« Helmut Newton, l’effronté », le voyeur mis à nu

« Helmut Newton, l’effronté », le voyeur mis à nu

« Helmut Newton, l’effronté », le voyeur mis à nu

« Helmut Newton, l’effronté », le voyeur mis à nu

Au cinéma le 14 juillet 2021

Photographe provocateur, Helmut Newton a su imposer dès 1960 un style reconnaissable entre tous mettant en scène une nudité féminine autant célébrée que controversée. À travers le regard éclairant des femmes photographiées par ce précurseur, Helmut Newton, l'effronté explore l'œuvre audacieuse et souvent polémique d'un artiste génial épris de liberté.

Helmut Newton compte parmi les photographes les plus influents de son époque pour avoir dynamité la représentation des femmes dans la mode. Précurseur controversé, il a consacré une grande partie de son œuvre à célébrer les femmes avec une esthétique inimitable.

Dès le début des années 60, Helmut Newton met en scène des femmes libres dans des situations volontairement provocantes détournant les codes sociaux. C’est désormais au tour de ces femmes photographiées par l’artiste de tirer son portrait. Leurs souvenirs esquissent un pionnier à l’humour insolent, en lutte constante contre le bon goût supposé du puritanisme.

De son enfance dans l’Allemagne nazie à un Paris iconique qu’il a su immortaliser dans ses photographies, Helmut Newton, l’effronté retrace la vie d’un artiste que le scandale n’a jamais effrayé. Bien au contraire…

Helmut Newton, l'effronté - Isabella Rossellini © Lupa Film, Pierre Native

Cinéaste portraitiste

Depuis 1992, Gero von Boehm réalise des documentaires avec une prédilection pour les portraits. Le cinéaste allemand s’est déjà intéressé notamment aux destins de David Hockney, Norman Mailer, Audrey Hepburn ou encore Isabella Rossellini.

En 1997, le réalisateur et Helmut Newton se rencontrent. Les deux hommes créent un lien qui va durer dans le temps, notamment grâce à un sens de l’humour similaire. Au-delà de la personnalité du photographe, le cinéaste apprend également à connaître et à apprécier June Newton.

Compagne indissociable de la vie et du travail d’Helmut, June est également une photographe réputée sous le nom d’Alice Springs. Le documentaire de Gero von Boehm montre à quel point elle a joué un rôle majeur dans la carrière de son mari.

Helmut Newton, l'effronté - Crocodile, Wuppertal, 1983 © Helmut Newton, Helmut Newton Estate Courtesy Helmut Newton Foundation

All access

À l’origine, le discret Helmut Newton et sa femme June, très protectrice, n’étaient pas très emballés par l’idée d’un documentaire. Après des années de négociations, Gero von Boehm convainc finalement le couple de participer au projet.

Fin 2002, un premier documentaire est diffusé sur ARTE en France au sein de la série de portraits intitulée Ma vie. Helmut Newton, l’effronté se nourrit de ce premier documentaire, enrichi de matériel supplémentaire, notamment de vidéos tournées par June Newton pendant des années.

Pour plonger au cœur de l’œuvre et de la vie de l’artiste, le cinéaste a eu un accès exclusif et illimité aux archives de la Fondation Helmut Newton avec des documents vidéo et audio tournés de son vivant. Ils dévoilent une facette intime du photographe venant compléter son image d’artiste polémique.

Helmut Newton, l'effronté - Claudia Schiffer © Alexander Hein, LUPA FILM

Cancel Helmut ?

Volontairement provocatrice, l’œuvre d’Helmut Newton n’échappe pas au regard actuel évaluant le travail d’un artiste à l’aune d’une remise en cause d’un système patriarcal étouffant. Les accusations de misogynie faites au photographe ne sont pas si étonnantes pour celui qui a toujours revendiqué le droit au mauvais goût.

Impertinent, le travail de Newton n’a d’ailleurs pas attendu cette mise en perspective féministe de l’art pour faire scandale. Déjà à l’époque, l’artiste se moquait du politiquement correct. Une défiance brandie comme un étendard qui a bouleversé la photo de mode traditionnelle.

Ainsi la série de photos avec la mannequin Nadja Auermann qui apparaît sur des béquilles ou encore dans une chaise roulante avait choqué lors de sa parution. Tout comme la photo de Grace Jones, nue et les pieds enchaînés, sur la couverture du magazine Stern en 1978.

Helmut Newton, l'effronté - Helmut at home, Monte Carlo, 1987 © Alice Springs, Helmut Newton Estate Courtesy Helmut Newton Foundation

L’œuvre du photographe est parcourue par ces frissons de scandale et continue à diviser de nos jours. Rien d’étonnant à cela pour cet artiste qui confessait s’intéresser dans ses portraits à la manière dont le sexe influence le pouvoir. Un intérêt qui flirte avec la fascination qui ne saurait être plus en phase avec notre époque post #metoo.

