« Je vous salue salope », misogynie sans frontières

« Je vous salue salope », misogynie sans frontières

« Je vous salue salope », misogynie sans frontières

« Je vous salue salope », misogynie sans frontières

Au cinéma le 4 octobre 2023

Sur deux continents, quatre femmes témoignent des cyberviolences extrêmes dont elles ont été victimes. Documentaire militant, Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique fait le constat édifiant de l'explosion d'une haine en ligne systémique contre les femmes. Avec la circonstance aggravante de l'incapacité - ou l'indifférence - des gouvernements et des plateformes d'Internet à endiguer le phénomène.

Pour symboliser l’aspect global du problème, Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique recueille la parole de victimes de la haine en ligne sur deux continents. Des États-Unis au Canada, de l’Italie à la France, Khia, Laurence, Marion et Laura reviennent face caméra sur leur calvaire. Elles ont des trajectoires et des histoires différentes à raconter mais chacune a vécu cette misogynie qui s’exprime librement sur Internet.

Des insultes souvent proférées sous couvert d’anonymat mais pas toujours, preuve du sentiment d’impunité face à ce délit numérique rejeton déviant d’une société qui a bien du mal à se défaire d’un patriarcat oppressif. Et comment s’étonner qu’il en soit autrement lorsque les condamnations peinent à venir ?

Au fil des témoignages saisissants, le documentaire interroge l’inertie coupable des gouvernements et des plateformes de réseaux sociaux à contrôler ce déversement de haine envers les femmes.

Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique © Les Productions de la ruelle

Haine systémique

En 2012, Guylaine Maroist, co-réalisatrice du documentaire, s’exprime de plus en plus dans l’espace public et découvre le harcèlement 2.0. Comme une punition, des menaces de mort et de viol emplisse son ordinateur et son téléphone. Les attaques portent le sceau d’une misogynie crasse : son physique, sa sexualité ou encore ses capacités intellectuelles sont commentés. Des  insultes violentes propres au harcèlement en ligne envers les femmes qui la poussent au silence pendant un moment.

Avec ce documentaire au titre provocateur, elle recueille avec Léa Clermont-Dion la parole de victimes pour montrer l’ampleur du phénomène et tenter de briser le silence que s’imposent trop souvent les femmes dans l’espace numérique. Selon l’ONU, 73% des utilisatrices d’Internet ont subi une forme de cyberviolence. En conséquence, 50% des femmes déclarent qu’Internet n’est pas un endroit sûr pour partager leurs idées. Pour contrebalancer cette censure, les cinéastes ont décidé de ne pas donner la parole aux harceleurs. Le documentaire se concentre sur les victimes et ce qu’elles racontent est édifiant.

Avec humour, Marion Séclin, comédienne et youtubeuse française, se déclare championne dans le domaine du cyber harcèlement. Alors qu’elle réalisait des vidéos pour le webzine Madmoizelle, la jeune femme a reçu plus de 40 000 messages sexistes, menaces de mort et de viol incluses. Une déferlante de violence qui l’a réduite au silence pendant deux ans avant de faire son retour sur Youtube. Son calvaire montre l’ampleur que peut prendre le phénomène et l’isolement face au déferlement de haine.

Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique © Les Productions de la ruelle

Vengeance misogyne

Pourquoi tant de haine ? Pour les observateurs.trices des violences en ligne, la réponse se trouve notamment dans l’onde de choc provoquée par le hashtag MeToo dénonçant à partir de l’automne 2017 les agressions sexuelles. Cette prise de conscience sans précédent a entraîné un terrible retour de bâton. Comme une vengeance, la misogynie est devenue plus virulente, assumée. Se sentant menacés, certains mâles à la virilité fragile ripostent. Avec une violence sans précédent.

Leurs armes : harcèlement, dénigrement, lynchage, diffusion de photographies intimes, menace de viol ou de mort… L’expression malsaine de ce malaise est  parfois facilitée par l’arrivée au pouvoir d’hommes conservateurs appartenant à une droite tournée vers l’extrême à la misogynie décomplexée. Aux États-Unis, l’arrivée de Donald Trump à la présidence a libéré cette haine anti-femmes avec notamment pour héritage idéologique la modification mortifère du droit à l’avortement.

Représentante afro-américaine de l’État du Vermont, Kiah Morris a été percutée de plein fouet par le ressac de la déferlante MeToo. Avec, dans son cas, une misogynie teintée de racisme. Élue en 2014, Kiah Morris, seule femme noire de la Chambre, a effectué deux mandats consécutifs mais a du démissionner en 2018 après des mois de harcèlements en ligne. Prise à partie par un habitant néo-nazi, la haine en ligne s’est concrétisée autour d’elle avec des croix gammées sculptées sur des arbres sur sa propriété ou encore une intrusion de sa maison.

Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique © Les Productions de la ruelle

Une haine institutionnalisée

Devant l’inaction de la police et craignant pour sa vie, Kiah Morris a finalement dû se résoudre à déménager. Une décision radicale qui montre l’incroyable impunité des harceleurs. Une inaction que le documentaire explique par la logique économique derrière la haine en ligne et des hommes politiques au pouvoir qui ne semblent pas pressés de régler définitivement le problème.

Présidente de la Chambre des députés de 2013 à 2018, Laura Boldrini est la femme la plus cyber-harcelée d’Italie. À partir de son investiture, la femme politique a reçu des menaces de viol et de mort, par milliers. Et certaines de ces menaces et remarques sexistes proviennent d’hommes politiques qui siègent au parlement avec elle ! À l’époque chef du parti populiste La Ligue du Nord, Matteo Salvini a été l’un de ceux à attiser la haine contre Laura Boldrini symbolisée lors d’événements politiques très officiels par une poupée gonflable.

Son cas démontre la domination d’un patriarcat qui permet à des élus de telles dérives. Avec de tels comportements dans la classe politique, le déferlement de violence misogyne sur Internet accompagné d’un sentiment sidérant d’impunité est compréhensible. Difficile dans ce climat de faire passer des lois pour faire condamner les oppresseurs et imposer des règles aux plateformes de réseaux sociaux.

Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique © Les Productions de la ruelle

L’argent du harcèlement

Réglementer pour étouffer la haine, c’est pourtant ce que tente de faire Laura Boldrini qui a notamment Facebook dans le collimateur. Elle se bat pour que les lois européennes encadrent adéquatement toutes les plateformes de médias sociaux. Combat compliqué lorsque la viralité d’un message est ce qui rapporte aux entreprises du web. Et si une photo de chaton trop mignon a du succès, les contenus choquants se propagent encore plus aisément.

« Les réseaux sociaux ont élevé la misogynie à un niveau de violence sans précédent ». Ce constat sans appel est fait par Donna Zuckerberg interrogée dans le documentaire. Autrice du livre Not All Dead White Men : Classics and Misogyny In The Digital Age et sœur de Marc, le grand patron de Meta, maison mère de Facebook. Malheureusement, son frère ne semble pas vraiment prendre en compte son expertise.

Car ce sont des milliards qui sont en jeu comme le rappelle Je vous salue salope. Cette haine déversée est très lucrative pour les plateformes qui rechignent à couper le robinet des insultes et menaces sachant qu’ils se privent d’une manne financière importante. Et le rachat de Twitter par Elon Musk n’arrange rien. Devenu X, le réseau a ouvert la boîte de Pandore de la haine et de la désinformation sous couvert de liberté d’expression.

Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique © Les Productions de la ruelle

Le poids de la haine

Avec les insultes reçues qui s’affichent sans filtre à l’écran, Je vous salue salope est à l’image de son titre rentre-dedans. Il dit crûment la violence du harcèlement numérique pour faire ressentir son impact dévastateur. Le montage en format thriller et des effets sonores un peu envahissants sont parfois un peu too much car les témoignages sidérants se suffisent à eux même mais le message passe assurément.

Le documentaire de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist cartographie avec ses divers témoignages les méandres d’une haine en ligne qui ciblent en priorité les femmes qui, à l’échelle mondiale, sont 27 fois plus susceptibles d’être harcelées en ligne. Au cœur du docu, l’idée que la cyberviolence doit être considérée comme une violence à part entière.

Une opinion appuyée par Marion Séclin qui déclare que le harcèlement en ligne qu’elle a enduré est pire que le viol dont elle a été victime lorsqu’elle avait 16 ans. Une confidence glaçante qu’elle explique par l’intrusivité du harcèlement numérique dans son quotidien et sa permanence sur un temps long.

Documentaire de combat, Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique refuse l’enquête sociologique et assume de donner la parole uniquement aux victimes pour explorer les conséquences désastreuses de la haine misogyne. Un état des lieux qui effleure les solutions mais délivre un constat implacable sur ce mal qui gangrène la toile renforcé par des actions encore trop faibles des gouvernements et des plateformes.

> Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique, réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, Canada, 2022 (1h20)

Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique

Date de sortie
4 octobre 2023
Durée
1h20
Réalisé par
Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist
Avec
Laura Boldrini, Laurence Gratton, Marion Séclin, Kiah Morris, Sarah T. Roberts, Laurence Rosier, Nadia Seraiocco, Donna Zuckerberg
Pays
Canada