Imaginez le poste de commandement centralisé de la ligne 12 du métro, mixé à un ensemble de logements. Voilà la commande de la RATP passée en 2006 auprès de l’architecte Emmanuel Saadi. Au-delà de l’élaboration d’un bâtiment, ce projet influe sur l’organisation de la ville et comporte une réelle création urbanistique répondant à une multitude de contraintes. Loin d’effrayer son concepteur, il offre une solution originale qui apparaît libre de toute règle.
Un projet urbanistique
Les habitants du XVe arrondissement de Paris ont vu s’assembler, depuis quelques mois déjà, une curieuse façade de cubes verts au 43 bis de la rue Desnouettes. N’y voyez surtout pas le délire de l’architecte mais la face cachée d’un iceberg bien pensé, qui s’étend sur une parcelle chargée d’histoire. « Pour moi c’est un projet d’urbanisme alors que les gens ne voient, pour l’instant, que l’extérieur », précise Emmanuel Saadi. Et pour cause.
Ce projet s’inscrit en parallèle d’un autre projet de la Ville de Paris : la réhabilitation de la Petite Ceinture[fn]La Petite Ceinture est une ancienne ligne de chemin de fer à double voie, longue de 32 kilomètres, construite entre 1852 et 1869. Utilisée pour le transport de passagers et le fret de marchandises, elle faisait le tour de Paris à l’intérieur des boulevards des Maréchaux.[/fn], une ancienne ligne de chemin de fer, en parc et jardin, ouverts à tous d’ici 2013. Cette dernière se situant au fond de la parcelle de la RATP, il a fallu concevoir un bâtiment répondant non seulement au Plan local d’urbanisme (PLU) mais aussi aux contraintes du terrain, de son environnement proche ainsi qu’à la commande.
S’approprier les contraintes
L’une des contraintes majeures imposées par la Ville de Paris était l’obligation de conserver un passage, pour les piétons, de l’entrée jusqu’au fond du terrain. Conséquence ? Une nouvelle rue, encore privative, a été créée.
La parcelle, une sorte de haricot géant, de 200 mètres de long sur 30 mètres de large (au maximum) desservait une voie ferrée de raccordement entre les ateliers Vaugirard – où étaient réparés les wagons du métro de la ligne 12 – et le réseau ferré de la Petite Ceinture. « Le choix de conserver la courbe de la voie, sa trace historique, nous a permis de formaliser l’accès piéton », explique Emmanuel Saadi. L’implantation du bâtiment coulait alors de source : il longerait la nouvelle rue.
S’intégrer dans son environnement
Le choix de cette implantation courbe et longiligne, sur toute la longueur du terrain, a eu pour conséquence de créer un nouvel îlot, caractéristique urbanistique de Paris. La colonne vertébrale du bâtiment est en effet le miroir des constructions alignées sur la rue Desnouettes.
D’autres bâtiments limitrophes présentent également une identité forte et hétéroclite. L’architecte procède alors à un choix subtil. « Nous avions la volonté de laisser autonome ce bâti environnant », précise Emmanuel Saadi. Il décide de ne pas coller la façade de son bâtiment sur le pignon de l’immeuble Haussmannien voisin. La faille ainsi créée laisse libre cet immeuble et appuie d’autant plus la nouvelle allée piétonnière qui conduit à la Petite Ceinture.
Un projet architectural
Cette architecture est un véritable jeu d’assemblage. Elle s’organise autour des circulations horizontales et verticales auxquelles s’accrochent des cubes. Le poste de commandement de la RATP, semblable à une tour de contrôle, s’inscrit tout naturellement sur la rue, face aux ateliers techniques. Cette façade interpelle le passant. Dans la continuité, s’installent 47 logements sociaux, du studio aux quatre pièces, divisés en quatre blocs distincts. Cette dualité du programme a été voulue par la RATP, non seulement pour valoriser l’ensemble du terrain mais aussi pour répondre au problème du manque de logements à Paris.
La morphologie des bâtiments, peu commune, se compose de superpositions de cubes greffés sur la colonne vertébrale. « La volumétrie est le résultat de la commande de la RATP, de la fonctionnalité du bâtiment avec ses circulations et aussi des contraintes de la parcelle », résume l’architecte. Un jeu complexe auquel Emmanuel Saadi s’est amusé à répondre par une sorte de Lego où les cubes s’imbriquent, s’élèvent et ressortent pour créer les pleins et les vides si significatifs de l’architecture.
Une plastique
Afin d’appuyer la force de cette construction, loin d’être le fruit du hasard, Emmanuel Saadi et son équipe s’amusent sur la plastique de ce bâtiment basse consommation (BBC). L’épine dorsale sera en aluminium gris et les cubes en aluminium vert. « Ce choix coloré permet de magnifier les cubes en saillie et d’indiquer de manière un peu triviale la liaison avec la Petite Ceinture ».
Ce vert est encore présent sur la « cinquième façade », la toiture terrasse. Végétalisée, elle permet d’apporter au voisinage une vue agréable et aux habitants un confort de vie, tout en augmentant le degré d’hygrométrie du quartier. Généreux donc ! De même dans les logements où l’architecte offre deux fenêtres par pièce de vie : « la création de deux ouvertures permet d’avoir des pièces plus lumineuses et de créer des vues ». Rarissime à Paris.
Le pari est gagné, Emmanuel Saadi et son équipe ont réalisé, dans un espace difficile, un projet symbolique et urbain présentant une forte empreinte architecturale. Malgré la multitude de contraintes, le concepteur a réussi à rester libre. Et la sculpture n’est plus ! Chaque choix est justifié. Rendez-vous en 2013, année d’ouverture de la Petite Ceinture, afin que chacun puisse découvrir ce projet, passé de la catégorie OANI à architecture réussie.