« Mandibules », comédie diptère à terre

« Mandibules », comédie diptère à terre

« Mandibules », comédie diptère à terre

« Mandibules », comédie diptère à terre

Au cinéma le 19 mai 2021

Jean-Gab et Manu, deux amis plutôt abrutis, décident de dresser une mouche géante découverte par hasard. Avec cet insecte hors norme, Quentin Dupieux s'éloigne du morbide survolant habituellement ses films pour une comédie plus légère et terre à terre — bien que surréaliste — sur l'amitié. Moins meta que ses films précédents, Mandibules parie sur le charme discret de son intrigante mouche géante et la complicité du duo du Palmashow pour distraire le spectateur, en toute simplicité.

Lorsqu’on lui propose de livrer une mallette au contenu mystérieux contre rémunération, Manu (Grégoire Ludig) n’hésite pas une seconde et entraîne son ami Jean-Gab (David Marsais) dans cette mission. Mais l’aventure prend rapidement une tournure totalement inattendue. Dans le coffre de la voiture qu’ils ont volée pour transporter la mallette, les deux amis découvrent une mouche géante !

Sans s’émouvoir plus que cela de l’incroyable découverte, les deux compères dont les capacités intellectuelles ne volent pas très haut décident d’adopter le gigantesque insecte. Leur but : dresser le diptère géant pour devenir riches. Mais s’improviser dompteur de mouche n’est pas de tout repos. Manu et Jean-Gab vont l’apprendre à leurs dépens.

Mandibules © Memento Films Distribution

Dupieux en trompe-la-mort

Mandibules marque-t-il un tournant dans la filmographie de Quentin Dupieux ? L’avenir le révélera mais ce nouvel opus se démarque volontairement des films précédents du spécialiste de l’absurde. Le cinéaste a en effet remplacé l’ombre de la mort planant jusqu’à présent sur ses œuvres par celle, moins anxiogène, d’une étonnante mouche géante.

Premier film du réalisateur sans décès à l’écran, Mandibules est clairement moins tourmenté. Selon ses propres mots, le cinéaste « abandonne enfin la mort pour s’intéresser à la vie ». Les situations et les personnages sont toujours aussi décalées mais le ton est ici plus léger.

Une ambiance générale loin de la menace frontale du pneu tueur de Rubber (2010) ou celle, plus insidieuse, incarnée par Jean Dujardin dans Le Daim (2019) — lire notre chronique. Moins sombre, Mandibules assume un esprit plus potache. Ce surréalisme enfantin fait écho au comportement détaché — pour ne pas dire inconscient — des deux amis face à leur découverte extraordinaire.

Mandibules © Memento Films Distribution

Faire mouche

Sans bouleversements scénaristiques majeurs, la véritable star de Mandibules est cette mouche sortie de nulle part. Créée par L’Atelier 69, collaborateur régulier de Quentin Dupieux, l’insecte aux proportions impressionnantes crève l’écran. Et pour une bonne raison : elle existe vraiment ! Enfin presque…

Comme d’autres réalisateurs bien inspirés avant lui — à commencer par Spielberg pour le premier Jurassic Park (1993) —, Dupieux a parié sur une mouche réellement présente sur le tournage. Les fameux CGI, effets spéciaux qui ont tendance à mal vieillir, sont ainsi réduits au minimum.

Animée avec talent par David Chapman, la marionnette de la mouche était présente en face des acteurs. Une méthode plus motivante que de devoir jouer devant un coussin vert inexpressif. Seules les pattes de mouche — les fameuses — ont été ajoutées et animées en postproduction. Une méthode qui donne un charme tout particulier à l’insecte au physique pourtant peu ragoûtant.

Mandibules © Memento Films Distribution

Le surréalisme normal

À l’instar de sa véritable fausse mouche, Mandibules s’évertue à traiter la situation improbable vécue par Jean-Gab et Manu avec un naturel désarmant. Loin de paniquer lorsqu’il découvre l’impressionnant insecte, les deux amis cherchent immédiatement à en tirer profit sans se poser de questions.

Ce premier degré confronté au surréalisme de la situation est plus présent que dans les films précédents du cinéaste. De quoi déstabiliser ceux qui ont pris l’habitude d’un univers plus labyrinthique voire torturé. Cette mouche monstrueuse mise à part, Mandibules navigue au gré des décisions désastreuses prises par les deux amis dans un univers étonnamment familier.

Cette légèreté assumée, parfaitement symbolisée par le thème principal du film composé par le groupe Metronomy, met en avant la relation d’amitié entre les deux énergumènes.

Mandibules © Memento Films Distribution

Les mouches du coche

Pour définir son nouveau film, Quentin Dupieux évoque « un mix entre le fantastique de E.T. l’extra-terrestre et la crétinerie de Dumb et Dumber« . Il faut avouer que cette comparaison, si elle n’est pas raison, est plutôt bien vue. À l’instar d’un être provenant d’une autre planète chez Spielberg, la mouche extra-ordinaire apporte cette dose de surréalisme absurde indispensable à l’univers Dupieux.

Contrairement à Steak (2017) qui transfigurait littéralement le duo Eric et Ramzy, le cinéaste traite David Marsais et Grégoire Ludig avec plus de bienveillance, film sans mort oblige. Avec des personnages plus subtils que dans leurs sketches obligeant à forcer le trait, les deux comédiens du Palmashow sont la locomotive qui fait avancer cette improbable aventure.

Mandibules © Memento Films Distribution

Criant de vérité

Le duo comique bénéficie d’un apport aussi étonnant qu’inattendu en la personne d’Adèle Exarchopoulos. L’actrice incarne Agnès, une jeune femme qui depuis un accident ne sait pas s’exprimer autrement qu’en criant. Une prestation tonitruante qui a évidemment tout pour agacer mais Adèle Exarchopoulos parvient à conserver une touche de fragilité surprenante sous son expression excessive.

Sur le fil, Agnès s’avère aussi insupportable que touchante. Paradoxalement, les cris de la jeune femme la rendent inaudible. Alors qu’elle tente d’alerter ses amis, personne ne semble vouloir l’écouter. Si la mort est la grande absente de ce nouvel opus, Agnès possède cette touche tragique survolant cette comédie désinvolte.

Moins sombre que les œuvres précédentes de Quentin Dupieux, Mandibules expérimente un premier degré au ton insouciant. Une évolution dans l’univers du cinéaste qui a de quoi surprendre même si le gigantesque insecte à l’origine inexpliquée assure l’aspect absurde cher au cinéaste. La stupidité bien humaine reste quant à elle un pilier solide de ce cinéma où la réalité s’échappe effrontément à tire-d’aile.

> Mandibules réalisé par Quentin Dupieux, France, 2020 (1h17)

Mandibules

Date de sortie
19 mai 2021
Durée
1h17
Réalisé par
Quentin Dupieux
Avec
David Marsais, Grégoire Ludig, Adèle Exarchopoulos, India Hair, Roméo Elvis, Coralie Russier
Pays
France