C’est un projet fou. 311 jours et 60 nuits de tournage, des milliers de figurants, un budget passant de 1 million à 6 millions de marks… Et au final, un film qui, depuis sa première présentation en janvier 1927, a traversé les décennies en conservant son pouvoir de fascination sur les spectateurs. « Metropolis est démesuré comme beaucoup de films muets, précise Bernard Eisenschitz, historien du cinéma et auteur du livre Fritz Lang au travail, opus érudit et richement illustré, qui vient de paraître[fn]Fritz Lang au travail, 272 pages, éditions Cahiers du Cinéma.[/fn]. L’Allemagne était dans une période de relative stabilisation après l’inflation. Les dépenses et l’étalage des moyens permettaient de montrer qu’elle pouvait concurrencer l’étranger. Et le cinéma marchait tellement que l’on voyait des projets ambitieux, tels que Napoléon[fn]Film français de 1927, d’une durée de plus de 5 heures.[/fn], d’Abel Gance ou Octobre[fn]Film soviétique de 1928.[/fn], d’Eisenstein, lancés un peu partout. »
Metropolis, c’est une mégapole futuriste. Dans la ville haute, habitent les plus riches. Dans la ville basse, s’entassent les ouvriers. Pendant que les premiers vivent paisiblement, les seconds sont exploités pour faire fonctionner les machines, le cœur de la ville. Un jour Freder – le fils du gouverneur de la ville, John Fredersen – s’éprend de Maria, venue des bas quartiers. Lorsqu’il découvre les conditions de vie des travailleurs, le jeune homme est horrifié. Il décide d’agir et commence par prendre la place d’un ouvrier. Le film multiplie les sous-intrigues et s’articule autour de huit personnages principaux, dont un savant-fou, Rotwang, qui vient de concevoir un robot prêt à prendre vie.
A sa sortie, le film fut un échec. « Les gens ont perçu que c’était une utopie marquée idéologiquement. La lutte des classes en Allemagne était plus complexe que ça et la réconciliation finale ne pouvait satisfaire personne. Et puis, le mélange des genres avec des éléments d’occultisme (le savant fou, NDLR) et la symbolique christique (du personnage de Maria, notamment, NDLR) n’ont pas fonctionné », explique Bernard Eisenschitz.
Pourtant, Metropolis est aujourd’hui considéré comme une œuvre majeure du muet et est même l’un des films allemands les plus connus. Selon l’historien du cinéma, c’est « le caractère riche du spectacle » qui lui a permis de conserver son aura. Fritz Lang a employé des effets spéciaux ingénieux (avec des jeux de miroirs, des maquettes, un travail minutieux sur des surfaces peintes, par exemple) et eut recours à des caméras dernier cri. Visuellement, le film est renversant. Il a fortement influencé la représentation de la ville futuriste au cinéma. Son empreinte se ressent dans des films aussi variés que Le cinquième élément, de Luc Besson, Brazil, de Terry Gilliam ou Alphaville, de Jean-Luc Godard[fn]Films de (respectivement) 1997, 1985 et 1965. Ces œuvres figurent au programme du cycle « Cités futuristes » proposé par la Cinémathèque française en marge de l’exposition Metropolis.[/fn].
Un film mutilé, une intrigue modifiée par le studio Paramount
Jusqu’au 29 janvier, la Cinémathèque française invite le grand public à se plonger dans les coulisses de la conception de ce chef-d’œuvre du muet. Extraits de films, costumes, photos de tournages, partitions, esquisses ou encore le fameux robot… jalonnent la balade dans ce making-of. Le parcours dévoile entre autres « la manière [qu’avait Fritz Lang] de construire avec un collectif de collaborateurs (à commencer par sa femme, Thea von Harbou, auteur du scénario, NDLR) et de comprendre le langage du muet qui est plus complexe que celui du cinéma sonore », souligne Bernard Eisenschitz.
Il n’est pas nécessaire d’avoir vu le film ou de s’y connaître en cinéma pour apprécier la visite. Celle-ci donne au contraire une furieuse envie de (re)découvrir Metropolis. Cela tombe bien puisque le film ressort en salle parallèlement à l’exposition. Dans une nouvelle version, la plus proche possible de sa version originelle. Car il faut savoir que Metropolis fait partie de ces films qui ont été mutilés. Par le studio Paramount, notamment, qui l’a distribué aux Etats-Unis sans avoir eu de scrupules à l’écourter et à en modifier l’intrigue. Plusieurs scènes ont disparu au fil des ans. C’est donc tronqué, avec des cartons de textes résumant les passages manquants, que le film a été projeté. Miracle : en 2008, la quasi-totalité de ces séquences, soit 25 minutes, a été retrouvée en Argentine. Après un important travail de restauration – sur lequel l’exposition prend le temps de se pencher – cette nouvelle version est désormais visible dans les salles françaises. L’occasion de vérifier que l’émerveillement est intact à l’heure de la génération 2.0.
> Metropolis, l’exposition événement, jusqu’au 29 janvier 2012 (sauf les mardis), à la Cinémathèque, 51 rue de Bercy, Paris XIIe.
A noter que plusieurs conférences sur le film et/ou Fritz Lang sont organisées en octobre et novembre. La Cinémathèque programme également une rétrospective de l’œuvre de Fritz Lang en parallèle de l’exposition. Renseignements : www.cinematheque.fr.