Alors que l’immobilier connaît une crise sans précédent et qu’il faut parfois attendre dix ans pour emménager dans un HLM, l’habitat participatif semble une solution envisageable. On vit ensemble, de plus en plus. Dans des immeubles qui jonglent entre espaces privatifs et espaces communs. On appelle cette pratique l’habitat participatif. Nous avons choisi de nous pencher sur l’une de ses applications : l’habitat coopératif. Peu développé en France, il a connu son âge d’or entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 70, abandonné au profit des logements HLM. Cette alternative immobilière est remise au goût du jour depuis le début des années 2000. Etat d’esprit, militantisme ou système D face à la crise du logement, l’habitat coopératif est en tout cas très en vogue.
Qu’est-ce que l’habitat coopératif ?
L’habitat coopératif permet à un groupe de personnes d’accéder à un logement de qualité et à une forme particulière de propriété. Chaque les membre du groupe détient une part dans la coopérative et est collectivement propriétaire des biens qu’elle détient. Les futurs habitants apportent un pécule et empruntent le reste de la somme nécessaire auprès des banques. Ils occupent des logements pour lesquels ils paient ce qu’Emmanuel Vivien, coordinateur de l’association HabiCoop, appelle "la redevance". « Il s’agit des charges sociales, du remboursement de l’emprunt fait aux banques et de quoi alimenter la trésorerie de la coopérative pour l’impôt sur les sociétés, les travaux, etc. Les loyers sont fixés par la coopérative mais ils n’excèdent pas 8,25 euros le m² ». (1)
La propriété collective est l’un des trois piliers de la coopérative. Le deuxième est un pouvoir totalement démocratique. Il s’appuie sur un principe simple : une personne, une voix. Et ce, indépendamment du nombre de part détenue dans la société. Enfin, les biens de la coopérative échappent à la spéculation immobilière, les parts sociales n’étant pas ou très peu revalorisées.
Une philosophie
Si l’atout budgétaire est évident, l’habitat coopératif, de même que l’habitat participatif en général, correspond à une véritable philosophie. Ces personnes décident de mener ensemble un projet commun qui peut prendre des années. Toutes prônent la solidarité, le partage, l’entraide et veulent tisser de véritables liens avec leurs voisins. Sur le terrain, les habitants possèdent des espaces privés mais également de nombreux espaces collectifs que la communauté doit entretenir. Emmanuel Vivien précise : « Un des grands principes de l’habitat coopératif, ce sont les espaces partagés. La buanderie, le jardin, une salle polyvalente, et une chambre d’amis sont le plus souvent des lieux collectifs ».
Par ailleurs, la plupart de ces groupes sont largement sensibilisés à la question environnementale. Camille Devaux, chercheuse en urbanisme et politiques de l’habitat, confirme : « la démarche écologique est une chose intégrée par tous les candidats à l’habitat participatif. Et pour eux, ce n’est pas un alibi, c’est véritablement leur art de vivre. D’ailleurs, si c’est Europe Ecologie qui s’est saisi du dossier, ce n’est pas pour rien. »
Solidarité, respect de l’environnement, etc. On doit également être capable de s’astreindre à une discipline.
Pour Camille Devaux, « une telle entreprise nécessite beaucoup de rigueur, de respect et d’écoute. Il est nécessaire de mettre en place un fonctionnement cadré avec un partage précis des tâches et des responsabilités. » Emmanuel Vivien insiste quant à lui sur l’importance d’établir une charte qui énumère les valeurs sur lesquelles le groupe a décidé de se construire et de bien s’impliquer dans l’ensemble du processus, de l’élaboration à l’entretien en passant par la construction.
Des logements pour qui ?
Sur le papier, c’est idéal. L’habitat coopératif a vocation à accueillir tout le monde et fonde sa démarche sur la mixité sociale et générationnelle.
Si les loyers sont effectivement modérés, il faut tout de même apporter son propre pécule. Puisque l’apport est mutualisé et global, en principe, celui qui n’a rien peut intégrer un logement coopératif. « Dans la réalité, on se méfie tout de même davantage d’une personne qui n’apporte rien », résume Camille Devaux.
La jeune fille explique également que les membres du groupe possèdent chacun des qualités ou connaissances qui leur sont propres. « Souvent, ces groupes sont composés d’architectes, urbanistes, ingénieurs en bâtiment qui connaissent le langage et ont les contacts. » D’autant plus qu’il faut être capable de convaincre des banques frileuses et des investisseurs soupçonneux.
Quel est le profil de ces personnes ? « Ces gens n’ont pas forcément de capital financier important mais possèdent un solide capital militant, social et culturel. On est encore sur un type de ménage privilégié mais le mouvement en a pleinement conscience », répond Camille Devaux. D’après elle, les candidats veulent véritablement démocratiser l’accès à ce type de logement et élargir ses frontières actuelles à une classe de la population qui n’a « ni les compétences, ni l’apport financier, ni le temps ». Par ailleurs, les raisons d’être d’une association telle HabiCoop est justement un accompagnement rapproché sur les chemins méandreux de l’habitat coopératif. L’association mène un combat depuis des années : la reconnaissance de cet habitat alternatif comme une troisième voie après la propriété et le locatif.
