Il est environ 20 heures mercredi 13 mars et un groupe d’artistes s’affaire à Houston, au Texas. Au coucher du soleil, dans un grand atelier que le collectif a réussi à obtenir gratuitement pour la durée du projet (ne sont dues que les charges), les projecteurs s’allument l’un après l’autre : Français et Texans réunis sur une même idée apportent les dernières touches à leurs œuvres, tout en partageant bières et conversations conviviales.
Depuis près d’un an, la Texan-French Alliance for the Arts (TFAA) prépare une exposition intitulée Open the Door. Cette institution à but non lucratif, méconnue et surprenante au premier abord, a été créée sous l’impulsion du consulat de France local, en 2005. Elle a pour vocation de stimuler les échanges culturels entre la France et le Texas, le dialogue, et de mettre à bas les stéréotypes parfois très forts sur les deux régions – pensez Stetson et rodéo vs béret et fromage. Cette année, elle a organisé la venue de six Français (Romain Froquet, Stéphane Carricondo, Jerk 45, Clément Laurentin, Mambo et Ned Nedellec) du 9ème Concept, collectif parisien issu du street art et qui fête ses vingt ans. Menés par Romain Froquet, qui a eu l’idée des portes comme support pour la peinture, ils ont résidé à Houston pendant presque un mois, pour travailler en collaboration avec six Texans au talent incontestable (Daniel Anguilu, Gonzo 247, Tierney Malone, Patrick Medrano, Rahul Mitra et Lovie Olivia).
“Un seuil à franchir”
Ainsi ils ont réalisé trois séries de portes métalliques, installées sur des montants modernes et exposées progressivement en 18 lieux de la ville, jusqu’en décembre. Les douze premières portes sont dites “solo”, et ont été conçues par chacun des artistes individuellement, avec leur style propre. Résultat : des ‘toiles’ très différentes les unes des autres mais qui se marient étonnament bien, en un cercle sur l’esplanade de la bibliothèque. Elles ont été inaugurées le samedi 16 mars lors d’une grande fête avec danseurs, fanfare, conteurs, troupe de théâtre, jeunes slammeurs, etc.
Une deuxième série a été réalisée par les artistes ensemble, qui se sont partagé les faces des portes pour peindre conjointement. Enfin, une troisième série implique les contributions d’élèves, étudiants, enseignants ou artistes extérieurs qui ont remporté un concours d’appel à idées.
Ainsi le but insufflé par Karine Parker-Lemoyne, directrice de la TFAA qui a porté (et porte) ce projet à bout de bras depuis le début, est de créer du lien entre tous les acteurs de la ville. Partie avec Romain Froquet de l’idée symbolique du “seuil à franchir”, d’ “un nouveau monde qui attend de l’autre côté” et du “potentiel biculturel”, elle a voulu aller plus loin : “On ne peut pas juste faire des œuvres et les mettre dans la ville sans tenir compte de ce qui s'y passe, des habitants, de l'histoire du quartier.”
Ainsi chaque emplacement des portes d’Open the Door est pensé avec un partenaire, que ce soit le grand parc Hermann ou les maisons de quartier, permettant de ne pas limiter le projet à des lieux d’exposition traditionnels. “L’art n’est pas réservé à une élite”, note la directrice. “C’est d’autant plus important d’atteindre toutes les populations, tous les quartiers, que chacun peut s’identifier au fait d’avoir dû passer des portes dans sa vie.” Karine Parker Lemoyne évoque notamment la première toile qu’elle a peinte en arrivant au Texas depuis la France, il y a presque six ans : une silhouette de femme à chapeau, dans l’entrouverture d’une porte, portant une valise à la main. “J’en ai ouvert des portes depuis !”, remarque-t-elle, passionnée et dévouée.
Des portes et des ponts
Inspirée par la chanson de Peter Gabriel “Fourteen Black Paintings”, écrite après que le chanteur a visité la chapelle Rothko à Houston, Karine Parker a conçu un parcours dans la ville qui, reprend les thèmes du refrain : “From the pain come the dream/from the dream come the vision/from the vision come the people/from the people come the power/from this power come the change.” A travers les portes, Open the Door “crée des ponts entre les communautés” et “plante des graines”, qui pourront “encourager les gens dans leurs moments de passage de portes”, espère la Française.
“Ce n’est que le début d’une belle histoire”, annonce Romain Froquet, enthousiasmé par son séjour à Houston, où il était déjà venu pour une résidence d’artiste. Et les barrières de tomber : après plusieurs semaines de cohabitation, les Texans ont renoncé à l’image des Français arrogants, et les Frenchies du 9ème Concept ont découvert, au-delà de l’Etat réputé pour le pétrole et les armes à feu, une scène culturelle prolifique.