Sophie (Sara Forestier) a 28 ans et plein de projets en tête. Pour commencer, elle aimerait être dessinatrice. Mais pas évident de s’imposer dans le milieu, surtout lorsqu’on n’a pas fait d’école d’art.
Sur le plan sentimental, la situation n’est pas forcément plus glorieuse. Sophie aimerait trouver l’amour mais doute de la recette miracle. Tout serait tellement facile s’il lui sautait aux yeux. Mais ce bond miraculeux se fait attendre.
En attendant des révélations, Sophie enchaîne les relations amoureuses et les expériences professionnelles. En mélangeant parfois les deux. On ne sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher.
De la case à l’écran
Mais que vient faire Nine Antico au cinéma ? En réalité, l’illustratrice et auteure de bande dessinée a été cinéphile avant de plonger dans le neuvième art. À 16 ans, elle a un premier choc en découvrant Un tramway nommé désir d’Elia Kazan. Elle confie être tombée en admiration face à son usage du noir et blanc permettant « sensualité et modernité ».
Un an de fac de cinéma à Saint-Denis et des apparitions dans des court-métrages amateurs entre 20 et 22 ans ont familiarisé Nine Antico avec le 7ème art. Assez pour réaliser un court-métrage. En 2013, Tonite est l’adaptation de sa bande dessinée Tonight. Mais l’idée d’un long métrage a germé quelques années avant cette première production.
Bande originale
En 2010, Nine Antico publie Girls don’t cry, une BD racontant le quotidien de jeunes adolescentes parisiennes. Un producteur lui propose de l’adapter au cinéma mais l’auteure décline la proposition. Elle ne souhaite alors pas mélanger les deux univers et préfère que ses adolescentes restent des héroïnes de papier.
Par contre, elle a l’idée d’un scénario original avec des personnages plus matures, proches de la trentaine. Le projet prend le nom de Playlist. Nine Antico décrit le film comme un mélange de « choses vécues et observées ».
Le film flirte avec l’autobiographie mais avec l’assurance que les pistes ont été bien brouillées. En réalité, Nine Antico l’assure, rien — ou presque — ne s’est passé exactement comme dans le film.
Noir, blanc et intemporel
Pour cette première excursion sur grand écran, l’auteure de BD joue la carte du noir et blanc. Un choix sous influences : certains films de Woody Allen mais aussi France Ha (2012) de Noah Baumbach, référence indéniable. Mais ce choix est également dicté par son goût pour le côté « glamour » et « vintage » apporté selon la cinéaste par la réalisation en niveaux de gris.
Avec ses plans fixes dans lesquels les personnages évoluent comme dans des cases de bande dessinée, Playlist joue la carte de l’intemporel. Volontairement antidatées, les (més)aventures de Sophie se déroulent dans une période difficile à définir avec précision. Cet aspect légèrement rétro tend à rendre ses états d’âme universels.
Le récit en voix off du comédien Bertrand Belin sert de fil conducteur aux décisions parfois impulsives de cette charmante héroïne en quête de stabilité. Tel un phare rassurant auquel se rattacher en cas de tempête. Associé au classique noir et blanc, le procédé fait irrémédiablement penser aux production de la Nouvelle Vague.
Control freak
Impatiente, Sophie aimerait que ses vies amoureuse et professionnelle se retrouvent rapidement sur de bons rails. Malheureusement, l’alignement des planètes ne se décrète pas. De serveuse à responsable communication d’une maison d’édition, d’un mec à un autre, Sophie peine à trouver sa place. Sans parler de son rêve ultime de devenir dessinatrice.
L’angoisse d’échouer plane sur Sophie. Cette pression de tout réussir rapidement est source d’instabilité pour la jeune femme. Difficile de tomber amoureux lorsqu’on est préoccupé par d’autres sujets. Surtout lorsqu’il faut affronter une invasion de punaises de lit ! Terrible épreuve qui invite à relativiser tout le reste.
Et après tout, les sentiments sont-ils contrôlables ? La voix off semble en douter. Notre ego peut toujours se rassurer en mettant en avant l’importance des traits de caractère de la personne convoitée : son esprit, son humour, des goûts en commun… Mais si, au final, tout était une sombre histoire de phéromones dont nous ne sommes même pas conscients ? Sophie peine en tout cas à trouver la formule magique.
Bande dévalorisée
Si Nine Antico se défend de proposer un récit autobiographique, la passion de Sophie pour le dessin et ses espoirs d’en faire son métier ne sont évidemment pas anodins. En faisant évoluer son héroïne dans une maison d’édition spécialiste en BD — sous le joug d’un patron tyrannique —, la cinéaste attire l’attention sur la bande dessinée.
Une façon de mettre en avant cet art trop souvent considéré comme mineur pourtant riche d’œuvres très variées. Le fait que Sophie soit trop vieille pour entrer dans une école d’art fait également écho au parcours de Nine Antico.
Refusée malgré un dossier qu’elle pensait tenir la route, la dessinatrice a finalement été prise aux Beaux-Arts d’Orléans. Une école qu’elle a finalement quitté dès le premier jour pour continuer son apprentissage en solo. Un esprit de défiance que l’on retrouve dans son personnage.
Wait and see
Ce besoin de reconnaissance, tant au niveau professionnel que sentimental, est incarné de façon touchante par Sara Forestier. Comédienne peinant à faire décoller sa carrière, son amie Julia, incarnée par Laetitia Dosch, connait les même galères pour faire de son rêve une réalité.
La capacité de Sophie à s’enfermer dans la spirale de l’échec par son impatience la rend très attachante. Sa fougue parfois désabusée se heurte au morceau lo-fi True love will find you in the end de Daniel Johnston, véritable leitmotiv qui plane tout au long du film.
Dans un film à la bande son soigneusement sélectionnée pour son impact, le titre résonne comme une invitation à prendre son mal en patience. Mais il peut également être envisagé comme un avertissement au second degré annonçant des coups et déceptions qu’il va falloir encaisser en attendant.
Lorsque le générique de fin débute, il faut se rendre à l’évidence : Sophie continuera ses aventures sans nous. Un sentiment d’incomplétude s’installe, signe que l’on aurait bien aimé partager un peu plus ses galères douces-amères.
Du papier à l’écran, Nine Antico signe avec Playlist une première œuvre sans prétention et divertissante qui doit énormément à la fraîcheur du jeu de Sara Forestier, tornade aux désirs impatients. Ces malheurs de Sophie version vie adulte devraient réjouir les fidèles lecteurs.trices de l’auteure et pourquoi pas séduire de nouveaux adeptes.
> Playlist réalisé par Nine Antico, France, 2020 (1h28)