Le triomphe du danger

Helmut Newton, l’effronté évoque frontalement ce débat sur l’image de la femme renvoyée par les photographies de l’artiste. Pour certains, le regard posé par Helmut Newton sur ses modèles femmes est sexiste et misogyne en les rabaissant en tant qu’objets sexuels. Pour d’autres, il met en scène des femmes fortes et indépendantes qui ont confiance en elles.

Comme souvent, il s’agit d’une question de point de vue fortement influencé par l’intention que l’on prête à l’artiste qui tient l’appareil. Pour Newton, ses photographies décrivent un corps féminin « triomphant » et des femmes « dangereuses ».

Helmut Newton, l'effronté - Charlotte Rampling © Pierre Native, LUPA FILM

Il faut accorder au photographe que les femmes dans son œuvre sont toujours en position de force, laissant aux hommes le rôle subalterne de tristes accessoires. Comme des chapeaux ou des chaussures.

De l’art et du cochon

Les modèles immortalisées par Newton sont-elles des femmes fortes ou des objets sexuels enfermés dans une mise en scène flirtant souvent avec le fétichisme ? Les témoignages récoltés dans le documentaire semblent indiquer que la vérité réside dans une zone grise où les deux assertions sont également valides.

En effet, Helmut Newton n’a jamais nié le biais de son regard d’homme hétéro. Le « male gaze » théorisé depuis plane évidemment sur ses clichés. Impossible de nier la sensualité qui se dégage des femmes qu’il a photographiées dans laquelle transpire le désir fantasmé du photographe. Mais elles sont toujours en position de force, ce qui en dit long sur la nature du fantasme de l’artiste qui se décrivait volontairement comme voyeur.

Helmut Newton, l'effronté - David Lynch & Isabella Rossellini © Helmut Newton, Helmut Newton Estate Courtesy Helmut Newton Foundation

L’appréciation de l’œuvre de Newton réside dans l’œil de la personne qui la contemple. Cette mise en scène de ces femmes-objets, parfois femmes-poupées, peut être considérée comme un avilissement des modèles. Ou, au contraire, comme la dénonciation du rapport de la mode et au-delà de la société à ces corps serviables à merci et sexualisées à outrance.

Séparer le photographe de l’homme

Dans ce procès artistique certainement éternel, Helmut Newton, l’effronté invite à la barre celles qui ont été exposées au regard du photographe. Cette volonté de ne donner la parole qu’à des femmes est pour le réalisateur naturelle si on considère la place subalterne des hommes dans l’œuvre de Newton.

Isabella Rossellini, Charlotte Rampling, Grace Jones, Nadja Auermann, Claudia Schiffer, Marianne Faithfull et l’incontournable Anna Wintour, le casting est prestigieux. Mannequins, actrices, chanteuses, réalisatrices… elles livrent leurs anecdotes sur leur expérience professionnelle auprès du célèbre photographe.

Helmut Newton, l'effronté - Arena, Miami, 1978 © Helmut Newton, Helmut Newton Estate Courtesy Helmut Newton Foundation

Ces souvenirs souvent amusants dévoilent une facette de l’artiste d’une banalité confondante, à mille lieux du photographe malsain que certains clichés peuvent faire imaginer.

Ce coup de projecteur donne une idée de l’esprit dans lequel les photographies de Newton ont été prises. De quoi alimenter un avis plus éclairé sur le résultat final et la personnalité malicieuse du photographe.

À travers des entretiens chaleureux et de nombreux documents intimes captés par sa femme June, Helmut Newton, l’effronté tire un portrait sincère d’un artiste guidé par une soif de liberté non négociable. La polémique qui n’en finit plus de faire débat est certainement l’héritage le plus flamboyant de cet agitateur qui a su bousculer l’univers de la mode, beaucoup trop sage à son goût.

> Helmut Newton, l’effronté (Helmut Newton the Bad and the Beautiful), réalisé par Gero von Boehm, Allemagne, 2020 (1h29)

Photographie entête de l’article Self portrait, Monte Carlo, 1993 © Helmut Newton, Helmut Newton Estate Courtesy Helmut Newton Foundation
Affiche du film © The Helmut Newton Estate / Maconochie Photography

Helmut Newton, l'effronté (Helmut Newton the Bad and the Beautiful)

Date de sortie
14 juillet 2021
Durée
1h29
Réalisé par
Gero von Boehm
Avec
Helmut et June Newton, Grace Jones, Charlotte Rampling, Isabella Rossellini, Claudia Schiffer, Anna Wintour, Marianne Faithfull, Nadja Auermann, Hanna Schygulla
Pays
Allemagne