L’école collée pour retard

L’école collée pour retard

L’école collée pour retard

L’école collée pour retard

3 octobre 2011

Depuis 20 ans, la Source, fondée par Gérard Garouste, aide les jeunes, les enfants, issus de milieu défavorisé, en difficultés sociales, familiales ou scolaires. C'est grâce à l'art que des artistes et des éducateurs parviennent à sortir ces enfants de leur détresse. A l'occasion du vingtième anniversaire, une soirée de soutien est organisée lundi 3 octobre au théâtre du Rond-Point. Entretien avec Gérard Garouste, un homme qui met l'art au service du social.

Gérard Garouste, Nathalie Baye, Jean-Miche Ribes | Photo Hugo Miserey

Vous fêtez les 20 ans de la Source. Que ressentez-vous ?

L’association existe encore aujourd’hui parce qu’on est dans une réalisation qui est complètement dans l’actualité. L’art au service du social est une chose qui se développera dans les années à venir, avec ou sans la Source. Ce qui est sûr, c’est qu’on a mis le doigt sur quelque chose d’évident. Ça marche tellement bien entre les artistes et les enfants qui viennent d’un milieu défavorisé. Grâce à l’art, ils prennent le sens de leur responsabilité. Ce n’est pas une école. Nous mettons seulement l’art au service du social.

De quelle manière travaille-t-on à la Source ?

La Source est en contact avec les services sociaux du département et de la région, même avec d’autres associations et fondations en France. Nous organisons des ateliers avec un artiste et un éducateur. L’artiste est invité à travailler avec les enfants mais pas comme un professeur. Les enfants sont un peu comme ses assistants, il les emmène dans les fantasmes et dans la création. Un artiste parraine tous les ateliers de l’année, et de jeunes artistes interviennent tout au long de l’année. Ils sont en résidence. En échange d’un atelier et d’un petit salaire, ils travaillent avec les enfants. Les artistes un peu « vedette » le font gracieusement. On a commencé avec les arts plastiques, parce que c’était mon domaine, c’était plus facile de faire intervenir des artistes de grande renommée comme Daniel Buren, Christian Boltanski et d’autres. On a ensuite développé tous les média. On a commencé les arts vivants avec Philippe Découflé. La danse, le théâtre, fonctionnent encore mieux avec les enfants parce qu’on travaille en troupe, au sein d’un groupe. Les résultats sont formidables. Lundi soir, lors de la soirée anniversaire, un foyer de jeunes filles va se produire sur scène sous la direction de Patrick Pineau, entre autres.

« Il ne fallait plus laisser passer ! »

Comment avez-vous eu l’idée de créer la Source ?
Ce n’est pas une idée que j’ai eue, la Source s’est imposée à moi. Dans mon enfance, j’ai passé de nombreuses années en Bourgogne, chez un oncle et une tante que j’aimais beaucoup. Dans ce petit village de 90 habitants, toutes les familles accueillaient des enfants de l’Assistance publique. Et je me souviens de ce que me racontaient ces enfants, mes copains en fait. Et ça faisait froid dans le dos ! Mais j’étais un gamin je ne pouvais rien faire pour eux. Quand je suis devenu adulte, dans mon atelier, à faire des expositions, en tant que peintre sculpteur, j’ai été confronté aux mêmes cas de figure, dans le village où j’étais installé. Je me suis dit que cette fois, il ne fallait plus laisser passer.

Alors, comment vous y êtes-vous pris ?
A l’époque, j’ai profité d’une commande du Premier ministre, Michel Rocard. Je lui ai expliqué ce que j’avais en tête, il m’a mis en contact avec son chef de cabinet, qui m’a lui-même adressé à un conseiller. Celui-ci m’a expliqué qu’il fallait que je commence par créer une association. J’ai suivi, pendant une journée, des éducateurs, dans les familles dont ils s’occupaient dans des communes de droite ou de gauche. Ensemble, on s’est demandé comment sortir ces enfants de cette spirale, de cet isolement.

Photos FlickR, CC, City Skyline Souvenir

Il existe vraiment quelque chose en France dont on ne veut pas parler. On veut bien parler de la faim dans le monde mais pas des drames qui sont au cœur même des banlieues et des campagnes. Celles-ci particulièrement, on n'en parle pas, elles sont beaucoup moins médiatisées parce qu’aucune voiture ne brûle. Mais la situation est la même. On s’est tout d’abord occupé de ces familles en difficulté. On cherchait des sous un peu partout et l’Education nationale nous a proposé de travailler avec des classes. On a donc reçu des subventions pour travailler avec des enfants de classes classiques. Et toujours avec les enfants en difficulté, issus d’un milieu défavorisé. On était ravi que tout le monde puisse se mélanger.

