Après sa dépression et son hospitalisation à Saint-Louis loin de tout – « tout en haut de la colline » – Bastien tente de revenir à la vie. Pas si simple quand le cœur « bat trop vite, trop fort, au point de l’empêcher d’entendre ce que les autres disent ». Reprendre pied, à petit pas. Travailler, d’abord : Bastien devient AESH dans une école de quartier aux côtés de Thomas, un enfant délaissé par sa mère. Éviter de s’isoler, prendre soin des siens : sa mère Coco, sa sœur Anouk, son fils Nino, Fanny, son ex-compagne, « dans la vie » quand Bastien se tient « plutôt sur le côté ».
Le soir, écrire.
Bastien tient ainsi une forme de journal de bord qui joue la partition de l’hiver : de novembre à mars, les mois s’égrènent, de la « chambre jaune » aux jours de lumière tremblante. S’y entremêlent les histoires de vie romancées des habitants de son quartier, des personnages qui surgissent et s’effacent aussi vite. Il y a Naël et son père, qui doivent placer leurs chats après une visite des services sociaux ou encore cet enfant serbe contraint d’aller à l’école en fauteuil roulant pour que sa famille ne soit pas inquiétée par la préfecture ; il y sera roi sur son trône. Tous ces fragments de vie dessinent un tableau urbain populaire, rugueux, où les espoirs sont maigres mais la solidarité puissante.
On ne saura pas – et peut être à regret- ce qui est arrivé à Bastien. Il se raccroche au présent, dresse un portrait en creux de son angoisse, qui n’est jamais nommée mais sourd entre les lignes.
« Il faut retourner à la vraie vie après être tombé, à la vie de tous les jours. » Cette phrase, que Bastien écrit pour sa sœur Anouk, pourrait être la devise du livre. Anouk, chirurgienne, perd l’usage d’un bras dans un accident de moto. C’est en prenant soin d’elle que Coco se découvre (enfin !) la tendresse et l’instinct d’une mère. Coco, l’éternelle absente de leur jeunesse, mère fantasque, fumeuse acharnée, « qui ne croit pas en Dieu » et « n’emporte jamais rien » quand elle quitte une ville ou une chambre d’hôtel. À son propos, Bastien dira : « J’ai été étonné chaque jour qu’elle ne m’ignore pas, qu’elle me laisse être son enfant. »
C’est un petit livre bref, sensible que celui de Sébastien Ménestrier. On pourrait lui reprocher le trop-plein de thèmes abordés : le confinement, la colère de la rue, les tirs de LBD, les manifs … Autant de fils qui ne sont pas toujours dénoués et saturent le récit là où les personnages, évanescents, auraient pu gagner en épaisseur. Et pourtant, la somme de ces morceaux dissonants engendre un tout mélodieux, une poésie discrète, persistante, qui ausculte l’intime avec beaucoup de délicatesse.
Sébastien Ménestrier, né en 1979, pianiste et enseignant, poursuit ici une œuvre sensible où l’écriture ausculte l’intime : Où la chanson va (Zoé, 2023), Le chant de Shilo (Zoé, 2022) et Pendant les combats (Gallimard, 2013, finaliste du Goncourt du premier roman).