Le cinéma muet refait parler de lui

Le cinéma muet refait parler de lui

Le cinéma muet refait parler de lui

Le cinéma muet refait parler de lui

Au cinéma le

Un film muet, en noir et blanc. C'est le pari de The Artist, de Michel Hazanavicius, primé au dernier Festival de Cannes. Dans l'histoire du cinéma, les tentatives similaires se comptent sur les doigts d'une main. Tentative d'explication.

« Maintenant, je vais me taire parce qu’apparemment, ça me réussit plutôt pas mal. » Jean Dujardin a conclu ainsi son discours de remerciements lors de la cérémonie de clôture du dernier Festival de Cannes. Pour cause : c’est sa performance dans un rôle muet qui lui a valu le Prix d’interprétation masculine. Dans The Artist[fn]Sortie prévue le 12 octobre prochain.[/fn], il incarne Georges Valentin, star hollywoodienne du muet à la carrière contrariée par l’arrivée du cinéma parlant. Sur la Croisette, la projection de cet hommage à cette tranche d’histoire du cinéma a suscité une rumeur globalement positive. En se penchant sur les tentatives de films entièrement muets depuis le parlant, on s’aperçoit qu’elles ne sont pas légion[fn]On peut aussi citer L’Espion (The Thief), de Russel Rouse, 1952 ou Sidewalk stories, de Charles Lane, 1989.[/fn].

Jean-François Buiré, spécialiste lyonnais du cinéma muet a une explication : « C’est comme avec le Technicolor, on n’a pas retenté de refaire des films avec cette technique parce qu’elle était magnifique avec le type de récit qu’elle accompagnait à l’époque. Autre temps, autres mœurs, en refaire un aujourd’hui n’aurait plus le même charme. » C’est d’ailleurs la crainte qu’il formule au sujet de The Artist – tout en prenant soin de préciser qu’il ne l’a pas encore vu. « Peut être que Michel Hazanavicius (le réalisateur, NDLR) a conscience de ces dangers, mais il y a un risque d’être faux par rapport à ce qu’il essaie de recréer. Dans la théorie du son au cinéma, on a beaucoup insisté sur le fait que le cinéma muet n’était pas muet : il n’y avait pas de paroles mais on jouait par des biais divers et variés sur la parole. Aujourd’hui cela ne peut être qu’un simulacre. »

 

« L’absence de dialogues par le son impliquait que le travail sur les dialogues passe par les cartons[fn]Les cartons, aussi appelés intertitres, sont les textes de dialogues ou donnant des explications, insérés entre les images.[/fn] et par l’expression et la gestuelle des acteurs, résume Isabelle Marinone, chercheur et enseignante à l’Université Paris 3, également spécialiste du cinéma muet. Les projections étaient accompagnées par des orchestres en fosse jouant des partitions spéciales ou par un pianiste installé en fond de salle. Jusque dans les années 1910, en plus des musiciens, il y avait un bonimenteur chargé de lire les cartons car les spectateurs n’étaient pas encore habitués à la vision du film, le rythme était assez rapide pour eux. »

Autrement dit, les séances étaient loin d’être muettes. Elle ajoute : « Le muet est très intéressant en tant que forme visuelle. D’ailleurs, le passage au parlant a entraîné une perte de l’intérêt du cinéma et de la perfection de l’image. Pendant les premières années, les films relevaient davantage du théâtre filmé, on s’intéressait davantage au son qu’à l’image. Beaucoup d’acteurs et de réalisateurs ont ainsi été incapables de passer la borne du parlant parce qu’ils faisaient preuve d’un tel investissement dans l’image qu’il était impossible pour eux de l’associer avec le son. »

Keaton incapable de passer au parlant, Chaplin a su s’adapter

Le cas symptomatique que cite Isabelle Morinone, est celui de Mauritz Stiller, grand cinéaste suédois qui, au milieu des années 1920, fut appelé à Hollywood par la MGM. « Il est parti avec l’une des grandes stars de l’époque, Greta Garbo, et a réalisé plusieurs films importants. Mais Hollywood a choisi de garder la star et pas le réalisateur. C’est désespéré que Stiller est retourné sur sa terre natale. »

Il mourra en 1928, à 45 ans. Il y a bien d’autres exemples de destins brisés et de carrières stoppées nettes par ce chamboulement technique – The Artist fait d’ailleurs référence à ce bouleversement – mais tous ne sont pas forcément dramatiques. « Buster Keaton a été incapable de passer au parlant parce que cela ne pouvait pas coller avec l’art de la pantomime qui l’a rendu célèbre », poursuit Isabelle Morinone. « Charlie Chaplin s’en est mieux tiré. Même s’il est passé tardivement au parlant, il a compris que c’était la seule manière pour lui de continuer à faire du cinéma. Mais, en dehors du Dictateur, ses meilleurs films sont ceux qui étaient entièrement muets. »

« Le synchronisme de la parole avec le mouvement des lèvres a emprisonné le cinéma », avance Jean-François Buiré. Aussi, s’il insiste sur les limites auquel est susceptible de se confronter l’exercice de style consistant à « refaire » un film muet en 2011, il fait remarquer que « tous les grands cinéastes d’après l’arrivée du son ont essayé non pas de refaire du muet mais de trouver des liens originaux entre l’image et le son. » Il donne ainsi l’exemple d’Alfred Hitchcock, capable de placer des scènes entièrement muettes – telles que la poursuite de l’avion dans La Mort aux trousses – à côté de scènes extrêmement bavardes. Ou bien encore, de l’œuvre de Jacques Tati (Les Vacances de M. Hulot, Mon oncle, Playtime… NDLR), où les paroles sont très rares et généralement volontairement peu compréhensibles.

« Federico Fellini a quant à lui beaucoup exploité la tradition italienne de la post synchronisation[fn]Technique consistant à réenregistrer, souvent avec les mêmes comédiens, des répliques ou à insérer de nouvelles bribes de dialogues en studio. A ne pas confondre avec le doublage.[/fn] en s’amusant à faire flotter les paroles des personnages à la surface de leurs lèvres. Il donnait d’ailleurs souvent pour consigne aux acteurs de ne pas réciter le texte mais de prononcer des suites de chiffres pour les remplacer, lors de la postproduction[fn]Etape de la réalisation d’un film qui succède au tournage.[/fn], par des dialogues. »

The Artist, que l’on découvrira cet automne, court ainsi le risque d’apparaître comme un exercice de style désuet à l’heure d’un cinéma de masse tourné vers les effets spéciaux et la 3D. Mais, espère Isabelle Morinone, « il va peut être permettre de ramener les gens vers ces formes visuelles. Car, si le cinéma muet était encore bien diffusé à la télévision jusqu’à il y a 20 ans, il s’y fait de plus en plus rare. Et c’est toute une génération qui n’a pas eu véritablement accès à ces films. » Le muet n’a donc pas encore dit son dernier mot.

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