En quoi l’art aide-t-il ces enfants ?
Il faut d’abord se demander ce qu’est un artiste. C’est un enfant qui a oublié de vieillir. Quelqu’un qui est dans les fantasmes, dans les illusions, dans les utopies. Confronter les artistes aux enfants, c’est une évidence ! Cette année, des enfants de banlieues ont fait un film et ils ont pris un pied pas possible.
L’art commence par savoir manger à table. Tous les rituels de notre culture, c’est de l’art. Une fourchette, un verre, nos tenues vestimentaires, tout est un rituel, et un art. L’art est une manière de retrouver une identité. L’art n’est pas passif, l’idée n’est pas d’observer mais d’agir. L’atelier n’est pas un cours d’histoire de l’art, ils sont dans la réalisation de l’artiste. Ça leur donne le sens des responsabilités, c’est fait pour s'épanouir. On leur montre que le monde n’est pas forcément un monde d’échec, de chômage, de catastrophes. Là, il s’agit d’utopie, mais l’utopie est nécessaire pour vivre, pour se construire soi-même. Il ne faut surtout pas négliger l’utopie.

« On ne s'emmerde pas comme à l'école »

Vous avez parlé deux fois de responsabilité…
La responsabilité consiste à dire : « je n’attends pas qu’on fasse de moi quelqu’un d’assisté par la société. Je prends mes responsabilités, je veux être libre, je prends le pouvoir ». C’est ça la responsabilité, s’appréhender comme un personnage libre.
Les enfants en Inde sont encore plus pauvres, mais ils ne sont pas assistés. En France, il y a tout de même toujours un poste de télévision allumé et quand même un peu à manger. Mais la famille est en échec social. Et c’est là qu'on peut aider, grâce à une prise de conscience, dans un dialogue avec l’artiste et l’éducateur, faire en sorte que, tout à coup, cet enfant s’épanouisse dans un univers qui est ludique. On n’est pas à l’école, on ne s’emmerde pas comme à l’école.

L'importance de l'utopie | Photos FlickR, CC, Wexner Center

Il semble que le milieu rural vous tienne particulièrement à cœur ?
J’ai détesté l’éducation de mes parents à la ville. Et très rapidement, on m’a refourgué la campagne, avec tous ces enfants de l’Assistance publique. J’ai vécu avec une famille formidable. Si je suis artiste aujourd’hui, c’est grâce à cet oncle que j’avais, qui était artiste sans le savoir, et faisait de l’art brut. Un artiste qui s’ignorait.
Avec l’expérience, je m’aperçois que c’était une manière de s‘épanouir. Et il m’a épanoui à travers ce qu’il faisait, ses objets. Maçon, tailleur de pierres et bûcheron, c’était un homme pauvre, mais très riche dans sa tête, et j’ai profité de son enseignement. L’art fonctionne comme ça, ce n’est pas une matière théorique, on bénéficie d’une expérience avec de bons artistes. C’est pour ça qu’à la Source, on fait très attention à la qualité des artistes, on ne prend pas des artistes qui sont des profs, même s’ils sont d’excellents profs. Les élèves seraient dans une écoute, passifs. Ça se passe de cette façon à l’école. Nous ne sommes pas à l’école, nous ne sommes pas passifs. On est tout de suite dans l’expérience, dans l’urgence. L’enfant est à la Source pendant quelques mois ou plusieurs années. Il faut aller vite.

En quoi l’art vous a-t-il aidé, petit ?
J’étais nul à l’école. J’allais dans une boîte de Jésuite avant qu’on m’envoie à la campagne. Pour le prof, un autre élève et moi n’étions tellement pas au niveau qu’il avait inventé une sous-classe, avec deux élèves. Je pouvais être soit premier, soit dernier. J’étais vraiment mauvais. Mais ma seule manière d’exister et d’avoir une identité par rapport à mes petits copains était le dessin. Je faisais les dessins de fin d’année, pour les mamans à la fête des mères. Je me suis toujours rendu compte, d’emblée, d’instinct, que l’art était une ouverture formidable.

Ecole du Bauhaus

Les grandes aventures du XXe siècle sont celles de Matisse, Picasso… Mais il s’agit de l’art pour l’art. Il y a eu aussi une formidable aventure avortée par le nazisme, qui s’appelle le Bauhaus. Les artistes, les peintres Klee, Kandinski, ou l’architecte Walter Gropius, avaient la sensation d’être du côté de la transmission. Ils savaient les choses, mais ils savaient aussi les transmettre. On n’est plus dans l’art pour l’art, mais l’art dans la société, le citoyen non assisté, au sens platonicien du terme. Quel rôle a l’artiste dans cette société ? Moi, j’ai trouvé mon rôle et mon milieu, aider les enfants en difficulté.

Que pensez-vous de l’école ?
L’école m’emmerde dans bien des domaines. Mais c’est surtout l’Education nationale qui m’emmerde. Le ministère est en retard d’un siècle. C’est énervant mais ça ne sert à rien de s’énerver. Il faut leur montrer qu’il existe d’autres manières d’enseigner. Il faut qu’ils prennent conscience que dans l’enseignement, il y a aussi l’aspect ludique. Aujourd’hui, à l’ère du numérique, on a de nouveaux outils… L’école ne les utilise pas, alors les élèves s’ennuient profondément. Elle pourrait enrichir les cours mais ne le fait pas.
Nous formions des profs pendant un moment, des jeunes profs de l’IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres). Les crédits ont été annulés. Nous ne formons plus de profs, pour moi c’est un retour en arrière. Le ministère le plus important, c’est l’Education nationale.