Un corps à corps avec l’image, l’attachement, l’absence
Daniel Schook, Sucking Toe, 1981 : le portrait d’un modèle du photographe new-yorkais Peter Hujar, aussi paradoxalement enfantin que pornographique. Un beau jeune homme au regard espiègle y est assis torse nu sur une chaise, et se contorsionne pour suçoter son gros orteil. Aperçu au-dessus du lit d’un ami-amant, il devient l’obsession du narrateur dont le quotidien, entre études en dilettante, réponses à des emplois précaires et solitude dans une colocation désertée, se délite doucement.
Qui est Daniel Schook ? Est-ce « la photo d’un homme déjà mort », comme lance Louis, un autre amant, avec une si cruelle désinvolture ? Mais que cherche donc notre narrateur ? D’emails en forums, d’hypothèses en fantasmes, la photo du modèle devient l’émissaire d’une introspection. Schook aurait désormais l’âge du père – le sien, atteint d’un cancer en phase terminale, est à l’agonie. Le visage d’un amoureux, aussi, et en creux ceux de toutes ces rencontres d’un soir, clients ou partenaires fugitifs. Car notre jeune homme est aussi prostitué à ses heures. Un travail d’escort relaté (et vécu ?) avec une certaine indolence. À la description des désirs parfois pathétiques de clients esseulés se superpose le récit d’un quotidien de précarité, émaillé de comptes-rendus d’entretiens d’embauche vécus entre humiliations et demi-mensonges. Sur les épaules de Daniel Schook, l’ombre des années sida et sur celles du narrateur, le choc du Covid.
Car le confinement conduit à un retour aux sources, alors même qu’il faut faire le deuil d’un père dont la douloureuse absence envahit chaque recoin de la maison familiale. Comment recomposer une vie dont les fondations toujours fragiles, alors qu’il reste encore à trouver un sens à l’existence ?
L’erratisme de la vie et de l’amour
« J’écris tout et rien à la fois, et le plus souvent des choses dont je ne parle pas, si bien que les mots s’alignent plus ou moins vite. Quand les textes prennent forme, j’ouvre un document Word et les recopie, parfois je les efface et recommence, me relis et les supprime ».
Photo sur demande est le journal de bord mélancolique, tout en modestie, délicatesse et pudeur, d’une quête à multiples facettes : d’un homme, de sens, de soi. Roman d’un nouveau discours amoureux, il condense une écriture vivante, parfois trop aride, mais dont la poésie certaine affleure par petites touches impressionnistes. C’est un roman de l’incertitude fragmentée, autoportrait en esquisses, par détours et associations d’idées, observations sur soi et ce qui entoure, références littéraires. Même s’il reste loin de la percutante précision d’une écriture ernaldienne ciselée au scalpel, dont l’auteur, on le comprend, aimerait se réclamer, et tombe ponctuellement, on le regrette, dans une langueur descriptive, Photo sur demande, premier livre de Simon Chevrier, mérite la découverte.