« L’enlèvement », prise de foi

« L’enlèvement », prise de foi

« L’enlèvement », prise de foi

« L’enlèvement », prise de foi

Au cinéma le 1 novembre 2023

En 1858, Edgardo Mortara, enfant juif de 7 ans, est enlevé par les soldats du Pape car il aurait été baptisé étant bébé. L'affaire prend une tournure internationale mais le Pape, sentant son pouvoir vaciller, refuse de rendre l'enfant à sa famille. Drame familial intime pris dans les remous de la grande Histoire, L'enlèvement est un récit saisissant où le dogme religieux fait office d'arme impitoyable. Un rapt cruel qui interroge également les méandres mystérieux du conditionnement mental à travers la conversion étonnante du jeune Edgardo.

Un matin de 1858, des gendarmes de la papauté font irruption chez la famille Mortara dans le quartier juif de Bologne. Sur mandat du Saint-Office de l’Inquisition, ils enlèvent Edgardo (Enea Sala), l’un des garçons de la fratrie âgé de 7 ans, et le mènent à Rome auprès du pape Pie IX (Paolo Pierobon), sans plus d’explication. Plus tard, ses parents dévastés apprennent la raison de ce ravissement brutal : Edgardo aurait été baptisé en secret lorsqu’il était bébé. Selon la loi pontificale, le jeune juif doit donc recevoir une éducation catholique.

Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale, les parents d’Edgardo vont tout faire pour récupérer leur fils. L’émoi autour de leur situation s’étend au-delà des frontières de l’Italie au sein de la communauté juive. Dans ce pays en pleine mutation, leur combat prend une tournure politique. Mais, malgré la pression, le dialogue avec l’Église s’avère compliqué car le pape Pie IX est prêt à tout pour asseoir un pouvoir qui lui échappe.

L'enlèvement © photo Anna Camerlingo 2023 Tous droits réservés IBC movie Kavac Film Ad Vitam Production Match Factory Productions ARTE France Cinema

Une grande Histoire familiale

Débuté dans la demeure de la famille Mortara, L’enlèvement double le drame d’une famille qui voit l’un des siens lui être brutalement enlevé avec la grande Histoire de l’Italie. Le destin fascinant du jeune Edgardo Mortara se mêle, bien malgré lui, aux événements du Risorgimento, terme qui désigne la chute du pouvoir temporel des papes, la prise de Rome et l’unification du pays. Un tourbillon historique dans lequel est entraînée la famille Mortara, opposée au pape Pie IX prêt à tout pour défendre son influence.

L’enlèvement d’un garçon juif pour en faire un bon catholique est avant tout le signe d’une fébrilité de l’Église. Derrière cet acte, la volonté désespérée du Pape au pouvoir déclinant de contre-attaquer face à la révolution qui monte. Le film de Marco Bellocchio alterne entre la découverte par Edgardo de la religion catholique et les tentatives désespérées de ses parents pour le récupérer. D’un côté la douleur d’une famille déchirée et de l’autre les manœuvres politico-religieuses d’un Pape s’accrochant à son pouvoir fragilisé. Une ferveur inquiète incarnée avec intensité par Paolo Pierobon, dans la peau d’un Pape flirtant avec la folie.

Cette lutte se vit également comme un thriller plein de rebondissements avec, au cœur de l’affaire, le baptême supposé d’Edgardo. Le procès pour tenter de récupérer l’enfant qui se tient en 1859 est à l’image du conflit qui mêle de façon ambiguë droit et conviction religieuse. L’Inquisiteur dominicain Pier Gaetano Feletti (Fabrizio Gifuni) est arrêté et jugé pour l’enlèvement du jeune Edgardo. Confiant, Momolo (Fausto Russo Alesi), le père, est persuadé que la sentence leur sera favorable. Marianna (Barbara Ronchi), la mère, est plus méfiante, à raison.

