On avait le choix entre un cimetière et une église, on a choisi le cimetière. C’est donc à l’entrée principale du Père-Lachaise que nous avons retrouvé Mossi Traoré, perfecto, cheveux noirs qui tombent en fines tresses sur ses épaules, jean – basket. « Pour moi, c’est mon deuxième atelier ». Il n’est pourtant pas catholique, mais l’ambiance des cimetières et des églises l’apaisent et l’inspirent. Son premier défilé, avec sa partenaire Zhen, c’était dans l’église Saint-Pierre-de-Montmartre qu’ils l’ont organisé. Et le deuxième au crématorium du cimetière du Père-Lachaise.
Le dernier en date, pour la collection printemps été 2013 de la griffe Mossi, a eu lieu sous les platanes de la luxueuse avenue Montaigne, face à ‘l’enseigne Chanel. Un brin procov’ Mossi ? « Franchement, ce n’est pas du tout ma démarche. Pour moi, c’est de l’audace, du culot. J’espère en organisant mes défilés dans des lieux insolites, marquer les esprits, c’est vrai, mais ce n’est pas de la provoc’ ! » Iconoclaste plutôt, même si trois de ses aînés parviennent à l’inspirer, Issey Miyake, Johji Yamamoto et John Galliano. Point.
La mode à la place ballon rond
Citazine avait rencontré ce jeune styliste franco-malien de 27 ans l’année dernière, à l’occasion de la sortie du livre « Les Gars de Villiers ». Le pitch : une bande de potes, qui ont tous grandi dans les tours de Villiers-sur-Marne et qui racontent leur vie ensemble dans la cité. Depuis, on suit le parcours de Mossi, qui, en première, a laissé tomber le ballon rond pour la mode. « Au tout début, je voulais juste me distinguer des autres, être différent. Avoir des copines et être bien habillé. Je volais des fringues avec mes potes. Rapidement, j’ai voulu donner ma propre vision des choses et m’exprimer. C’est là que j’ai su que je voulais travailler dans la mode. »
La mode, il en était loin dans sa banlieue de Villiers-sur-Marne. Mais il se souvient, tout petit, être allé acheter de la laine et du tissu avec sa mère. « Je me rappelle qu’elle partageait le tissu entre des femmes d’origines différentes dans les centres sociaux. Et, toujours dans le dos de ma mère, je me souviens qu’elle faisait de la couture. » Après ses 6 ans, finis les souvenirs de fil et d’aiguille.
Emmener la mode dans des lieux insolites
Durant notre déambulation dans le Père-Lachaise, entre les pierres tombales et les caveaux familiaux, Mossi a une destination bien précise en tête. Une chapelle, où il espère organiser une exposition sur la mode. C’est un peu le fil de rouge de sa création, avec Zhen : « Emmener la mode là où elle n’a pas l’habitude d’aller ». Et sortir aussi du carcan des défilés conventionnels et hyper codifiés. « On ne conçoit pas nos défilés en tant que tels. On fait souvent venir des danseurs, des artistes. Pour moi l’art, c’est un arbre avec plusieurs branches, et j’aime bien m’agripper aux autres branches et réunir autour de nous tout ce qui touche à l’art. »
S’il devait résumer son travail en quatre mots : « la mode, l’art, l’artisanat et le monde. Voyager, voir ce qui se passe dans les autres pays, les autres cultures. En fait, je vois ça comme un laboratoire où j’expérimente. Je ne m’enferme dans rien. »
Devant travailler pour payer son école, il a finalement fait deux au lieu de trois ans. Avant de lancer sa marque, il n’a pas voulu travailler pour un couturier de renom. Il avait des choses à dire, rêvait de défilés dans des églises, il a lancé Mossi, du prêt-à-porter haut de gamme et « portable ».
Sa partenaire Zhen, qu’il a rencontrée à l’école, est maintenant impliquée autant que lui dans le travail de création. « On changera sans doute le nom pour Mossi & Zhen. Mais pour l’instant, on se concentre sur nos collections. On n’a pas d’argent pour le dépenser dans l’administratif. » Voilà, c’est le problème. Si on est au cimetière, c’est aussi parce que Mossi & Zhen n’ont pas d’atelier à eux pour l’instant, « beaucoup trop cher ».
La mode : « le monde des people ? «
La presse aime, les professionnels aiment. Il commence à se faire un nom. « Le créateur de la cité », puisque les médias aiment les cases. Mais pour l’instant, pas de point de vente. « On aimerait rentrer chez Colette, aux Galeries, au Montaigne Market… dans les boutiques multimarques les plus pointus de Paris. On nous répond qu’il y a un beau travail de coupe et une belle recherche des matières mais que ça ne correspond avec ce qu’ils recherchent. Alors que Victoria Backham et Kanye West y sont distribués sans problème. C’et quoi la mode maintenant, c’est devenu le monde des people ? »
Mossi semble un peu blasé, l’espace de quelques secondes, mais il reprend immédiatement du poil de la bête. Tant pis, s’il vit chez ses parents, s’il bouffe de la vache enragée, il y croit encore. Un premier défilé dans une église ? C’est une première réussite. Un deuxième défilé dans un crématorium ? Une deuxième réussite. Sur l’avenue Montaigne? Et de trois ! « Si on n’est pas mort en mars. On fera un défilé dans un lieu complètement incroyable. »
L’amertume ne fait pas le poids face à la force créatrice. « Etre capable de réaliser tout ce qui passe dans ta tête. Le beau moment, c’est quand l’idée a jailli, tu ne sais pas encore si tu pourras encore le réaliser. Tous les efforts consentis, courir à droite à gauche pour trouver des solutions. Quand tu la réalises l’idée est morte, c’est moins excitant. »
Il en a encore dans le ventre et vient de lancer le site internet de la marque. Citazine attend mars avec impatience. Mossi et Zhen emmèneront-ils créations et public sur un toit ? Une voie désaffectée ?
> Découvrez Mossi avec ce film tourné lors du défilé organisé dans le crématorium du Père Lachaise.