Des opérations immobilières pour ressusciter les églises

Des opérations immobilières pour ressusciter les églises

Des opérations immobilières pour ressusciter les églises

Des opérations immobilières pour ressusciter  les églises

27 février 2012

Une ancienne église devenue un logement, un musée ou un studio d'enregistrement : au-delà de la curiosité architecturale, ce type de transformation est un moyen de conserver et de faire revivre un édifice déserté. Il apparaît surtout comme une option à la démolition, lorsque le coût des rénovations nécessaires à leur entretien ou leur mise en sécurité devient une préoccupation pour les communes et associations cultuelles.

  

En grande pompe, Notre-Dame de Paris, l’une des cathédrales les plus célèbres et les plus visitées de France, vient d’annoncer le remplacement de quatre de ses cloches pour célébrer son 850e anniversaire. Ces travaux, ainsi que les rénovations régulières dont la cathédrale fait l’objet, masquent pourtant une réalité bien différente pour les lieux de culte, dont l’état ne cesse de se détériorer. « Les églises les plus anciennes sont les plus solides. Mais il faut changer la toiture tous les 50 ou 70 ans. Sans entretien, ces bâtiments sont en péril », explique Béatrice de Andia, directrice de l’Observatoire du patrimoine religieux.
Depuis la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, les cathédrales sont gérées par le ministère de la Culture et l’entretien des églises revient aux municipalités. Les lieux de cultes postérieurs à 1905 appartiennent aux associations cultuelles.

Désacralisation

Au problème représenté par le coût de ces travaux pour les petites communes, s’ajoute la baisse de fréquentation des églises, devenues trop grandes. Certaines sont alors mises en vente, et transformées. C’est le cas de la Chapelle Beauvoisine, à Rouen (Seine-Maritime), un programme immobilier haut de gamme de neuf appartements qui va bientôt accueillir ses nouveaux propriétaires. L’ancienne église de 400 m² a été vendue par une congrégation de Sœurs au promoteur Mprim. Cette acquisition était soumise à plusieurs conditions : « nous devions conserver certains éléments, comme les calvaires dans le parc. Quant à l’usage, on ne pouvait pas en faire un lieu festif ou commercial », explique Guillaume Moatti, dirigeant de Mprim.

Pour le promoteur, un tel programme est intéressant car atypique, mais il requiert un système constructif complexe et est forcément plus cher à construire que des logements classiques. La transformation d’une église exige aussi sa « désacralisation » au préalable : cette procédure comprend l’autorisation du préfet, de l’évêque et du prêtre, ainsi que le retrait des meubles et objets de culte (calice, table de communion…), qui le plus souvent sont remis à l’évêque ou à la commune. Cette dernière peut alors les confier à un musée.

De l’église au centre commercial

Ce type d’opération n’est pas isolé, même si, selon Béatrice de Andia, « en France, il s’agit d’un épiphénomène » : sur les 100 000 édifices religieux (toutes confessions confondues, même s’il s’agit principalement d’églises catholiques), l’Observatoire du patrimoine religieux recense 130 transformations. « Cette pratique est plus fréquente au Canada et aux Pays-Bas », indique-t-elle. Et en Irlande, où ce type de grands volumes n’intéresse pas que pour les logements : Brendan Perry, l’un des membres du groupe Dead Can Dance, s’est aménagé un studio d’enregistrement dans l’église de Quivy, à Belturbet, qu’il a rachetée dans les années 90 à une congrégation protestante.

Plus connu des touristes, à Dublin, The Church est un bar-restaurant construit dans une église du XVIIIe siècle qui a cessé d’être utilisée en tant que telle en 1964. Sept ans de rénovation ont été nécessaires avant l’ouverture du bar en 2005. Le ministère des Arts l’a même fait classer parmi les bâtiments d’intérêt historique. Une église convertie en bar, dans un pays réputé très chrétien ? « Il est très rare que les gens s’en plaignent, confie l’une des responsables, Una Connolly. L’église est restée à l’abandon, en décrépitude pendant de longues années, c’était une balafre dans le paysage. Si bien que lorsqu’elle a enfin été restaurée, les habitants étaient plutôt soulagés qu’elle soit remise en état plutôt que détruite ».

En France, il n’est pas certain de voir surgir ce genre d’endroit. Le diocèse de Nancy réfléchit actuellement à la vente de l’église de Vandœuvre-lès-Nancy, un édifice de 900 places datant de 1965. La toiture est en mauvais état et la paroisse ne peut faire face à la réparation du système de chauffage. « Contrairement à ce que j’entends souvent, l’église n’est pas encore vendue, et encore moins à un promoteur qui voudrait en faire un centre commercial, précise d’emblée l’abbé Robert Marchal. Lorsque cette rumeur a commencé à courir, la population s’est réveillée et a demandé au maire de ne pas laisser cette église devenir un centre commercial. »
Désormais, une association veut faire classer l’église. Pour l’abbé, « cela ne règlera rien. Au contraire, ce sera un handicap supplémentaire pour le futur acheteur, qui aura des comptes à rendre aux Bâtiments de France ».

Un repère urbain

C’est le paradoxe : alors que les églises sont désertées, les maires qui osent aborder le sujet de la démolition se retrouvent régulièrement face à une levée de boucliers. « Depuis les années 80, les Français ont découvert qu’ils avaient un patrimoine. Les églises sont parfois les seuls chefs d’œuvre d’art et d’architecture dans les petites villes, observe Béatrice de Andia. C’est pourquoi un maire qui détruit une église a peu de chances d’être réélu ». A Gesté, commune de 2 500 habitants dans le Maine-et-Loire, une polémique oppose depuis plusieurs années la mairie, désirant détruire l’église qu’elle qualifie de trop vétuste, à une association d’habitants désirant voir le bâtiment restauré.

Début 2012, la cour administrative d’appel de Nantes a donné raison à l’association en annulant le permis de démolir. Car malgré la désertion des pratiquants, « les églises ont une grande importance dans l’histoire urbaine de la France, elles sont encore aujourd’hui un repère dans le paysage », note Béatrice de Andia.

Finalement, les ambassadeurs de la transformation des églises ne sont pas forcément là où on les attend. A Vandœuvre-lès-Nancy, l’abbé Robert Marchal ne s’en cache pas : « si notre église devenait un musée ou une salle de spectacle, je ne serais pas scandalisé, explique-t-il. Il faut se rendre à l’évidence : on ne peut plus entretenir toutes les églises. Il faut en privilégier certaines et réfléchir à l’avenir des autres. Inévitablement, la question va se poser pour un nombre grandissant d’églises. Et nous devrons avoir des réponses audacieuses ».