La ride de la lionne

La ride de la lionne

La ride de la lionne

La ride de la lionne

24 mai 2011

Jeune, engagée, drôle, moderne, Thérèse Clerc, 83 ans, fondatrice de la Maison des femmes de Montreuil et, bientôt, d'une maison autogérée par et pour les femmes du troisième âge, est tout à la fois. Mariée en 40, mère en 50, divorcée et révolutionnaire en 60, avorteuse en 70 et militante depuis, elle a eu plusieurs vies. Portrait d'une militante atypique qui veut révolutionner le quotidien des « vieux ».

C’est seule, chez elle, en proche banlieue parisienne, que Thérèse Clerc, octogénaire plus vive qu’une jouvencelle exaltée, accueille et tutoie gens de presse et autres étudiants, « au moins un par jour », venus l’écouter parler. Cafetière en ébullition, elle reçoit sur une vieille table en bois. « Cette table a une histoire, avant 1975 et la loi Veil, j’y ai fait plusieurs avortements clandestins ». L’anecdote est à l’image de cette conteuse du réel, militante, contemporaine et pour tout dire, un poil en avance sur son temps. En 2011, Thérèse n’avorte plus mais veut «  modéliser un nouveau type de vieillesse, une vieillesse qui ne soit plus, comme le milieu médical veut le faire croire, une pathologie ». Avec son association féministe des Babayagas, elle projette donc de monter un immeuble autogéré « pour vieux ». A l’intérieur, une université du savoir pour les vieux, UNISAVIE, quinze femmes, aucun homme et une ambition, « activer la citoyenneté des personnes du troisième âge. »

« En 1968… j’étais celle qui défilait en talons aiguilles et en tailleur Chanel »

L’œil pétillant, la ride joviale et déjà quatre-vingt-trois printemps, Thérèse ringardise mamie Damart, physiquement et intellectuellement. « Les neurologues disent que si l’on fait fonctionner sa tête dans un sens intelligent, on fabrique encore des neurones et les synapses restent souples  », analyse-t-elle simplement. Aujourd’hui comme hier, c’est sa vie militante qui semble la stimuler, « c’est le fondement existentiel de toute humanité… Tu apprends des choses qui servent à la transformation sociale, tu y rencontres des amours, des amis. C’est un plaisir de vivre et d’exister. »

Pourtant, rien ne prédestinait Thérèse à cette vie là. Née en 1927, d’un père ancien combattant, appartenant à l’association nationaliste des Croix-de-Feu et d’une mère catholique, elle reçoit une éducation « traditionnelle ». Terrain fertile pour une « vie rangée ». En 1948, elle a 21 ans et se marie, parce que ça se fait. « J’ai été mal mariée, mais est-ce que les bons mariages existent ? », jette-t-elle sans rancœur mais en ayant une idée de la réponse. Ils ont quatre enfants, lui travaille, elle s’occupe de la maison. Mais bientôt la jeunesse s’émancipe, Thérèse, qui a le double de leur âge, va les suivre. « En 1968, j’avais 41 ans, je m’occupais des enfants avant qu’ils aillent à l’école, je torchais la maison vite fait puis je rejoignais les étudiants. J’étais celle qui défilait en talons et en tailleur Chanel. » Elle préfère alors la fac des scientifiques à celle des littéraires, « la Sorbonne était trop sale, j’avais encore des principes à l’époque », rigole-t-elle. Ces principes justement, elle les envoie valser une fois la révolution terminée et divorce. Sa première vie s’achève.

« Je ne veux pas être marchandisée, je veux rester intelligente et autonome »

Une nouvelle aventure commence alors. « A cette époque, je travaillais juste pour gagner de quoi nourrir mes enfants. » A côté de ça, elle milite, dans des associations féministes surtout, jusqu’à fonder la Maison des femmes de Montreuil. L’idée est simple : améliorer leurs conditions et s’entraider. « C’est un combat important. Aujourd’hui, je constate que les femmes sont encore moins visibles qu’il y a quelques années. Mais moi qui parcours la France en long et en large, je me rends compte que ce sont elles qui assurent le lien social… partout. » Quelques années après la Maison des femmes, elle créé toute seule l’association féministe du troisième âge, les Babayagas, et décide de n’y accueillir que des femmes. « C’est un choix assumé. On ne veut pas que les hommes viennent et prennent le pouvoir mais ça encore, il ya peu de chances que ça arrive avec nos forts caractères. En revanche, les petits vieux qui viennent pour se faire materner, c’est un vrai risque. »

Entre temps, elle quitte la présidence de la Maison des femmes de Montreuil. Faut dire que sa nouvelle association lui prend du temps et l’ambition est grande. « La vieillesse est un lobby financier extraordinaire, il y a les laboratoires qui nous bourrent de médicaments, les boutiques de service qui fleurissent comme des champignons… C’est une façon de lutter contre la marchandisation du corps. Moi, je ne veux pas être marchandisée, je veux rester intelligente et autonome. » Pour ça, elle souhaite monter une maison autogérée pour personnes âgées. « Les vieux, il faut vraiment les secouer pour qu’ils ne jouent plus seulement au scrabble et à la belote. Aujourd’hui les animations dans les maisons de retraite sont lamentables. » Conscience politique et conscience sociale, Thérèse Clerc ébruite l’indicible. Sans tabou, elle parle des « vieux », elle parle d’elle, de son futur, et se réapproprie ce que les personnes âgées perdent avant leur tête, l’envie de vivre… pleinement.

La première pierre du futur immeuble autogéré par les Babayagas devrait être posée en octobre. En attendant, Thérèse continue de vivre sans homme, « pas le temps », mais loin d’être seule, elle continue de militer pour changer de vie. « Je trouve qu’en France aujourd’hui, il n’y a plus d’élan créateur, plus d’utopistes. Moi je veux montrer qu’on peut vivre autrement. » Assurément, elle est sur la bonne voie.

 

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Thérèse Clerc a fait l’objet, en 2007, d’une biographie : Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs, de Danièle Michel-Chich, Editions Des femmes – Antoinette Fouque.