Jolie, souriante et légèrement vêtue, la pinup a marqué les années 40 et 50. Dessinée sur les affiches, paquets de cigarettes, unes des magazines, la pin-up traverse l’Atlantique en même temps que les Américains débarquent en Europe. Chaleureuse, belle et sympathique, elle est immédiatement adoptée. Impossible de parler pin-up sans penser aux divines d’Aslan, dessinateur et sculpteur français. Durant dix-huit ans et une fois par mois, il offre une nouvelle coquine dans le magazine Lui. Alors que reparaissaient ses dessins dénudés à la fin de l’année 2010 (1), on assiste ces dernières années à un retour en grâce de la pin-up. Perdue de vue durant une vingtaine d’années, elle est aujourd’hui un symbole de féminité pour les femmes.
A l’origine
Spécialiste de la pin-up au cinéma (2), Mélanie Boissonneau trouve les origines de la pin-up dans la scène théâtrale anglaise de la fin du XIXe siècle : « A cette époque, les actrices étaient dépendantes des directeurs de théâtre, qui les utilisaient selon leur bon vouloir. En même temps que la première vague féministe pour le droit de vote des femmes en Angleterre, certaines actrices choisissent de s’émanciper et se mettent en scène dans leur pièce, se prennent en photo, et distribuent ce qui va s’appeler des « cartes de visite ». Elles reprennent donc le contrôle de leur image en faisant elles-mêmes leur publicité. Très vite, ces cartes vont devenir des objets très prisés, et, en plus d’une pub pour leur spectacle, un revenu supplémentaire pour les actrices. De véritables collections se mettent très vite en place. » Des pin-up avant la lettre qui utilisaient leur image pour échapper à la mainmise de l’homme.
Difficile effectivement de ne pas faire un lien avec l’âge d’or de la pin-up, dans les années 40. Figure féminine rassurante pour le G.I. venu se faire tuer loin de chez lui durant la Seconde Guerre mondiale, la pin-up retrouve son panache depuis le milieu des années 2000. Héroïne photographique, elle était aussi très souvent dessinée. Chute de rein merveilleuse, taille marquée et croupe généreuse, ces filles, d’abord aperçue en une des magazines, sont baptisées en 1941 : pin-up girl, la fille punaisée. La belle s’accroche alors aux carlingues des avions de combat, se colle dans les cabines des camions, s’étale sur les murs des chambres des jeunes pubères. Elles font vendre les magazines, comme toutes les jolies filles après elles. Les magazines américains sont envoyés en Europe, avec les chewing gum, pour rassurer les gars. Mieux qu’une image de l’oncle Sam pour galvaniser les troupes.
Qui sont les pin-up ?
Elles s’appellent Marilyn Monroe, Betty Page, Rita Hayworth ou encore Jessica Rabbits, sublime épouse du lapin Roger. Qu’ont en commun toutes ces femmes ? Bien sûr, elles sont belles. Seins, hanches, fesses, tout y est. Légèrement vêtues ou totalement dévêtues, elles ne sont pas frileuses. Toutes affichent un sourire des plus avenants et sympathiques.
Pour Christophe Mourthé (3) – photographe qui a lancé Dita Von Teese, la plus célèbre des effeuilleuses burlesques -, toutes ces femmes possèdent « un excès de séduction, de féminité et de glamour ».
Mélanie Boissonneau remarque, quant à elle, « l’inadvertance, qui fait leur charme. Une sorte de naturel trop souvent confondu avec de la naïveté ». Elle insiste : « Il faut distinguer la pin up des vamps et des femmes fatales. La pin-up rassure. » Très féminine, elle l’est sans être prétentieuse ni effrayante.
Une insulte au féminisme ?
Si Mesdames Alonso et Beauvoir ne voient dans cette image exacerbée de la femme qu’une expression de sa soumission à l’homme, d’autres y voient au contraire l’expression d’une féminité domptée, assumée et indépendante. « Certaines femmes veulent un féminisme plus fun qui n’en serait pas moins efficace. Les pin up apparaissent alors comme un modèle possible de féminité assumée », explique Mélanie Boissonneau. « Les pin-up reviennent aujourd’hui, notamment par le burlesque et la scène, parce que les femmes ont envie de libérer leur corps. » Corset et porte-jarretelles ne seraient plus alors les prisons textiles du vagin mais des instruments de la liberté féminine !
