Paris, une histoire de WC

Paris, une histoire de WC

Paris, une histoire de WC

Paris, une histoire de WC

13 août 2012

Qui ne s'est jamais lancé à Paris dans l'épique quête d'un endroit décent, et si possible gratuit, où soulager un irrépressible besoin ? C'est à tous ceux là, et ils sont nombreux, que deux auteurs ont dédié un "Guide pratique et culturel des WC gratuits". Pour que, malgré le manque d'équipements, le droit de pisser gratos, à priori fondamental, puisse enfin être appliqué.

« Ce sont des besoins qu’il ne suffit pas de ne pas payer pour les avoir », disait Marcel Proust. Pourtant, à Paris, ils se monnaient souvent. « Il y a un manque considérable d’équipements », explique Julien Damon, sociologue de l’urbanisme ayant longtemps travaillé sur le sujet. Quant aux bistrots, il est souvent nécessaire de consommer avant… Et d’affronter le regard du patron.

Panneau Défense d'uriner. | Photo DR

Uriner sur la voie publique est interdit… pour des raisons relatives aux mœurs. Même si, à Paris, les hors-la-loi sont nombreux. Le manque de ce mobilier urbain pousse en effet nombre de promeneurs à adopter un « comportement moyenâgeux » que l’on ne retrouve généralement pas ailleurs. « Aux Etats-Unis, dans les pays latins et scandinaves, l’amende serait considérable ! » s’exclame Julien Damon.

Pisser à Paris, couverture |

Dans la préface de l’ouvrage Pisser à Paris[fn]Pisser à Paris. Guide pratique et culturel des WC gratuits, de Claude Lussac et Nathalie Marx, Editions du Palio, juin 2012.[/fn], il écrit : « En matière de WC, l’action politique est souterraine. Elle commence après la chasse d’eau (…) » Avant : rien. En même temps, parler "pipi-caca" comporte le risque de devenir la cible de plaisanteries graveleuses. « Quand Jacques Chirac était maire de Paris, rappelle le sociologue, il s’était chargé de la question des déjections canines… Tout le monde rigolait. » Heureusement, à travers l’Histoire, certains sont passés outre.

L’âge d’or des vespasiennes

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, se soulager n’importe où était considéré comme allant de soi. Mais l’urbanisation croissante, la promiscuité, ainsi que la mobilité de plus en plus importante des travailleurs urbains, ont accéléré l’intolérance face à la présence des excréments. En parallèle de cette « dynamique de la civilisation des mœurs »[fn]Conseil de lecture, pour les plus courageux : La civilisation des mœurs, de Norbert Elias.[/fn], la France assiste à une importante montée des préoccupations hygiénistes.

L'Urinoir | Photo Marcel Duchamp

C’est dans ce contexte qu’en 1770, Paris voit pousser ici et là des "barils d’aisance". Puis dans les années 1840, sur l’initiative du préfet Rambuteau, sont construites ce qui deviendra plus tard les "pissotières", baptisées à l’époque des "cases d’aisance". A Paris, on parle de "vespasiennes", inspiré du nom de l’empereur romain, Vespasien créateur d’un impôt pour les utilisateurs des urinoirs publics. La substance était à l’époque décantée et vendue pour son ammoniaque aux "foulons", pour nettoyer les tissus. Autre anecdote : à son fils Titus qui critiquait son avarice, il aurait répondu : « L’or n’a pas d’odeur. » A l’origine d’un proverbe bien connu aujourd’hui.

Vespasiennes à Paris. | Photo DR

Revenons-en à nos mictions… De par leur architecture, les vespasiennes, ou "tasses" (argot) ne s’adressaient qu’aux hommes. Après tout, à quoi bon les adapter à la gent féminine, confinée ad vitam aeternam – du moins le croyait-on à l’époque – aux espaces domestiques. Il faudra attendre la broutille de deux siècles pour que la municipalité parisienne réalise qu’il arrive aussi – et oui ! – aux femmes de pisser.

Mauvaise réputation

Mais jusqu’aux années 1960, les pissotières, véritables "lieux de perdition" (rencontres homosexuelles, trafics et nids de maladies), sont peu à peu détruites. Sans compter une moindre fréquentation du fait de l’amélioration de l’équipement des logements. Il n’en reste aujourd’hui plus qu’une, qui trône seule en face de la prison de la santé.

Denière vespasienne, boulevard Arago | Photo Wikipédia

Après 20 ans d’immobilisme, apparaissent les "sanisettes Decaux", après que la fin de la gratuité des toilettes publiques a été votée par le Conseil de Paris en 1980. Mieux vaut donc désormais avoir 1 franc dans sa poche… puis 2. Puis 40 centimes d’euros. Aux pisseurs sans-le-sou de se débrouiller ! Et justement, en 2001, l’association de défense des sans-abri, "La raison du plus faible", lance une campagne pour rétablir la gratuité. La question, qui peut faire sourire le citoyen lambda, n’en est pas moins source de calvaire pour ceux qui vivent dans la rue. Un article de Libération le résume bien.

Sanisette | FlickR_CC_Mike Copleston

En 2006, enfin, les sanisettes deviennent gratuites, malgré leur coût élevé d’entretien. « Reste encore à ne pas être claustrophobe », comme le souligne très justement Julien Damon. Dans ce cas, il reste encore la possibilité de dénicher les bonnes adresses dans le guide Pisser à Paris.

On pissait chez Hugo…

L’audace sous le bras, les pisseurs aventureux pourront par exemple s’inviter au Bristol ou parader au chalet de nécessité des Ambassadeurs, sur les Champs Elysées, où la grand-mère de Marcel Proust avait ses habitudes. L’écrivain surnommait la dame-pipi de l’époque "marquise", tellement celle-ci gérait son affaire « comme une femme du monde son salon ». Les clients y étaient à l’époque sélectionnés et, contrairement à ailleurs, les femmes bien accueillies.

Victor Hugo par Léon Bonnat | Photo DR

Ils apprendront aussi que Victor Hugo était « le seul à accorder l’hospitalité aux pisseurs de passage » parmi les riverains de la place des Vosges. Au numéro 6, le musée Rohan-Guéménée, et ses toilettes gratuites, ont remplacé la maison du poète. En le visitant, les pisseurs de passage apprendront que celui-ci écrivait comme il pissait : debout.

Références : http://julien-damon.com/IMG/pdf/ToilettespubliquesDamonDroitSocial.pdf