Article initialement publié le 21 septembre dernier.
Dimanche 21 octobre, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, s’est prononcée pour une expérimentation des salles de shoot en France avant la fin de l’année 2012. Elle a déclaré à BFM TV que "plusieurs municipalités, de droite comme de gauche, étaient prêtes à s’engager" pour accueillir ces salles de consommation à moindre risque. Un soutien clair du gouvernement qui intervient quelques jours après la présentation d’un projet de salle de consommation à Paris, voulue par Médecins du Monde et Gaïa-Paris qui attendent le "feu vert rapide du gouvernement". En septembre dernier, alors que le député PS Jean-Marie Le Guen avait relancé la polémique en se prononçant pour l’ouverture de telles salles, Citazine avait demandé au Dr Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du monde, pourquoi l’ouverture des salles d’injection lui semblait indispensable.
Pourquoi faut-il ouvrir des salles de shoot en France, à Paris notamment ?
Médecins du Monde travaille depuis plusieurs années sur la question de la réduction des risques. On s’est impliqué sur ce sujet quand l’épidémie de Sida faisait des ravages notamment chez les usagers de drogues. Ce qui nous a poussé à mettre en place les programmes d’échanges de seringues et de substitution avec la Méthadone, afin que ces programmes soient intégrés dans le droit commun. Sur la question des innovations concernant l’injection, on mène un programme via Médecins du monde Espagne : une salle de consommation à moindre de risque ouverte depuis 8 ans à Bilbao. Ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir suffisamment de recul sur les limites et les bénéfices de ces programmes. Nous proposons en partenariat avec l’association Gaïa et dans un contexte d’urgence sanitaire à améliorer la prise en charge médicale et l’accompagnement social des usagers de drogues par voies intraveineuses. On sait par des enquêtes que près de 60% sont infectés par le virus de l’hépatite C. Les programmes autour de la transmission du Sida, ne sont ni satisfaisants, ni fonctionnels et ne réduisent pas l’épidémie d’hépatite C. Les pratiques avec les risques d’overdoses sont encore nombreuses. Au regard de notre expérience à Bilbao et de l’expérience collective, notamment l’enquête publiée par l’Inserm, il existe un intérêt objectif à mettre en place les salles de consommations à moindre risque pour répondre à ces enjeux de santé publics, de manière pragmatique, loin des enjeux idéologiques.
La salle de shoot diminue les violences liées aux injections dans la rue
A quel type de public s’adresse les salles de consommation à moindre risque ?
Pour toutes les personnes qui sont amenées à s’injecter de la drogue. Cela permet à des personnes en grande précarité de réintégrer un parcours de soins et un parcours social. Un parcours de soin où sera proposé un dépistage du VIH et VHC et un enseignement préventif concernant le VIH, VHC, les hépatites, abcès et overdoses. En plus de la possibilité d’accompagner ces ce public dans une démarche d’intégration sociale. On est bien au cœur d’un dispositif médico-social.
Par ailleurs j’insiste sur le fait que ce n’est pas parce que ces salles de consommations sont ouvertes qu’il y a une augmentation de la consommation globale. A Bilbao, on ne constate pas non plus d’augmentation des infractions et des violences en périphéries de ces salles, bien au contraire. On assiste à une diminution des violences générées par la pratique de l’injection. Ces salles d’injection sont le contraire d’un facteur d’instabilité.
Elaborer une salle de consommation, c’est en amont travailler avec les acteurs politiques, travailler avec les forces de l’ordre, les citoyens. Ça prend du temps. Il faut prendre le temps de mettre en place une démarche pédagogique très forte car les détracteurs ont vraiment mis en place des mythes autour des salles de shoot. Il faut avoir une réponse pragmatique et rationnelle par rapport à un enjeu de santé publique urgent.
Selon vous, la politique française en matière de réduction des risques liés à la consommation de drogue est-elle insuffisante ?
Au regard des indicateurs de santé et de l’absence de dispositifs, notamment pour éviter la transmission de l’hépatiite C, oui. La France est vraiment très en retard par rapport aux pays européens et à plusieurs pays dans le monde (la Suisse compte 13 salles de consommation, l’Allemagne 26, l’Espagne 7, les Pays-Bas 37, le Luxembourg 1, la Norvège 1,ndlr). Pourtant on peut s’appuyer sur des expériences faites ailleurs et qui montrent qu’on a des solutions pragmatiques et objectives à mettre en avant pour répondre.
Une salle de shoot réduit les risques pour les riverains
En fait, en France, dès qu’on parle de drogue, on ne parvient pas à dépassionner le débat.