L'enlèvement © photo Anna Camerlingo 2023 Tous droits réservés IBC movie Kavac Film Ad Vitam Production Match Factory Productions ARTE France Cinema

Le bien commun

L’enlèvement brutal du jeune Edgardo Mortara est un cas d’école du mal fait au nom du bien. Car, au commencement, tout le monde semble vouloir le meilleur pour Edgardo. Et ce dès sa naissance. Il se retrouve ainsi baptisé en secret alors qu’il n’a qu’un an par Anna Morisi (Aurora Camatti), une servante catholique qui le pense mourant lors d’un épisode de fièvre extrême. Cette bénédiction pour lui éviter d’errer éternellement dans les limbes en cas de décès scelle son destin.

Le crime commis envers Edgardo est d’autant plus troublant qu’il est motivé par un principe religieux absolu. Une loi divine qui vient s’imposer aux hommes et permet de déchirer une famille pour conditionner un enfant et lui faire renier sa religion. La violence de la conversion imposée par le pape Pie IX interroge d’ailleurs sur la signification même du baptême dès le plus jeune âge. Un acte d’entrée dans la religion imposé à un être encore loin de se poser des questions d’ordre spirituel à part l’heure du prochain biberon.

Telle une sentence divine, ce baptême secret est utilisé par l’Église de l’époque comme arme pour mettre la pression sur la famille Mortara. Dépossédés de leur fils, les parents doivent se résoudre à la conversion de leur progéniture dont la judéité est niée. Malgré les protestations, le pape Pie IX reste inflexible. Aveuglé par un dogme terrifiant lorsqu’il est appliqué sans aucune humanité, il ne cédera pas. Après tout, tout cela est pour le bien de l’enfant, chose que le jeune Edgardo semble étrangement assimiler.

L'enlèvement © photo Anna Camerlingo 2023 Tous droits réservés IBC movie Kavac Film Ad Vitam Production Match Factory Productions ARTE France Cinema

Losing my religion

Car ce drame de l’enlèvement est vécu d’une façon étonnante par Edgardo Mortara. En parallèle du combat de sa famille, L’enlèvement trouble par son exploration du conditionnement mental d’un enfant de sept ans. Conduit à Rome, Edgardo se retrouve dans la « Maison des catéchumènes et des néophytes », un séminaire créé pour la conversion, entre autres, des Juifs et des Musulmans. Si le jeune garçon récite encore pour un temps une prière juive comme il le faisait avec sa mère tous les soirs avant de s’endormir, la croix que l’on lui fait porter autour du cou l’entraîne progressivement ailleurs.

Sans chercher à l’expliquer, Marco Bellocchio tente d’explorer les rouages complexes de la conversion du jeune juif qui deviendra prêtre catholique. Entre syndrome de Stockholm et réflexe de survie, l’acceptation de cette nouvelle religion imposée reste un mystère. La trajectoire d’Edgardo interroge sur la puissance d’un conditionnement mental que l’on qualifierait aisément de sectaire dans d’autres circonstances.

Cette conversion connaît cependant des phases de défiance envers l’Église. Difficile de savoir à quel point celles-ci sont conscientes ou des mécanismes de défense signe d’une schizophrénie latente. Son destin est d’autant plus troublant que le jeune homme qu’il devient (Leonardo Maltese) tentera jusqu’à sa mort de convertir les membres de sa propre famille qui n’ont jamais voulu renier leur religion juive.

L'enlèvement © photo Anna Camerlingo 2023 Tous droits réservés IBC movie Kavac Film Ad Vitam Production Match Factory Productions ARTE France Cinema

Histoire vraie fascinante, L’enlèvement possède l’attrait d’un thriller baignant dans une atmosphère politico-religieuse de fin de règne. Pris dans le tourbillon historique, Edgardo Mortara reste une énigme qui échappe à tout diagnostic trop rationnel. Le cinéaste l’assure : son film n’a aucune visée idéologique. Sa vision du drame, à hauteur d’un enfant arraché aux siens « pour son bien », en est d’autant plus troublante.

> L’enlèvement (Rapito), réalisé par Marco Bellocchio, Italie – France – Allemagne, 2023 (2h15)

L'enlèvement (Rapito)

Date de sortie
1 novembre 2023
Durée
2h15
Réalisé par
Marco Bellocchio
Avec
Paolo Pierobon, Enea Sala, Leonardo Maltese, Fausto Russo Alesi, Barbara Ronchi, Filippo Timi, Fabrizio Gifuni, Aurora Camatti
Pays
Italie - France - Allemagne