Doit-on créer un statut pour l’habitat coopératif ?
HabiCoop poursuit ce but depuis 2005. Elle attend une reconnaissance des pouvoirs publics et mène un lobbying pour obtenir un statut par la voie législative. Emmanuel Vivien décrit la situation actuelle : « On ne peut qu’appliquer ce qui existe et ce qui est légal. En ce moment, on fait du sur-mesure, de la haute-couture en fonction des besoins de chaque groupe-projet et des personnes qui la composent. Si on veut reproduire ce type de projet comme une troisième voie, il faut un statut spécifique, facile d’accès, bien connu par les professionnels, les notaires, les bailleurs sociaux, etc. ».
Pourquoi vouloir coûte que coûte obtenir un statut ? Simplifier l’accès à l’habitat coopératif, permettre aux acteurs du logement de n’avoir qu’une seule référence. Plus largement, l’ambition est de proposer une réponse face à la crise du logement. A l’heure actuelle, si Emmanuel Vivien voit un intérêt croissant de la part des municipalités, des collectivités territoriales et même de certains députés, il montre du doigt le gouvernement : « clairement à l’heure actuelle, il a d’autres priorités en matière de logement. » Pour Camille Devaux, « il vaudrait mieux effectuer un ajustement mais laisser une marge de manœuvre aux groupes. Un produit uniformisé, n’est, je pense, pas dans l’esprit du projet. Il faut trouver des ajustements mais ne pas s’enfermer dans un carcan ».
Le Village vertical : projet pilote
En France, le projet pilote qui a essuyé les plâtres est le Village Vertical, à Villeurbanne (Rhône), véritable laboratoire de l’habitat coopératif. Le groupe a lancé le projet en 2005 et devrait intégrer les lieux en 2012 ou 2013 seulement. Le premier coup de pioche sera donné fin avril. Le parcours semble ne plus finir ! Mais Emmanuel Vivien affirme que, dans le futur, il ne faudra plus que quatre ans entre l’idée et l’entrée dans les lieux. Le bâtiment compte quatorze logements dont un destiné à pouvoir héberger des personnes sans domicile. Et le pari de la mixité générationnelle est remporté : les plus jeunes ont 25 ans, les plus vieux, une cinquantaine d’années. Village vertical et Habicoop sont partenaires depuis les balbutiements du projet.
En page d’accueil du site, on lit : « Crise financière mondiale, flambée du prix des énergies fossiles, explosion de la spéculation immobilière, ghettoïsation urbaine, réchauffement climatique, crise du logement social, montée des individualismes, développement de la précarité… Ces problèmes, qui font la Une des journaux, et que nous subissons au quotidien, nous obligent à inventer et innover dans de nombreux domaines, jusque dans notre quotidien et notre intimité. L’habitat collectif constitue un champ privilégié pour mener des expériences alternatives. Dans un secteur aussi vital que le logement, nous refusons de voir la recherche du profit à court terme prendre le pas sur les valeurs humaines et environnementales. C’est le sens même du projet porté par le Village Vertical, coopérative d’habitants pilote, laboratoire d’écologie urbaine… »
Une pratique très développée à l’étranger
L’habitat coopératif est une troisième voix très développée dans de nombreux pays, surtout dans les grandes villes. A Stockholm, le pourcentage de ce type d’habitat s’élèverait à 25% du parc, 15% à Genève et même 40% à Oslo. Et les chiffres grimpent sans cesse. Qu’est-ce qui explique le retard de la France par rapport à ses voisins ? Depuis longtemps, ces pays sont dotés d’un statut pour ce type d’habitation. Emmanuel Vivien affirme : « L’Etat encourage ce type d’habitation, puisqu’il existe une norme et un statut juridique propre. »
Camille Devaux insiste cependant sur la question de la transposabilité. Ce qui est appliqué dans ces pays est-il forcément applicable en France, où le logement social est un pilier, en tout cas dans les mentalités, de la Ve République : « Les coopératives se sont lancé au Québec ou en Suisse pour pallier le manquement de l’Etat qui s’est retiré du logement social à la fin des années 90. En France, nous sommes dans une culture du logement social. L’argument du palliatif, comme au Canada, n’est pas vraiment justifié chez nous. » La crise du logement est réelle mais la France a déjà sa contre-attaque : le HLM, 4 millions de logements, 400 organismes mais toujours au cœur de l’actualité et des polémiques.
Actuellement, en France, plus de 150 groupes-projets se sont formés. Tous ont décidé de s’engager sur cette troisième voie de l’habitat. Si l’habitat coopératif ne correspond pas à la culture française, en tout cas, dans les pays pionniers, c’est une réussite !
Erratum, MàJ le 4 mai 2011 : – les coopérateurs ne s’acquittent pas de charges sociales mais locatives. – Au Village Vertical, aucun lieu d’accueil n’est prévu pour des SDF mais 4 logements sont destinés à héberger des personnes aux revenus très modestes.
(1) : Dans le cadre d’un financement PLS sur Lyon ou Villeurbanne. (MàJ le 4 mai 2011).