« Dans le Nouveau Monde, lorsque l’on naissait homme, il n’existait que trois destinées possibles : kas, toy ou compagnon. Et chacune de ces vies était dépouillée de tout espoir. Pas de liberté. Pas d’égalité. Juste la souffrance, un fardeau nécessaire pour expier les péchés de leurs pères. »
Soumission masculine
2095. Le monde imaginé par Nelly Sanoussi est devenu un matriarcat radical, verrouillé par la propagande. Les hommes, jugés responsables des violences passées, sont désormais considérés comme des êtres inférieurs. Sédatés, stérilisés, relégués au travail forcé ou à la prostitution, ils sont réduits à l’état de corps dociles. Dans cette société hyper-réglementée, totalitaire, toute relation amoureuse entre hommes et femmes est interdite : l’amour hétérosexuel est perçu comme une menace pour l’ordre établi. Policière modèle l’Union gouvernée par Dreah Rosse, Giannina Whitton s’engage pourtant dans une liaison clandestine avec un toy, prostitué masculin. Lilith Rosse, quant à elle, est la petite-fille de Dreah. Malgré une éducation au sommet du pouvoir, elle doute de la diabolisation absolue du passé : l’égalité n’était-elle pas, finalement, un régime plus acceptable ?
Un meurtre survenu dans une maison close déclenche une enquête qui fissure l’ordre social et révèle des zones d’ombre au cœur du régime.
Le matriarcat totalitaire, jusqu’à la caricature
Demain la lune sera rouge !
Nous ferons couler le sang des hommes jusqu’à ce qu’il inonde les entrailles de la Terre.
Nous libérerons le Féminin sacré et il purifiera l’humanité.
De la Lune de sang renaîtra le monde.
Sur le plan narratif : un suspense qui fonctionne, une lecture fluide, entraînante. Demain la lune sera rouge se lit facilement, presque comme un thriller dystopique. Mais cette efficacité narrative masque rapidement plusieurs faiblesses.
Nelly Sanoussi interroge l’illusion d’un pouvoir totalitaire dit émancipateur — et, plus largement, les dérives de tout système fondé sur l’oppression, qu’il soit patriarcal ou matriarcal. Ce qui donne à voir une morale cousue de fil — rouge : ni la justice ni l’égalité ne peuvent advenir dans un système oppressif, quel que soit le sexe au pouvoir. Simpliste, à l’image du système totalitaire dont les rouages peinent à convaincre. Car la chute de l’ancien monde n’est qu’esquissée, et encore — problèmes climatiques et autres réjouissances de notre contemporanéité semblent avoir été résolus à grand renfort d’une violence expéditive qui tient plus du raccourci narratif que de la construction politique.. Cette esquisse façon Orange mécanique empêche l’univers de gagner en chair et en crédibilité.
Le roman s’inscrit dans la collection « À sexe égal », qui vise à rendre le féminisme accessible et à donner la parole à des autrices explorant, par la fiction, les multiples facettes de l’égalité entre les sexes. Paradoxalement, alors que Nelly Sanoussi entend défendre une vision émancipatrice, les femmes du récit sont fréquemment renvoyées à leur statut d’amoureuses ou de mères, faisant de leur indépendance une posture plus théorique qu’incarnée. Globalement, les personnages, assez caricaturaux, manquent de profondeur.
Une dystopie efficace mais sous-exploitée
La question centrale reste sans véritable réponse : qu’est-ce qui a transformé ces femmes libératrices en bourreaux ? L’enquête se conclut abruptement, tandis qu’un complot d’ampleur s’amorce tout aussi soudainement — un changement de paradigme à la truelle.
L’idée, pourtant, est stimulante. L’inversion des rôles est forte, le dispositif dystopique interpelle, et le roman ne manque pas d’ambition. On pense, évidemment, à The Handmaid’s Tale – mais dans sa dernière saison, qui manque cruellement de subtilité.
Au vu de sa conclusion, Demain la lune sera rouge semble d’ailleurs appeler une suite — peut-être l’occasion, pour l’autrice, de donner davantage d’ampleur et de complexité à ce monde.
En l’état, le roman reste une dystopie féministe imparfaite mais efficace, un récit d’anticipation qui se lit vite et sans effort. Un bon moment pour qui cherche une lecture « qui vide la tête », même si l’on referme le livre avec le sentiment d’un potentiel largement sous-exploité.


