« Le Marchand de sable », décence interdite

« Le Marchand de sable », décence interdite

« Le Marchand de sable », décence interdite

« Le Marchand de sable », décence interdite

Au cinéma le 15 février 2023

Djo vit modestement chez sa mère avec sa fille. Lorsque Félicité, une tante en exil du conflit ivoirien débarque avec ses trois enfants, Djo est pris dans un engrenage qui va le transformer en marchand de sommeil. Premier long-métrage de Steve Achiepo, Le Marchand de sable explore habilement le drame complexe de l'habitat indécent en faisant basculer un héros plein de bonne volonté vers l'intolérable. Thriller social efficace, cette incursion au cœur du mal-logement met en lumière sans misérabilisme cette honte nationale, au-delà des chiffres.

Djo (Moussa Mansaly) est livreur de colis en banlieue parisienne marqué par des années de prison. Son activité ne lui permet pas de vivre ailleurs que chez sa mère qui l’héberge avec sa fille. Dans l’appartement maternel la promiscuité est la règle et l’espace se partage tant bien que mal avec d’autres membres de la famille.

Un soir, Félicité (Aïssa Maïga), une tante de Djo, débarque au domicile à l’improviste avec ses trois enfants. Elle vient de fuir la Côte d’Ivoire pour échapper au conflit qui scinde le pays en deux. Devant l’impossibilité de trouver une place aux nouveaux arrivants dans l’appartement déjà surchargé, Djo leur déniche un local dans l’urgence.

Face à la demande croissante d’hébergement, Djo décide d’aider d’autres familles et passe un accord avec le colonel (Mamadou Minté) qui propose des lieux désaffectés à investir. Convaincu de son rôle bénéfique, Djo s’enfonce progressivement dans ce trafic de logements de la dernière chance. Sans vouloir se l’avouer, il devient un véritable marchand de sommeil.

Le Marchand de sable © Barney Production - Jokers Films

Histoire de famille(s)

Le Marchand de sable s’ancre dès le départ dans le cercle familial. C’est au cœur d’une fête d’anniversaire organisée pour la mère de Djo que Félicité débarque sans prévenir. Avec cette scène inaugurale, Steve Achiepo prend le temps de poser le décor : un appartement qui accueille généreusement les membres d’une famille qui s’entend de façon élargie. Mais la solidarité familiale se heurte aux mètres carrés disponibles pour ajouter de nouveaux matelas au sol.

L’arrivée de Félicité s’inscrit dans le contexte d’un exil qui situe l’action entre 2010 et 2011. Comme tant d’autres, elle a fui Abidjan avec ses trois enfants pour échapper à la crise opposant Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Un conflit choisi par le réalisateur pour son écho dans son histoire familiale mais applicable à de nombreux autres conflits entraînant l’exil, y compris au sort actuel de l’Ukraine.

Face aux circonstances, Djo décide d’assumer la charge de la solidarité familiale. Malgré ses propres difficultés, il trouve une solution d’hébergement temporaire pour sa tante et ses enfants. Un premier élan de générosité que Djo va naturellement appliquer à d’autres familles dans le besoin sans se méfier de l’engrenage qui va se l’emporter.

Le Marchand de sable © Barney Production - Jokers Films

Urgence d’hébergements

Pour aider sa tante et ses enfants, Djo se tourne dans un premier temps naturellement vers un centre d’hébergement. Mais devant la vétusté du lieu, Djo préfère une solution alternative, illégale mais plus acceptable à ses yeux. Ce manque de moyens pour les solutions d’hébergement est incarné par Aurore (Ophélie Bau), ex de Djo et mère de sa fille. Travailleuse sociale déterminée, elle se bat avec les règles établies pour tenter de trouver des solutions pérennes aux personnes les plus en détresse.

En parallèle de la débrouille de Djo, Aurore évolue dans un système totalement dépassé par les demandes d’hébergement. Steve Achiepo a interrogé une de ses amies assistance sociale pour représenter dans le film les limites de cet accueil qui tente tant bien que mal de répondre aux nombreuses sollicitations. Paradoxalement, le cinéaste a décidé de minimiser dans le film certaines situations dramatiques confiées par son amie par peur qu’une réalité parfois cruelle rende la fiction trop sensationnaliste.

