Une idée pas si en l’air que ça…
Il y a maintenant 20 ans, Alain Thomas et Alain Binard, les deux principaux fondateurs de l’association, grands amateurs de saut à l’élastique et pratiquants de longue date, ont une idée un peu folle : « l’idée de départ, c’était d’organiser en 1991 une grande opération sida du haut de l’Arche de la Défense, certains travaillaient pas très loin et ils ont eu une idée comme ça, tiens, et si on sautait pour une bonne cause », explique Emmanuel Duperrey, l’actuel président de l’association. À l’époque, Alain Thomas a un ami qui découvre sa séropositivité, ce qui motive son désir de sauter « utile ». « Il voulait allier cette bonne cause à une activité ludique et un défi sur soi, c’est à dire se jeter dans le vide. » Finalement, plusieurs des partenaires se désistent, les autorisations à obtenir sont trop nombreuses et le projet ne se fait pas, « mais ça reste toujours dans nos têtes en tout cas », sourit Emmanuel.
Contre le sida
Mais entre temps, l’association est née, a réussi à rassembler quelques bonnes volontés, des personnes toutes persuadées que « sauter à l’élastique c’est bien, mais pour une bonne cause c’est mieux » et commence à proposer des activités de saut à l’élastique aux communes et comités d’entreprise, en distribuant l’argent ainsi récolté à la lutte contre le sida, notamment à Aides. Elle est aussi présente sur plusieurs festivals, en particulier Solidays, le festival engagé mis en place par Solidarité Sida. Un des avantages que présente Une idée en l’air, en dehors d’un coût bien moindre (voire nul) pour les sauteurs, c’est sa très grande mobilité, puisque les grues de chantiers utilisées peuvent aller presque partout. Pas besoin d’un pont pour s’envoyer en l’air ! Composée uniquement de bénévoles, l’organisation fabrique elle-même ses élastiques en latex (les Benjy, terme francisé issu du « Bungee » néo-zélandais) et, très tatillonne sur la sécurité, fait partie des trois premiers signataires des normes AFNOR édictées en 2001, qui prévoient des limites d’utilisation pour les élastiques et d’autres mesures très strictes.
Action sociale
L’autre pendant de l’association est son action sociale. Ainsi en 1999 et 2002, elle organise des stages de formation dans des quartiers dits « sensibles », où des dizaines de jeunes apprennent à fabriquer un élastique et encadrer le saut. « C’est vrai qu’au début, ils étaient un petit peu turbulents », explique Emmanuel « mais plus la fabrication d’élastique avançait plus ils étaient sérieux, car ils savaient qu’ils allaient sauter avec ces élastiques, qu’ils allaient faire sauter leur camarades, etc ». Forcément ça calme, mais aussi, ça responsabilise, ce n’est pas tous les jours que l’on met la vie d’autres personnes entre vos mains… Depuis, peu de ces initiés sont restés dans l’association, faute de temps, et de mobilité surtout. Mais Emmanuel et les autres bénévoles ne baissent pas les bras. « Dans les quartiers sensibles, nous aimons bien par exemple qu’on mette à notre disposition un ou deux jeunes qui seront exclusivement en charge du déharnachement. On aime les faire participer, pour qu’ils fassent aussi le lien entre eux et nous. »
20 ans déjà, 20 ans encore !
