Entre les réunions aux Alcooliques Anonymes, son travail social et sa fille Anna (Brooke Timber) qu’elle élève seule, Sylvia (Jessica Chastain) mène une vie réglée au millimètre. Cet équilibre protecteur se retrouve bouleversé lorsqu’elle se rend à une soirée d’anciens élèves de son lycée. Sur place, Saul (Peter Sarsgaard), un ancien élève, tente une approche qui la met mal immédiatement à l’aise.
Sylvia rentre alors chez elle… suivie par cet homme au comportement inquiétant. Le lendemain matin, elle s’aperçoit qu’il a dormi dans la rue, devant son domicile. Ainsi débutent ces retrouvailles qui vont les amener à affronter des souvenirs douloureux pour elle et une mémoire défaillante pour lui.
La peur du thriller
Au départ, le cinéaste mexicain Michel Franco a imaginé ce nouveau projet comme un polar. Memory hérite de ce concept initial avec cette séquence malaisante où Sylvia est suivie par un inconnu jusque chez elle. Mais le thriller basé au départ sur le thème de la vengeance prend une tournure inédite lorsque Sylvia décide d’aider Saul qu’elle retrouve hagard devant chez elle.
Sylvia découvre en effet que l’homme est confus dans ses propos et son instinct de protection prend le dessus sur sa méfiance. Surprotégé par son frère, Saul est atteint de démence. Il a oublié un passé qui s’est progressivement effacé. Les retrouvailles sont actées mais un mystère perdure : pourquoi Sylvia s’est-elle rendue à cette soirée visiblement à contrecœur et pourquoi Saul semble-t-il autant fasciné par Sylvia ?
Le grand pardon
Le thriller glisse rapidement vers un drame intime aux ressorts complexes où la vengeance devient une question de guérison émotionnelle. Reste à savoir si les deux solitaires sont capables d’atteindre ce soulagement. Alcoolique repentie, Sylvia consacre sa vie aux autres et à sa fille. Un dévouement pour autrui qui agit comme une carapace et entraîne un isolement que Jessica Chastain incarne avec beaucoup de justesse.
Cette empathie la pousse à s’occuper de Saul, âme en détresse sans souvenirs. Mais cet intérêt cache une raison beaucoup plus personnelle qui fait basculer la tonalité du film. Sylvia confie à Saul qu’elle a subi des viols alors qu’elle était au lycée. Et elle est persuadée que Saul connaissait son agresseur principal et a participé aux abus. Passé la sidération, cette révélation fait basculer leur relation dans une quête de réparation et de rédemption d’une grande ambiguïté.
En se livrant sur ces sévices, Sylvia fait un premier pas vers la reconnaissance de sa douleur. Saul se retrouve lui accusé d’actes terribles dont il est incapable de se souvenir. La mémoire défaillante de Saul crée un vertige où le doute s’installe, interdisant toute réparation ou pardon. Le film développe cette idée d’une mémoire dysfonctionnelle qui bloque tout, au-delà de la relation entre les deux personnages.
Souvenirs éthérés
L’ombre de cette mémoire fracturée plane sur Memory. Comment se définir et avancer lorsque les souvenirs s’échappent, ne sont pas fiables ou même crus ? Ainsi évolue le film de Michel Franco, en suspension, avec des éléments discrets qui permettent de comprendre les motivations de chacun. Une photo de l’épouse de Saul, rousse comme Sylvia, révèle ainsi la source de sa fascination inconsciente.
Le tube obsédant, A Whiter Shade of Pale du groupe Procol Harum que Saul écoute en boucle crée une ambiance de nostalgie mélancolique, cocon musical d’un bonheur effacé. Au sein de cette relation étonnante, le deuil rendu impossible par l’absence de souvenirs est évoqué par ce morceau aux paroles mystérieuses. Michel Franco instille ainsi, avec peu de mots, une atmosphère délicate dont l’instabilité pousse Sylvia et Saul à se rapprocher.
L’amour flou
Memory évolue ainsi dans cette brume mémorielle où Sylvia et Saul pactisent pour tenter de résoudre le puzzle des souvenirs et affronter leurs proches. Cette question de la gestion de la maladie et des traumas est très présente dans le film. Sylvia cherche à faire entendre sa voix face à des proches dans le déni, une lutte terriblement en phase avec le mouvement #MeToo. Saul espère de son côté retrouver un semblant de liberté face à un frère très protecteur, pour son bien.
Ces combats respectifs inscrivent l’histoire de Sylvia et Saul dans une quête d’identité et d’apaisement qui font de leur rapprochement une histoire très tendre. Thriller finalement très émotionnel, Memory touche pour sa délicatesse à évoquer pudiquement deux facettes de la mémoire : l’oubli et le besoin de reconnaissance d’une réalité.
> Memory, réalisé par Michel Franco, États-Unis, 2023 (1h42)