Malgré cette précaution atténuante, Le Marchand de sable dépeint honnêtement un système à bout de souffle qui doit gérer des situations sociales qui vont bien au-delà des simples questions de logement. Au cœur des difficultés, la question du logement reflète alors un parcours cabossé par la vie. Persuadé qu’il peut leur offrir mieux qu’un système qui prend l’eau malgré toute sa bonne volonté, Djo s’aventure vers l’occupation de lieux abandonnés.

Le Marchand de sable © Barney Production - Jokers Films

Dérive obscure

À travers le prisme familial, Le Marchand de sable évoque concrètement la situation du mal-logement en France en plongeant progressivement dans les contradictions du système d’entraide mis en place par Djo. Avec habileté, Steve Achiepo initie le parcours de Djo avec une première réaction de générosité instinctive toute naturelle. La solidarité familiale est la clé d’un enchaînement de situations qui fait lentement mais sûrement basculer une aide bienveillante dans l’ambiguïté.

Après avoir aidé sa tante, Djo convainc le colonel de lui présenter celui qui lui met à disposition les lieux désaffectés pour aider d’autres familles. Entre en scène Yvan (Benoît Magimel), sympathique entrepreneur au sourire charmeur. Toujours prêt à aider son prochain… à condition qu’il y trouve son compte. Une fois que l’argent s’en mêle, les lignes se brouillent entre l’entraide et le trafic.

Motivé par une solidarité qui dépasse désormais le cocon familial, Djo se retrouve au cœur de la relation complexe entre les familles et leur logeur où reconnaissance et emprise se côtoient dangereusement. Preuve de l’ambiguïté de la situation, il n’y a pas véritablement de moment de bascule dans le film. Le Marchand de sable tient en équilibre sur un fil tendu entre sincérité de la bonne action et exploitation. Une zone grise qui justifie l’aveuglement de Djo alors que le sol se dérobe sous ses pieds. Confronté à la réalité, il se réfugie dans un déni aux conséquences terribles.

Le Marchand de sable © Barney Production - Jokers Films

Repos impossible

Exploration des sombres recoins du mal-logement, Le Marchand de sable met en lumière une situation intenable sans proposer une résolution qui serait trop facile. Le film assume au contraire son rôle de thriller social pessimiste avec ce périple captivant d’un homme sombrant peu à peu face à une lutte perdue d’avance. Une vision désespérée où les bonnes intentions du héros le font chuter dans le cynisme d’un système dévastateur.

Steve Achiepo dresse un constat au réalisme amer sur l’accueil des réfugiés mais au-delà sur l’état du mal-logement en France. Sans surprise, Le Marchand de sable a attiré l’attention de la Fondation Abbé Pierre, partenaire de la sortie du film. Une occasion de rappeler ces chiffres qui occultent parfois malgré eux la réalité humaine parfaitement décrite dans le film. En France, le mal-logement concerne 4 millions de personnes et au moins 600 000 logements sont touchés par l’habitat indigne selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre.

Le Marchand de sable © Barney Production - Jokers Films

Plongée saisissante dans les méandres du mal-logement, Le Marchand de sable explore les ambiguïtés d’un trafic engendré par une crise du logement qui s’aggrave chaque année. Malgré les promesses d’un ancien candidat, le nombre de personnes sans-domicile a plus que doublé en France en 10 ans. Fort heureusement, sur ce sujet social comme sur d’autres, le gouvernement s’engage activement contre les marchands de sommeil et l’habitat insalubre avec des mesures radicales comme… l’abaissement de l’aide APL. De quoi dormir tranquille.

> Le Marchand de sable, réalisé par Steve Achiepo, France, 2022 (1h46)

Le Marchand de sable

Date de sortie
15 février 2023
Durée
1h46
Réalisé par
Steve Achiepo
Avec
Moussa Mansaly, Aïssa Maïga, Ophélie Bau, Benoît Magimel
Pays
France