« Poulet frites », un Strip-tease mortel

« Poulet frites », un Strip-tease mortel

« Poulet frites », un Strip-tease mortel

« Poulet frites », un Strip-tease mortel

Au cinéma le 28 septembre 2022

Le commissaire Lemoine se voit confier l'enquête sur le meurtre d'une prostituée bruxelloise. Alors que tous les indices - notamment des frites - semblent désigner un coupable idéal, l'affaire prend une tournure inattendue. Pour ce second opus au cinéma, l'équipe de l'émission culte Strip-tease replonge dans ses archives pour reconstituer un polar labyrinthique. Rendu intemporel par le noir et blanc, Poulet frites est un véritable polar à l'intrigue prenante où surnagent humour noir, désespoir social et une touchante humanité.

Kalika, prostituée bruxelloise, est retrouvée égorgée dans son appartement de Bruxelles. Très vite, l’enquête du commissaire Lemoine se focalise sur Alain.  Ex-compagnon de la victime, boucher et addict aux drogues, l’homme semble être le coupable idéal. Des témoins et même des frites retrouvées chez lui indiquent qu’il est coupable du meurtre.

Mais il y a un hic. Malgré des preuves accablantes, Alain ne se souvient absolument pas d’avoir tué son ex-compagne. Alors que le commissaire Lemoine et ses collègues tentent de faire avouer l’homme amnésique, d’autres éléments troublants sèment le doute. Et si cette affaire était bien plus compliquée qu’il n’y paraît ?

Poulet frites © Le bureau - Chez Georges - Artémis production – RTBF - Apollo Films

Le strip style

Programme documentaire belge né en 1985 sur la RTBF1, Strip-tease devient belgo-français dès 1987 avec sa diffusion sur Canal + puis France 3. Avec son célèbre slogan le « magazine qui vous déshabille », l’émission intrigue et détonne parmi les documentaires habituels. Avec son parti pris qui cherche à capter le réel sans fioritures, l’émission s’impose comme une curiosité qui finit par devenir culte au fil des années. Certains épisodes comme Au pays des merveilles, La soucoupe et le perroquet ou Le parapluie de Cherbourg avec Jean-Pierre Mocky en pleine forme (Moteur !!!) sont devenus des classiques de la culture télévisuelle.

Sans commentaire, interview ou musique, Strip-tease renvoie à la société un miroir souvent amusant mais aussi parfois dérangeant. De quoi provoquer réactions et débats depuis trente-cinq ans. Des épisodes inlassablement accompagnés du fameux morceau Combo Belge nous laissant parfois pantois face à ce que l’on vient de voir.

Ces règles strictes que les créateurs de Strip-tease désignent non sans malice comme un dogme bien plus strict que celui de Lars Von Trier se retrouvent dans ce long métrage de cinéma. Une nouvelle aventure cinématographique qui fait revivre une histoire criminelle aux ramifications étonnantes.

Poulet frites © Le bureau - Chez Georges - Artémis production – RTBF - Apollo Films

Cold case

Cette seconde incursion en format long métrage fait suite au décoiffant Ni juge ni soumise (2017) qui met en scène le quotidien de la femme de loi Anne Gruwez. La juge est d’ailleurs présente dans Poulet frites aux côtés du commissaire Jean-Michel Lemoine pour tenter de résoudre cette sordide affaire. Jean Libon et Yves Hinant ressuscitent avec ce nouveau film une affaire qui avait déjà été traitée dans la série documentaire.

Prisonniers d’un confinement, les deux cinéastes se sont plongés dans leurs archives à la recherche d’une histoire qui tiendrait la route sur la longueur. Poulet frites est le remontage de trois épisodes de 52 minutes diffusés il y a une quinzaine d’années sous le nom Le flic, la juge et l’assassin. En passant l’image en noir et blanc, Jean Libon et Yves Hinant jouent le côté intemporel de cette histoire de meurtre, un féminicide qui n’a malheureusement rien perdu de son actualité.

Parfaite porte d’entrée pour explorer l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus terrible mais aussi de beau, cette histoire criminelle s’est rapidement imposée. Poulet frites est un sacré tour de grand huit dont les rebondissements nous entraînent de l’horreur à la compassion en passant par le doute et la sidération. Avec la touche Strip-tease qui crée parfois le malaise.

Poulet frites © Le bureau - Chez Georges - Artémis production – RTBF - Apollo Films

Mise à distance

En ne filtrant rien, un épisode de Strip-tease provoque souvent le malaise pour le voyeur qui se délecte de cette réalité brute. En explorant une histoire de crime, Poulet frites flirte avec cette sensation de parfois voir ou entendre ce que l’on ne préfère pas confronter. Dans ce polar très terre à terre, ce sont les réflexions décomplexées des policiers ou de la juge qui peuvent parfois faire réagir.

