avec un aplomb impressionnant, la jeune londonienne de 12 ans embrouille les travailleurs sociaux persuadés qu’elle vit chez un oncle en réalité imaginaire. Pour gagner de l’argent, Georgie se débrouille en faisant du trafic de vélos qu’elle subtilise avec l’aide de son ami Ali (Alin Uzun).

Cette vie de mensonges et de débrouille se retrouve menacée lorsque Jason (Harris Dickinson) débarque sans prévenir dans la vie de Georgie. Le jeune homme qu’elle n’a jamais vu prétend être son père. Leur rencontre laisse entrevoir la reconstitution d’une cellule familiale. Mais pour cela, encore faut-il digérer le passé.

Scrapper © photo Scrapper Films Ltd - Star Invest France

Comédie sociale

Avec Scrapper, Charlotte Regan traite de la classe ouvrière anglaise en tenant à distance tout pathos et misérabilisme. Pour contrer la représentation habituelle de la pauvreté, la cinéaste fait évoluer Georgie dans un univers qui tranche avec la palette de couleurs sombres généralement associée aux récits traitant de la misère sociale. Pour cela, Molly Manning Walker, directrice de la photographie et par ailleurs réalisatrice de How to have sex (2023) – lire notre critique – met en valeur un monde qui est loin d’être terne.

L’influence revendiqué du cinéma social de Ken Loach est omniprésente. Ce refus d’un traitement dépressif s’explique également par le parti pris de Charlotte Regan qui décrit cette histoire à travers les yeux de la jeune Georgie. Cette façon d’appréhender le récit à hauteur d’enfant permet une vision volontairement acidulée malgré les difficultés que l’on retrouve également chez Sean Baker dans The Florida Project (2017) – lire notre critique.

Scrapper © photo Scrapper Films Ltd - Star Invest France

Chaos enfantin

Vécu à travers l’expérience d’une enfant débrouillarde de 12 ans qui semble n’avoir besoin de rien ni de personne, Scrapper oscille entre réel et fantasme. Les événements sont volontairement exagérés, distordus ou au contraire ignorés selon la perception de la jeune fille. Une tambouille enfantine que la cinéaste qualifie de « réalisme magique ».

Ce chaos savamment entretenu vient contrebalancer la maturité de Georgie acquise suite à la mort de sa mère avec un comportement qui reste très puéril. Comme pour marquer cette instabilité, le film est entrecoupé par des témoignages de personnes qui côtoient la jeune fille au quotidien.

Comme une intrusion d’une forme documentaire dans la fiction, ils interviennent face caméra et cassent la linéarité du récit. Ces prises à partie du spectateur assez étonnantes font écho à l’imaginaire de Georgie et viennent rappeler la distance nécessaire face à ce que l’on voit à l’écran : un monde fantasmé par une jeune orpheline de 12 ans.

Scrapper © photo Scrapper Films Ltd - Star Invest France

Fantastique

Cette distance permet d’insuffler une part de fantastique dans le quotidien de la jeune fille. Pour exorciser sa peine, Georgie se réinvente une vie à l’aide d’une imagination protectrice. Cette magie du quotidien porte en elle une part de déni devant la douleur d’un deuil impossible.

Le marqueur le plus évident de ce processus est l’étrange pièce dans laquelle Georgie s’enferme pour ériger un étrange monument. Au milieu de la pièce, elle entasse des objets divers les uns sur les autres. Mais, contrairement à Roy Neary dans Rencontres du troisième type (1977) de Spielberg, l’étrange monticule n’est pas la conséquence d’une pulsion irraisonnée.

Pour Georgie, plus ou moins consciemment, ce bric-à-brac qui s’élève jusqu’au plafond symbolise l’attente d’un miracle. Une forme de pensée magique qui permettrait de s’élever vers sa mère disparue pour mieux ressentir sa présence. Cet autel païen dédié à l’être aimé se dévoile progressivement lors de plans poétiques et captivants qui symbolisent le deuil de la jeune fille dont son père autoproclamé est exclu.

Scrapper © photo Scrapper Films Ltd - Star Invest France

Deuil sans étapes

Ayant elle-même perdu son père et sa grand-mère lors de l’écriture du film, Charlotte Regan explore avec Scrapper la façon dont les enfants font face à la mort d’un proche. Une méthode sans règle très différente des adultes. Le tendre chaos qui règne sur le film est un miroir de ce processus désordonné et invite à s’interroger sur cette rationalisation du deuil imposée par la société.

La cinéaste dynamite joyeusement les fameuses cinq étapes du deuil censées nécessaires pour faire son deuil dans de bonnes conditions. Scrapper embrasse la vision de Georgie qui vit son deuil de façon plus complexe, en sautant des étapes quitte à y revenir par la suite.

Ce deuil chaotique et instinctif est à l’image de la vie de la jeune orpheline qui tente de vivre dans la continuité de sa vie d’avant en mentant notamment aux services sociaux. Dans ce monde parallèle sur le fil où le quotidien est hanté par les souvenirs, l’arrivée subite de Jason vient tout chambouler.

Scrapper © photo Scrapper Films Ltd - Star Invest France

Faire famille

Trop immature pour être une véritable figure paternelle, Jason est l’élément qui ramène Georgie à la réalité avec son lot de déception. Il est autant la promesse d’une famille recomposée qu’un fantôme coupable d’abandon rejeté pour cette raison.

Dans un mouvement inversé, Georgie est amenée à se rappeler qu’elle n’est qu’une jeune fille et Jason doit prendre conscience de sa responsabilité de père jamais assumée. À l’inverse d’une réunion entre père et fille sur fond de violons larmoyants, Scrapper démontre que rien n’est simple dans ce processus de réconciliation.

Abandonnée par deux fois, Géorgie a su se débrouiller seule et le retour inattendu de ce supposé père pose la question de son utilité dans sa vie et de la confiance. Cette question de la paternité et d’une façon plus large de la dynamique familiale, Scrapper la pose avec une fantaisie attachante.

Scrapper © photo Scrapper Films Ltd - Star Invest France

Tendre réflexion sur le lien familial, Scrapper charme pour son approche un brin chaotique de la gestion du deuil, entre déni et espérance magique. Dans ce maelstrom d’émotions, la voie sinueuse choisie par la malicieuse Georgie s’avère particulièrement rafraîchissante.

> Scrapper, réalisé par Charlotte Regan, Royaume-Uni, 2023 (1h24)

Scrapper

Date de sortie
10 janvier 2024
Durée
1h24
Réalisé par
Charlotte Regan
Avec
Harris Dickinson, Lola Campbell, Alin Uzun
Pays
Royaume-Uni