Et qu’en dit le photographe ? N’utilise-t-il pas ces femmes comme des objets du désir ? « Dans mon travail, la femme n’a jamais été un objet. D’ailleurs je travaille pour les femmes, je ne travaille ni pour les machos ni même, plus largement, pour les hommes hétéro. Je travaille pour que la femme réinvestisse sa féminité et l’assume. » Christophe Mourthé affirme que 70 à 80% de ses clients sont, d’ailleurs, des clientes.
Le public est-il lassé du porno ?
Le retour de la pin-up ne peut-il être mis en relation avec le déclin du porno chic ? Mélanie Boissonneau l’affirme : « Il n’y a absolument aucun lien entre la pornographie et les pin-up ». Ce qui est sans doute vrai, d’un certain point de vue. Mais si l’on se met à la place d’un photographe qui gagne sa vie en photographiant les femmes, le lien est vite trouvé. « J’ai trente ans de carrière derrière moi. Trente années d’érotisme dont dix ans de porno et dix de sado-maso. » Depuis que la pin-up rapporte à nouveau, il a pu arrêter le porno. « Il fallait bien que je gagne ma vie ! » Le porno était rentable des années 70 aux années 90, plus maintenant. Pour Christophe Mourthé, « on s’en est lassé ». Et lui se consacre à ce qu’il aime.
Il gagne aujourd’hui sa vie grâce à ses premiers émois. Sa nounou, cuissarde, jupe courte et décolleté, prenait des cours de peinture. Ses modèles ? Les pin-up des unes des magazines. « J’ai passé mon enfance au milieu des couvertures d’Aslan et de Vargas. »
Il se rend également compte de cette évolution en observant les ventes de ses oeuvres. Il n’a pas uniquement immortalisé la sublime effeuilleuse Dita Van Teese, mais aussi les stars du porno telles que Julia Chanel ou Clara Morgane. « Qui aujourd’hui veut avoir une photo de Clara Morgane dans son salon ? Personne. Mais les photos de Dita, je les vends. Et à des femmes ! »
Effet de mode ou véritable renouveau ?
D’après Mélanie Boissonneau, la vraie réactualisation de la pin-up est le fait des femmes. « Il faut bien distinguer les collectionneurs de pin-up (dessins, photos, magazines) qui sont des hommes à celles qui pratiquent, qui font la pin-up tous les jours ou le temps d’un spectacle. » Le succès du film Tournée de Mathieu Amalric est symptomatique de cet engouement. Tout comme l’engouement pour l’Ecole des Filles de joie où l’on délivre des cours d’effeuillage. Le renouveau de la pin-up a donc été voulu par les femmes et pour les femmes.
L’arrivée de Dita Von Teese n’y est pas non plus pour rien. « Elle m’a envoyé un fax en 1998. Au début, je la faisais dormir dans un petit hôtel et même les fois d’après, dans le studio. Quand elle est arrivée, je me suis aperçu qu’elle incarnait ce que je recherchais depuis toujours, une fille en tailleur et bas couture, dans la vraie vie, » raconte Christophe Mourthé. La brune si désirable a remis le strip tease burlesque au goût du jour et fait de nombreux émules. Le photographe refuse de se montrer passéiste mais regrette le côté artificiel de la pin-up actuelle. Il refuse ce titre à Eva Mendès. Pour lui, on est pin-up du matin au soir et du soir au matin. Les femmes des années 50 l’étaient, c’est vrai. Mais avaient-elles le choix ? Le retour de la pin-up ne correspond-il pas plutôt à un état d’esprit ? La pin-up attitude : une féminité libérée et assumée.
(1) Pin-up, Aslan, La Musardine, 2010.
(2) Les Pin-up au cinéma, Mélanie Boissonneau et Laurent Jullier, Armand Colin, 2010.
(3) La femme est un art, Christophe Mourthé, 2010.