En 20 ans d’existence, l’association a fait sauter des milliers de personnes, toujours dans la bonne humeur et avec la conviction de donner un sens plus profond à cette activité avant tout ludique. Les bénévoles se renouvellent souvent, mais tous sont animés d’un même désir de faire connaître leur discipline, de donner du bon temps au public mais aussi de progresser, saut par saut, dans la lutte contre le sida. Deux décennies, c’est aussi de nombreuses anecdotes, parfois drôles, comme cette femme qui voulait confier son dentier aux bénévoles avant de sauter, et souvent émouvantes. Sur le site, à la page des témoignages, celui, poignant, de Jean-Michel, donne tout son sens à l’action de l’asso :
« Arriver à 54 mètres. Je flippe et j’y repense. Pourquoi il y a 4 ans alors que je savais tout sur les risques et les stratégies de prévention, oui, pourquoi malgré tout ce cher latex qui sauve nos vies je l’ai oublié. Là haut tout est calme autour de nous la vie suit son cours et là doucement je me penche en avant et là en un instant tout bascule… L’équilibre est rompu, mon médecin m’annonce la nouvelle VOUS ETES SEROPO AU VIH. Mon corps bascule dans le vide, mon équilibre est rompu, mes jours sont comptés. Aujourd’hui le 29 juin 2002 le virus dévore mon corps, c’est officiel plus rien ne sera comme avant. Le sol se rapproche rapidement mais une chance aujourd’hui, j’ai respecté les règles. Le LATEX je ne l’ai pas oublié. Ce cordon me tire vers le haut vers la nacelle ou rien n’a changé, Neuneu est toujours là, un peu secoué par ce qui s’est passé comme l’étaient mes amis le jour de mon résultat. »
Le grand saut
Citazine, même pas peur, a décidé que ce reportage ne serait pas complet sans l’expérience du saut. Petits rappels préalables, il est déconseillé de sauter aux femmes enceintes, aux diabétiques (sauf munis d’une pompe à insuline), aux épileptiques ainsi qu’aux personnes ayant des hanches artificielles ou des broches dans la colonne vertébrale. L’âge minimum est généralement de 6 ans (avec vérification rigoureuse de la signature sur place du parent ou tuteur), mais en fait, c’est surtout le poids qui est important : pas moins de 40 kilos « pour que l’élastique puisse jouer son rôle », précise Emmanuel. Une fois vérifiés ces points, c’est parti : « le seul conseil c’est vraiment d’en profiter au maximum et d’avoir le sourire car ce n’est vraiment qu’un très bon moment à passer. »
En arrivant dans le stand, on est pesé et notre poids est noté sur notre main au marqueur. Si l’on saute à plusieurs, le total des poids est noté en dessous, il servira à déterminer l’élastique utilisé. Ensuite, on vide ses poches, on enlève les bijoux trop lâches, les chaussures si elles ne tiennent pas bien, et on passe au harnachement. Harnais, jambières et sangles sont mis en place par des bénévoles formés, qui tentent de détendre des sourires un peu crispés des futurs sauteurs. Après une courte mais très angoissante attente, il est temps de monter dans la nacelle, seul, à deux ou à trois, face à face ou côte à côte. De nouveau, des sangles sont fixées et des mousquetons vissés pendant que le cœur commence à battre la chamade.
Pendant la montée de la nacelle, il est déconseillé de regarder vers le bas, on encourage plutôt à regarder l’horizon, on en voit des choses à 55 mètres de hauteur ! Ca peut aussi être l’occasion de se maudire (Citazine, même pas peur, mais un peu quand même). L’accompagnateur est toujours présent et rassurant, et l’on peut changer d’avis à n’importe quel moment. Mais bizarrement, et contre toute logique de préservation de soi, une fois arrivé en haut, on n’a qu’une envie : se lancer. L’accompagnateur compte jusqu’à trois et on bascule dans le vide, une sensation vraiment indescriptible, un mélange de délice et de terreur totale ! Puis on sent l’élastique qui se tend, la peur s’estompe un peu, ouf, on est en vie ! Quelques rebonds plus tard et on redescend, avec une voix qui hurle « attrape la sangle entre tes jambes ! » pour l’atterrissage. On va, les jambes flageolantes comme après un orgasme phénoménal, se faire enlever tout l’attirail. En tout et pour tout, cela représente peut-être une demie heure et pourtant, on en ressort changé, fier de s’être dépassé et prêt à recommencer… mais pas tout de suite !
Le 14 juillet, les sauteurs avaient la possibilité de toucher l’eau pendant leur saut, mais il faudra attendre l’année prochaine avant de pouvoir avoir cette occasion à nouveau. Entre temps, Une idée en l’air propose plusieurs dates, que vous trouverez mises à jour sur cette page. Si le saut à l’élastique vous tente, c’est vraiment une façon très agréable de découvrir la discipline, en étant bien encadré et en sachant que l’on saute utile, d’où le mot d’ordre de l’association « s’envoyer en l’air mais jamais sans son latex » !