Dans un futur proche, les humains exploitent à outrance une mystérieuse lune rouge pour en extraire le Lumina, une énergie devenue dominante dans ce monde à bout de souffle. Mais depuis peu, l’astre a changé de trajectoire et fonce droit sur la Terre.

Entraîné pour éviter la catastrophe, Paul W.R (Hugo Becker) est le seul astronaute capable de détruire la lune menaçante mais il refuse d’accomplir la mission et disparaît. Traqué sans relâche, Paul croise la route d’Elma (Lya Oussadit-Lessert), une adolescente têtue qui n’a plus rien à perdre et s’incruste dans cette fuite en avant à l’issue incertaine.

Du court au long voyage

Alors qu’il était destiné à devenir avocat, un « vrai métier » susceptible de rassurer ses parents, Romain Quirot a tout plaqué en postulant à une annonce pour être monteur de films. Un boulot que l’apprenti cinéaste décroche au culot en montrant l’un de ses innombrables courts métrages tournés avec ses potes de lycée.

En 2014, son court-métrage Un vague souvenir remporte le concours Nikon puis celui du Audi talents awards. Grâce à ces deux récompenses, le réalisateur attire l’attention et réunit le financement nécessaire pour un nouveau court de science-fiction, Le dernier voyage de l’énigmatique Paul WR (2015).

Pré-sélectionnée aux Oscars, cette histoire de lune exploitée qui se rebelle contre les humains sert de base à ce premier long métrage au titre raccourci dans son nouveau format.

SF à la sauce française

Cet attrait de Romain Quirot pour les mondes post-apocalyptiques se retrouve également dans la saga Gary Cook, écrite en collaboration avec Antoine Jaunin. Publiée chez Nathan, la saga sera prochainement adaptée en série pour la plateforme Disney +.

Mais dans le domaine de la SF, raconter des histoires sur papier est plus aisé que les voir se concrétiser sur grand écran. Malgré l’intérêt porté au court-métrage relatant les mésaventures de Paul W.R, il n’a pas été évident de convaincre d’en faire un long métrage.

La réponse des producteurs sollicités se résumait à : tout mais pas de SF ! Un refus catégorique motivé par l’assurance que l’on ne sait pas exploiter correctement cet univers en France. Une remarque pessimiste que Romain Quirot contre en rappelant que la SF au cinéma a été inventée en France par le génial Méliès !

Dans les pas de son illustre prédécesseur, Romain Quirot finit par convaincre en promettant un tournage en mode « punk ». Comprendre qui nécessitera des moyens limités. Tourné en octobre 2019 dans le désert marocain, Le Dernier Voyage bénéficie d’effets spéciaux solides rendant crédible ce voyage dystopique aux multiples références.

Parfum 80

Romain Quirot est un enfant des années 80 et cette influence plane sur son premier film. La culture populaire très « 80s » est affichée dès le début du voyage avec le célèbre Cambodia de Kim Wilde accompagnant les tribulations de Paul dans un marché.

Le film est nourri de multiples références que le cinéaste n’hésite pas à détourner. Influencé notamment par l’univers de Ray Bradbury et ses Chroniques martiennes, Romain Quirot a créé un monde où les clins d’œil cinématographiques sont nombreux.

Poursuivi par des hommes armés évoquant les Stormtroopers de la saga Star Wars, Paul WR passe devant un panneau publicitaire vantant l’énergie Lumina qui n’aurait pas dénoté dans Blade Runner (1982). Le désert et le rapport aux véhicules — ici volants — évoquent pour leur part le monde désolé de Mad Max (1979).

Des références plus concrètes peuvent également être relevées comme le rôle de Jean Reno qui incarne Henri W.R, le père de Paul et patron de Space W.R. Deux avatars respectifs du fantasque Elon Musk et de sa société Space X.

La présence de l’acteur au générique peut également faire penser au duo qu’il forme avec Natalie Portman dans Léon (1994) qui est transposé jusqu’à un certain degré dans la relation entre Paul et Elma. Là aussi, le héros bougon qui refuse cette responsabilité doit composer avec une gamine encombrante.

Dilemme héroïque

Cauchemar dystopique, Le Dernier Voyage porte un discours écolo assumé. L’imposante lune rouge exploitée qui se venge en menaçant la Terre nous renvoie à notre propre responsabilité face au désastre écologique en cours. Mais le récit joue également la carte du doute face à la menace.

En plein dilemme, Paul est partagé entre son devoir envers l’humanité et une conviction profonde, quasi mystique, qu’attaquer la lune rouge serait la pire des choses à faire. Romain Quirot mêle ici le spectaculaire de la catastrophe qui s’annonce et l’intime à travers l’histoire familiale de Paul.

Le héros est tiraillé entre ce qu’il pense être juste — ne pas provoquer la lune rouge — et écouter ce père qui souhaite sa destruction. Un combat entre le devoir envers sa propre famille et l’humanité et son instinct. Entre devenir avocat et rêver de cinéma ?

Très familier

La fuite de Paul, poursuivi par son frère Elliott (Paul Hamy), sorte de double maléfique émissaire de la lune rouge, est entrecoupée de flashbacks familiaux. Ces souvenirs du passé donnent corps au dilemme de Paul. Sa quête d’indépendance pouvant entraîner la fin de l’humanité. Surtout, pas de pression !

Focalisé sur cette intrigue familiale qui se dévoile au fur et à mesure, Le Dernier Voyage ne prend pas le temps d’approfondir le contexte de cette France dystopique. Un manque qui pourrait frustrer les spectateurs les plus pointilleux avides de savoir notamment comment on a pu en arriver là.

Mais il s’agit là d’un risque partagé par tous les films de SF — y compris les meilleurs. L’adhésion du spectateur repose sur sa capacité à se plonger totalement dans l’univers proposé sans être troublé par des éléments restés en suspens. Et le voyage proposé par Romain Quirot possède assez d’atouts pour ne pas attirer l’attention sur les pièces manquantes du puzzle.

Inspiré par la culture des années 80, Le Dernier Voyage n’a pas à rougir devant les grosses productions s’aventurant dans le monde de la SF. Porté par une réalisation et des effets spéciaux soignés, le road trip dystopique proposé par Romain Quirot nous fait voyager. Certes dans un futur anxiogène, mais en cette période de confinements à répétition toute évasion est salutaire.

> Le Dernier Voyage réalisé par Romain Quirot, France, 2020 (1h27)