Chaque recoin de l’île de Crète est un terrain de jeu pour Icare, le fils du génial inventeur Dédale. Lors d’une excursion près du palais de Cnossos, le petit garçon fait une étrange découverte : un enfant à tête de taureau y est enfermé sur l’ordre du roi Minos. En secret de son père, Icare se rapproche progressivement du jeune Minotaure nommé Astérion.
Mais le destin va cruellement séparer les deux amis. Pour se venger de la monstrueuse infidélité de sa femme, la reine Pasiphaé, Minos enferme Astérion dans un labyrinthe conçu par Dédale. Icare pourra-t-il changer le cours d’une histoire écrite par les dieux ?
Être hybride
Fort d’un parcours riche en expériences variées, Carlo Vogele propose avec Icare un type d’animation piochant dans diverses techniques. Né au Luxembourg, le réalisateur a suivi une formation à l’école des Gobelins à Paris avant de travailler notamment pour les studios Aardman à Bristol et Pixar en Californie. Il participe entre autres à Toy Story 3 (2010), Rebelle (2012) – lire notre critique – ou encore Monstres Academy (2013).
Pour ce premier long métrage en tant que réalisateur, Carlo Vogele dévoile une technique hybride en associant animations 2D et 3D. L’identité graphique du film a été créée par Édouard Cour, auteur de BD féru de mythologie, à qui l’on doit la série Herakles. Les décors ont été peints selon ses dessins et ses personnages modélisés en 3D.
Ce subtile mélange de dessin et de 3D fonctionne parfaitement. Icare donne l’impression d’une BD qui prend vie sans jamais attirer l’attention sur l’hybridation des techniques. Ce métissage assumé se retrouve également dans la musique qui accompagne les aventures du jeune garçon, délicate combinaison de musique baroque et musique orientale.
Héros labyrinthique
Lorsqu’il a débuté cette aventure il y a 6 ans, Carlo Vogele s’est plongé dans la mythologie crétoise : le roi Minos, la reine Pasiphaé, le Minotaure, Thésée l’Athénien… Au centre de tous ces personnages, comme au cœur d’un labyrinthe, se trouve Dédale. Le fidèle architecte-inventeur est à la jonction de toutes les ambitions.
L’ambiguïté du personnage, artiste génial et amoral, semblait le désigner pour tenir le premier rôle dans l’histoire. Mais sa position d’entre deux ne convainc finalement pas le cinéaste qui décide d’explorer un autre personnage.
Son choix se porte alors sur Icare, constamment dans l’ombre de son père avant d’entrer tragiquement dans une lumière fatale. Selon Carlo Vogele, ce jeune garçon ne demandait qu’à briller.
Inventer Icare
Dans les textes d’Ovide, Icare se distingue par sa rencontre létale avec l’astre solaire précipitant sa chute. En dehors de son envol et de cette chute tragique, on ne sait quasiment rien de lui. Sur cette page quasiment vierge, Icare imagine son enfance. Une histoire qui prend la forme d’une amitié fraternelle a priori improbable.
Débrouillard, le petit garçon espiègle tisse un lien merveilleux avec Astérion, enfant illégitime de la reine Pasiphaé et d’un immense taureau. Au fil des années, Icare et le Minotaure, communiquant par télépathie, deviennent des frères inséparables.
Héroïque innocence
En introduisant cette amitié à toute épreuve dans le récit mythologique, Icare y apporte une forme de douceur. Cette fraternité enfantine sert habilement de porte d’entrée pour les plus jeunes dans un récit mythologique par ailleurs cruel et violent.
Le cinéaste qui cite Mon voisin Totoro (1988) et Le Géant de fer (1999) comme exemples y voit également la célébration d’une innocence intimement liée à l’enfance. Le monstre n’est en effet pas toujours celui que l’on croit. Et le comportement vengeur du roi Minos dans cette histoire tient à le prouver
Envol fraternel
Immuable depuis des millénaires, la mythologie est pourtant sujet aux interprétations. Sa lecture peut changer de sens selon les périodes et ce que l’on souhaite y projeter. Un point commun avec les textes religieux, parfois avec des résultats détestables.
Mais, plus qu’une relecture de la mythologie, Icare s’efforce de faire vivre les zones d’ombre autour du fils de Dédale. Une variation subtile qui ne vient pas dénaturer le fond de l’histoire mais la complète habilement.
Entre le jeune garçon et Astérion, les mots ne sont pas nécessaires. Leur télépathie renforce l’aspect fantastique du récit et s’inscrit naturellement dans un monde légendaire. La naïveté du jeune Icare face à la différence plaide pour une bouffée d’optimisme dans un univers particulièrement brutal.
Tragédie antique
Avec un équilibre subtil, Icare place son propos sur la fraternité sans pour autant édulcorer les passions adultes. Au contraire, le cinéaste croit à la capacité des plus jeunes à comprendre et apprécier la cruauté qui anime la mythologie. La lâcheté et la dureté des uns met ainsi en lumière l’héroïsme des autres.
Cette exaltation des désirs naturels et des sombres desseins offre des rebondissements à l’image du cœur troublé des Hommes. Ainsi, la naissance coupable du Minotaure et sa part de bestialité le condamne à mort.
Un destin injuste scellé par le roi Minos qui l’enferme le labyrinthe et Thésée qui débarque sur l’île de Crète pour le tuer afin de prouver son courage. L’affirmation d’une virilité par la violence, que la reine Pasiphaé et sa fille Ariane pourraient qualifier de masculinité toxique si elles pouvaient se risquer à l’anachronisme.
Ariane sans fil
Mais Ariane a d’autres préoccupations en tête lorsqu’elle regarde Thésée. La jeune femme a en effet du mal à cacher son trouble pour l’éphèbe athénien dont la pudeur n’est pas la qualité première. Leur présence dans la même pièce dégage une tension, a minima, sensuelle.
À l’instar de la haine et du ressentiment, Icare représente le transport amoureux dans toute sa vigueur. Malgré ce jeu de séduction à la malice assumée, le film reste familial, s’il était besoin de le préciser. D’autant plus que son parti pris a de quoi charmer petits et grands, adeptes ou non de mythologie.
Adaptation intelligente, Icare fantasme une amitié enfantine qui donne une dimension touchante au mythe du Minotaure. Un beau récit, sur le fond et la forme, qui donne envie d’accompagner le jeune héros jusqu’au bout, quitte à se brûler les ailes auprès de son ardente amitié fraternelle.
> Icare (Le garçon qui vola trop près du soleil), réalisé par Carlo Vogele, Luxembourg – Belgique – France, 2021 (1h16)