Scotché à son fauteuil roulant, Scotty (Grant Rosenmeyer) est de plus en plus impatient de faire décoller sa vie sentimentale. En réalité, débuter ne serait-ce que sa vie sexuelle lui conviendrait parfaitement. Lorsqu’il découvre qu’une maison close de Montréal propose d’accueillir des clients en situation de handicap, il n’hésite pas une seconde.
Scotty convainc tant bien que mal Matt (Hayden Szeto), également dans un fauteuil, et Mo (Ravi Patel), son ami à la vue très approximative, de partir à l’aventure. Ils embauchent Sam (Gabourey Sidibe), une jeune femme au franc parler, pour conduire le van qui doit les mener aux portes du paradis. Mais la route vers le 7ème ciel réserve bien des surprises.
Une histoire qui roule
Asta Philpot est un américain vivant à Leeds au Royaume-Uni. Atteint d’arthrogrypose, une maladie congénitale qui réduit ses mouvements, il se déplace en fauteuil roulant. En 2006, il est en vacances en Espagne lorsqu’il découvre un bordel — activité commerciale légale dans ce pays — équipé d’un accès pour chaises roulantes. Dans ce lieu décidément très accueillant, il perd sa virginité.
Mais l’expérience d’Asta Philpot ne s’arrête pas là. Satisfait de l’expérience, il décide de propager la bonne parole. Ambassadeur officieux du lieu de plaisir, il organise par la suite une nouvelle visite à la maison close avec d’autres personnes handicapées rencontrant le même problème pour avoir des relations sexuelles.
L’excursion fait l’objet d’un documentaire For one night only, diffusé en 2007 sur la BBC One. Le cinéma n’a pas tardé à adapter cette initiative surprenante qui a l’intérêt de faire réfléchir à la question de la sexualité — ou plutôt son absence — chez les personnes handicapées.
Handiversité
Mission Paradis — dont le titre original à double sens Come As You Are est plus coquin mais perd à la traduction — est un remake du film belge Hasta la vista (2011) de Geoffrey Enthoven. Pour être plus précis, il s’inspire de la même histoire vraie tout en proposant un casting plus diversifié.
On y retrouve des acteurs aux visages connus, notamment pour les habitués de séries. Ravi Patel qui joue Mo est présent notamment dans la série Master of None (2015-2017) signée Aziz Ansari. Au volant du van, on retrouve Gabourey Sidibe révélée dans Precious (2009) de Lee Daniels et actrice présente dans plusieurs saisons de la série anthologique American Horror Story.
Un casting divers voulu par Richard Wong. Le cinéaste se souvient parfaitement la première fois qu’il a vu un Chinois à la télévision étant enfant. Un événement marquant qui lui a permis de prendre conscience de l’importance de la représentation des minorités. Sans surprise, l’histoire d’Asta Philpot a eu une résonance particulière pour le réalisateur.
To pay or not to pay
Lors de sa diffusion sur la BBC One, For one night only a déclenché un débat sur la légalisation de la prostitution afin de permettre à des personnes handicapées un accès au sexe tarifé. Asta Philpot revendique totalement cette possibilité et milite pour qu’elle devienne réalité.
Sur cet aspect, Mission Paradis ne s’engage pas. Aborder frontalement ce sujet ouvre automatiquement le débat éternel sur la prostitution en général. Avec, au passage, le risque de quitter la route toute tracée de la comédie feel good qui est ici totalement assumée.
Fidèle à l’histoire originale, la comédie n’explore pas non plus l’assistance sexuelle des personnes handicapées qui pourrait être une alternative. Peut-être moins choquante pour l’opinion que la prostitution « classique », cette solution peut donner l’impression de médicaliser la sexualité des personnes en situation de handicap.
Une fois ouvert, le débat est vaste. Mission Paradis prend garde de rester à distance de ce sujet sensible. L’instauration du sexe tarifé légalisé pour les personnes handicapées pourrait également avoir un effet pervers. Le généraliser pourrait faire penser qu’il s’agit là du seul moyen disponible pour découvrir les plaisirs de la chair. Sur ce point, la comédie de Richard Wong effectue une pirouette assez maline.
Limitless
En se gardant bien de faire du prosélytisme pour la solution souhaitée par Asta Philpot, Mission Paradis bénéficie d’un scénario plutôt habile qui décrit différentes facettes de l’exclusion. Le récit joue sur la connivence du spectateur avec les personnages en évitant tout militantisme. L’ambiance générale assurément bon enfant n’est pas totalement mièvre pour autant.
Pour preuve, le tempérament parfois agressif de Scotty vis à vis de son entourage. Un aspect rebutant de sa personnalité pourtant compréhensible. Cette violence latente est le signe d’une frustration qui ne trouve pas d’échappatoire. Elle explose par à-coups, quitte à s’en prendre indifféremment à ceux qui l’entourent.
Chacun des quatre personnages du voyage possède des limites que la comédie exploite avec tact. Les handicaps dans cette aventure ne sont pas seulement physiques, ils sont également psychologiques et dus à des circonstances bloquantes. Au fil des kilomètres, la finalité purement sexuelle du périple se complexifie et se double d’un questionnement intime salvateur.
Represent
Sensible à la représentation des diverses communautés, le cinéaste s’est naturellement senti proche du combat porté par Asta Philpot. Au-delà de sa thématique très intime, Mission Paradis soulève la question plus générale de savoir quelle est la place des handicapés dans la société et leur représentation.
En poussant la logique, on peut regretter que le film ne fasse pas appel à des acteurs en situation de handicap pour jouer le rôle des trois jeunes adultes en quête de sensations fortes. Et pourquoi pas, soyons fous, trahir un peu la situation initiale et y inclure une femme handicapée en quête d’orgasme ?
Mais ce stade ultime de la représentation est encore rare. Reste à savoir pourquoi. Producteurs frileux ou manque d’acteurs handicapés disponibles ? Certainement un peu des deux et pendant ce temps-là le serpent se mord la queue. Un jour peut-être la question ne se posera même plus.
En attendant que l’inclusion soit totale, Mission Paradis apporte une nouvelle pierre à l’édifice pour une meilleure reconnaissance des besoins des handicapés. Spoiler : les mêmes qu’une personne valide. Une contribution qui compte sur l’humour pour faire passer le message sur un sujet pour le moins sensible lorsqu’il n’est pas complètement tabou.
Comédie à l’esprit parfois potache, Mission Paradis garde ses distances avec toute posture revendicative mais la bienveillance et l’intérêt sincère pour la problématique qui transparaissent dans le film le rendent très sympathique. Tout ça ne peut faire que du bien…
> Mission Paradis (Come As You Are) réalisé par Richard Wong, États-Unis, 2019 (1h46)