« Pornomelancolia », dysphorie post-digitale

« Pornomelancolia », dysphorie post-digitale

« Pornomelancolia », dysphorie post-digitale

« Pornomelancolia », dysphorie post-digitale

Au cinéma le 21 juin 2023

Quand il ne travaille pas à l'usine, Lalo se met à nu sur Internet pour le plus grand bonheur de ses followers. Alors qu'il découvre l'univers du porno, il a du mal à se défaire d'un spleen tenace. Jouant habilement avec les apparences d'un miroir cinématographique méta, Pornomelancolia prêche le faux pour révéler le vide occulté par l'avatar numérique. Un voyage envoûtant où la sexualité débridée de Lalo cache difficilement une solitude mélancolique propre à l'ère post-digitale.

Sex-influencer mexicain, Lalo (Lalo Santos) partage sa vie entre le labeur très concret de l’usine et l’animation de sa communauté virtuelle d’abonnés. Suite à un casting, il décroche le rôle du célèbre Emiliano Zapata dans un film porno historique.

Dans la peau du révolutionnaire mexicain, Lalo découvre le milieu du porno et le statut d’acteur qui permet de s’extraire, au moins le temps d’une scène, de son quotidien. Mais en dehors de l’agitation du plateau et de sa bulle numérique, Lalo est hanté par un spleen inextirpable.

Pornomelancolia © Gema Films, Desvia, Dublin Films et Mart Films - Epicentre Films

Masculinités virtuelles

Avec Pornomelancolia, Manuel Abramovich continue son exploration d’un thème qui lui est cher : la masculinité. À travers ses travaux, le cinéaste argentin tente de redéfinir cette notion en pleine révolution, entre déconstruction et recherche d’un nouvel équilibre. Lassé du modèle viriliste imposé dès l’enfance par la société patriarcale, Manuel Abramovich explore d’autres conceptions de ce que signifie « être un homme ».

Sur le papier, avec son personnage homosexuel apprenti acteur porno, Pornomelancolia peut rapidement être catalogué comme un film LGBT+. Mais s’il est parcouru de questionnements propres à la communauté gay, cet angle n’empêche pas un caractère plus universel sur l’identité masculine. La connexion avec Lalo est d’ailleurs facilitée par l’autre thématique du film liée à son activité en ligne : l’omniprésence dévorante du virtuel dans nos vies.

Pornomelancolia © Gema Films, Desvia, Dublin Films et Mart Films - Epicentre Films

Jouer sa vie

Considérant le monde comme une immense scène de théâtre, Manuel Abramovich prend un malin plaisir à dévoiler les moments de fiction qui surgissent dans le réel. Au point de brouiller subtilement la frontière entre les deux. En 2017, son film Soldado montre une armée représentée comme une troupe de théâtre. Dans le court-métrage Blue Boy (2019), les procédés de séduction d’un groupe de prostitués roumains dans le quartier homo de Berlin symbolisent ce jeu surgissant dans le réel.

Cette notion d’incarnation s’opposant à la réalité se retrouve à deux niveaux avec Lalo Santos. Dans la « vraie vie », il est réellement sex-influenceur sur Internet à l’instar de son personnage. Pornomelancolia est sa première expérience devant une caméra de cinéma.

Avec un effet miroir, le personnage du film – qui s’appelle Lalo, évidemment – découvre lui aussi le jeu à travers le tournage d’un film porno. Ce brouillage des pistes entre le réel et les apparences est également valable pour la structure du film composée de strates intimement imbriquées.

Pornomelancolia © Gema Films, Desvia, Dublin Films et Mart Films - Epicentre Films

Réalité fictionnelle

Œuvre hybride, Pornomelancolia assume totalement son statut méta. Pornozapata, le biopic porno consacré à la vie du révolutionnaire Emiliano Zapata dans lequel joue Lalo a été réellement tourné et doit sortir sur Internet. Pornomelancolia a utilisé le tournage du film porno pour mettre en scène le personnage de Lalo, fortement inspiré du véritable Lalo Santos.

À ce jeu de l’incarnation et de la mise en abyme, le film de Manuel Abramovich manipule avec malice notre perception, entre réalité, fiction et documentaire. En mélangeant ces différentes strates, Pornomelancolia étourdit et interroge sur la notion de réel. Une réalité d’autant plus difficile à appréhender dans un monde vécu à travers les écrans et là encore la confusion est savamment entretenue.

Toutes les vidéos issues des réseaux sociaux visibles dans le film – non censurées ce qui vaut au film son interdiction aux moins de 16 ans – sont celles de Lalo Santos. Pendant six mois, il a enregistré son écran de portable et a fourni plus de 300 heures de captures d’écran vidéo au cinéaste.

Ces messages, photos et vidéos qui défilent inlassablement sont le reflet de cette mise en scène de l’intime par Lalo, à la fois dans le monde réel et le film. Une façon de se présenter au monde qui fait écho à son rôle d’acteur et à notre propre utilisation de cet espace virtuel si présent dans nos vies.

Pornomelancolia © Gema Films, Desvia, Dublin Films et Mart Films - Epicentre Films

Raison sociale

Cette exposition omniprésente et sans filtre sur les réseaux sociaux renvoie à cette idée de création d’un personnage et de fiction chère au cinéaste. En jouant constamment avec cette frontière, Pornomelancolia flirte avec le vertige de la perte des repères et pointe du doigt le vide abyssal dans lequel évolue Lalo. Plus il est exposé, plus l’apprenti acteur semble isolé une fois la caméra ou son téléphone éteint.

En posant la question de l’identité en dehors de toute représentation – sociale ou artistique -, Pornomelancolia tend vers l’universel. Au cœur du film se dévoile peu à peu une version digitale de la dysphorie post-coïtale. Ce sentiment de tristesse post-sexe bien connu est ici appliqué au vide expérimenté par Lalo une fois déconnecté.

Pornomelancolia © Gema Films, Desvia, Dublin Films et Mart Films - Epicentre Films

À travers l’exploration des coulisses d’un porno gay, Pornomelancolia interroge subtilement la masculinité et la vacuité d’un monde moderne soumis à la sollicitation épuisante des écrans. Une œuvre méta lancinante qui interroge la possibilité de se reconnecter avec sa raison sociale une fois l’avatar déconnecté des réseaux sociaux.

> Pornomelancolia, réalisé par Manuel Abramovich, Argentine – Brésil – France – Mexique, 2022 (1h34)

Pornomelancolia

Date de sortie
21 juin 2023
Durée
1h34
Réalisé par
Manuel Abramovich
Avec
Lalo Santos, Diablo, Brandon Ley, Chacalito Regio, Delmar Ponce, El Brayan, Lothar Muller, Mauricio Alivias, Adrián Zuki, Juan Ro, Octavio, Turko, Netito
Pays
Argentine - Brésil - France - Mexique