Pour dédramatiser une situation macabre, les mots échangés entre les fonctionnaires qui ne passent en général pas le filtre du documentaire sont ici exposés par la règle stricte de Strip-tease. Autant de réflexions et traits d’humour – noirs évidemment – qui peuvent être jugés choquants pour la victime et ses proches. Le malaise est parfois d’autant plus palpable lorsque les conversations se nourrissent de clichés sociaux flirtant avec un racisme qui n’est pas conscient de lui-même.

Mais comme d’habitude avec l’esprit Strip-tease, cette ironie moqueuse provient également de notre regard. Les épisodes les plus amusants de la série ne le sont pas intrinsèquement. Notre regard – et certainement un mauvais esprit collectif – a forgé ces moments cultes dont la polémique dénonce une certaine cruauté. L’absence de filtre nous renvoie à notre propre jugement sur les situations et les gens. Et parfois un manque d’empathie moqueur aussi humain que terrifiant.

Poulet frites © Le bureau - Chez Georges - Artémis production – RTBF - Apollo Films

La mémoire qui flanche

Au cœur du mystère sur le meurtre de la malheureuse Kalika, il y a l’oubli. Et si elle est déconcertante au départ de l’enquête pour le commissaire Lemoine, cette amnésie du principal suspect se transforme en malédiction pour l’avancée de l’enquête. Pourtant tout semble si simple au départ. Avec des preuves accablantes, Alain est forcément le meurtrier de son ex-compagne.

Mais il le jure entre deux sanglots : jamais il n’aurait fait ça. Il a déjà menacé quelqu’un avec un couteau à la main, il le reconnaît. Mais jamais il n’aurait tranché la gorge d’une femme. S’il l’avait fait, il s’en souviendrait quand même ! Évidemment la déclaration du suspect est remise en cause face aux preuves qui s’accumulent. Même une preuve aussi triviale que des frites retrouvées chez lui et dans l’estomac de la victime l’accusent.

Et pourtant, le film bascule lorsque cet oubli qui pourrait n’être qu’une lâche excuse pour ne pas assumer un acte horrible devient une véritable souffrance. Cette amnésie absorbe l’enquête tel un trou noir et plus rien ne semble si évident. Est-il vraiment possible d’égorger une personne et ne pas s’en souvenir ? La question s’impose à nous et donne le vertige.

Poulet frites © Le bureau - Chez Georges - Artémis production – RTBF - Apollo Films

À sa place

Le black-out dérangeant du suspect et des rebondissements entraînent l’affaire ailleurs. Alors que la quête des aveux débouche sur une impasse mystérieuse, l’enquête s’éparpille dans tous les sens. Le commissaire et la juge tentent de suivre toutes les pistes d’un meurtre qui remettent sans cesse en cause leurs certitudes. 

Poulet frites s’impose comme un polar d’autant plus efficace que l’histoire est incroyablement réelle. Et dans cette zone de flottement où le suspect n’est peut-être au final pas coupable du meurtre, les caractères s’affirment. Le film donne à voir la détresse du suspect confronté à une terrible amnésie et l’humanité du commissaire et de la juge qui ont l’épée de Damoclès de l’erreur judiciaire au-dessus de leurs têtes.

En naviguant dans les eaux troubles d’une vérité qui se défile, le film de Jean Libon et Yves Hinant nous impose de nous mettre dans la peau de chaque protagoniste. Et à travers le sarcasme d’une horreur mise à distance, la compassion pour le suspect amnésique est une véritable bouée de sauvetage. Dans cet univers sombre où le déterminisme social fait des ravages, cette humanité s’avère réconfortante.

Poulet frites © Le bureau - Chez Georges - Artémis production – RTBF - Apollo Films

Remontage dans un classieux noir et blanc d’anciens épisodes de Strip-tease, Poulet frites s’inscrit naturellement dans l’esprit malicieux de la série documentaire devenue culte. Polar au réalisme brut, cette enquête cache derrière l’improbabilité d’une tubercule comme pièce à conviction une affaire où le tragique le dispute à l’improbable.

> Poulet frites, réalisé par Jean Libon et Yves Hinant, Belgique, 2022 (1h40)

Poulet frites

Date de sortie
28 septembre 2022
Durée
1h40
Réalisé par
Jean Libon et Yves Hinant
Avec
Jean-Michel Lemoine, Anne Gruwez, Alain Martens
Pays
Belgique