Oui, mais le débat est allé au delà des cadres partisans. Des personnalités de droite comme de gauche se sont positionnées en faveur de ce dispositif en ayant une vision "santé publique" (Roselyne Bachelot, Nadine Morano, Jean-Claude Gaudin sont pour l’ouverture de ces salles, Alain Juppé s’est dit ouvert au débat, ndlr). Il reste des contradicteurs, qui mettent plutôt en avant des postures idéologiques et des mythes plutôt qu’une approche rationnelle qu’on devrait avoir quand on parle de médecine.
Et que répondez-vous aux détracteurs des salles de shoot pour qui l’Etat prendrait alors le risque d’être responsable d’une overdose ou d’un crime commis après une injection dans une de ces salles ?
Là, c’est à l’Etat de répondre, si il prend la responsabilité de s’engager. Pour l’instant, on voit que l’absence de dispositif génère des violences liées à un manque de prise en charge, pour les riverains et une mise en danger objective des usagers de drogues, notamment concernant le VIH et le VHC (virus de l’hépatite C, ndlr).
C’est bien le VHC, le problème majeur ?
Oui l’hépatite C, c’est un gros problème. Sur le plan physiopathologique, le VIH meurt très rapidement à l’air libre alors que le virus de l’hépatite C meurt seulement au bout de trois semaines. Le moindre coton ou garrot utilisé par un usager peut être infectant. Le programme d’échange de seringues n’est pas suffisant pour maîtriser le virus qui frappe de plein fouet les consommateurs de drogues par intraveineuse.
L’épidémie d’hépatite C coûte cher à l’Etat
Quels sont les chiffres ?
Le pourcentage d’infectés chez les usagers de drogues est très grand. On compte 60% d’infectés. Cette épidémie n’est pas maîtrisée et conduit à un impact clinique fort : cancer du foie, décès. Ce virus tue des personnes et implique un coût de prise en charge très élevé. Travailler sur la prévention en amont c’est à la fois répondre à une exigence de santé individuelle et à la fois répondre à une question de santé publique. Il faut vraiment voir ce dispositif comme un dispositif médico-social qui permet aussi de raccrocher les personnes en grande précarité, souvent marginalisée, dans un parcours de soin, et un parcours social.
Les chiffres de personnes atteintes par le VHC ont-ils véritablement baissé grâce aux salles de shoot, à Bilbao par exemple ?
C’est très difficile de faire des enquêtes sur l’apparition de nouveaux cas d’hépatite C. Il est par contre démontré qu’en informant et on apprenant aux personnes à limiter les risques liés à l’injection et les risques de transmettre la maladie, les comportements changent facilement. De fait, ces changements ont un impact sur la transmission et le développement du virus.
Le candidat Hollande s’est engagé
Pensez-vous qu’on soit sur la bonne voie en France ?
On l’espère. Le candidat Hollande s’est engagé à répondre à cette exigence, il a déclaré être favorable à l’expérimentation d’actions nouvelles, pour améliorer la santé des usagers de drogues. On espère qu’il ira au bout de ses promesses. Tout comme le conseil de Paris s’est déclaré pour une expérimentation en 2010. Maintenant il faut avancer. Il y a une urgence de santé publique et des acteurs comme MDM et Gaïa-France, prêts à être immédiatement opérationnels sur Paris, avec bien évidemment une démarche expérimentale tout d’abord, de manière à évaluer de manière scientifique et rationnelle l’impact de ces dispositifs (sur leur environnement, ndlr). On espère une validation politique sans plus tarder.
On chiffre une salle de shoot entre 300 000 et un million d’euros de coût de fonctionnement, vous confirmez ?
Ça dépend de la taille de la salle mais oui, cela me semble être une fourchette raisonnable. L’aspect financier peut effectivement être une contrainte. Mais on parle d’un dispositif médico-social, au même titre que beaucoup d’autres dispositifs médico-sociaux qui existent déjà, qui répond à un véritable problème de santé publique.
Comment les riverains, à Bilbao notamment, perçoivent l’ouverture de ces lieux d’injection ?
Les premières réactions sont toujours très partagées avec des interrogations autour des questions de sécurité qu’elles peuvent impliquer, mais on parle de zones où les usagers s’injectent leur produit dans des conditions désastreuses, très loin des règles de prévention et qui peuvent générer des situations de violences. A Bilbao, il y a eu des discussions, des débats, de la pédagogie autour de la déconstruction de certains mythes. Au final, les riverains sont plutôt satisfaits de ces dispositifs qui n’ont pas occasionné de dégradation de leurs conditions d’existence mais au contraire ont amélioré les questions de sécurité en lien avec l’usage de drogue.
Les consommateurs de drogues entrent-ils facilement dans une salle consommation à moindre risque ?
Dans tous les cas, il faut faire un travail à plusieurs niveaux, les riverains, les politiques, les forces de l’ordre et aussi les consommateurs. Concernant les usagers, ils doivent connaître l’existence du dispositif, être rassurés sur le fait qu’ils ne prennent pas de risques en s’y rendant, il faut vraiment les mettre en confiance.