Partis en vadrouille pour un plan qui se révèle foireux, Leslie (Mahamadou Sangaré) et Renard (Martin Jauvat) se retrouvent sur un chantier destiné à accueillir une future ligne de métro du Grand Paris. Alors qu’ils explorent le lieu, les deux jeunes glandeurs découvrent une pierre portant des sigles inconnus. Artefact, talisman antique ou relique d’une civilisation disparue ? Leur imagination s’emballe devant cet étrange objet.

Convaincus que leur découverte peut potentiellement rapporter gros, les deux amis se lancent dans une quête pleine de rebondissements pour percer le mystère des étranges inscriptions. Avec les moyens du bord, ils parcourent l’Île-de-France en bus, RER, métro… et enchaînent les rencontres improbables lors d’une folle nuit prenant la tournure d’une grande aventure mystique.

Banlieue commune

Resté à la porte des écoles de cinéma, Martin Jauvat poursuit sa route en autodidacte en réalisant des courts métrages ancrés dans cette banlieue francilienne qu’il connaît si bien. Et pour cause, le jeune cinéaste de 26 ans est né à Chelles. Située à une vingtaine de kilomètres de Paris, cette ville moyenne de Seine et Marne est reliée à la capitale par deux lignes de transport : le RER E et la ligne de Transilien P. Martin Jauvat connaît par cœur ces transports en commun permettant de se connecter à la ville lumière et au reste de la région, toujours en passant par le centre névralgique de la capitale.

Étudiant à Paris, il enchaîne le bus 113, puis le RER A, le métro et enfin le tramway pour aller en cours. Un trajet de 3h aller-retour – un peu moins que celui emprunté par son père pour se rendre au travail toute sa vie – qui permet de rêvasser. Ces paysages vides ponctués de chantiers perpétuels qui se succèdent devant son regard perdu vers l’horizon sont au cœur de cette aventure explorant une architecture francilienne parfois étonnante.

Bâtiments détonants

À force de les observer, Martin Jaumat fantasme sur ce qui peut bien se passer derrière les palissades du Grand Paris Express. Ce « chantier du siècle » qui a pour mission de connecter entre elles les banlieues franciliennes pour les désenclaver sans passer par Paris. La pierre découverte sur un de ces chantiers par Leslie et Renard est une excuse pour enquêter sur ce qui se cache – ou non – derrière ces palissades.

Au cours de leur périple, les deux comparses vont découvrir des lieux méconnus ou oubliés du grand public. Grand Paris s’amuse à jouer sur l’aura mystérieuse de certains sites insinuant qu’ils ont des secrets bien cachés. Avec beaucoup de dérision, ce road trip fantasque glissant vers le fantastique rend exotiques ces lieux enfantés par le monde industriel.

Au cours de cette folle nuit, échangeurs, gares et antennes monumentales se parent d’atours étranges voire ésotériques. De constructions purement utilitaires à énigmes archéologiques il n’y a qu’un pas que Grand Paris nous invite à franchir. Porté par la curiosité décalée de son duo de potes attachant, le récit flirte avec une science-fiction délirante plus fantasmée que réellement crédible et réenchante une banlieue bétonnée.

Extra terrains

Avec malice, Grand Paris nous entraîne dans le sillage tortueux de Leslie et Renard sur la base d’une intrigue plutôt mince. Leur quête nonchalante pour découvrir ce que peut bien valoir leur pierre n’est en effet pas d’un intérêt primordial. Bien moins trépidante en tout cas que la quête du célèbre Indiana Jones pour trouver le Saint Graal avec des nazis à ses trousses. Et pourtant, l’artefact entraîne des rencontres décalées qui amusent et intriguent.

C’est notamment le cas de Momo interprété par Sébastien Chassagne, « enfant bulle » malchanceux dans Le Flambeau, les aventuriers de Chupacabra (2022). Ce geek adepte de théories complotistes en tous genres révèle les plans secrets de l’État derrière les bâtiments les plus étranges de la région aux deux amis ébahis. Égyptien, sumérien… extra-terrestre ? La provenance de la relique devient de plus en plus mystérieuse.

Motivés par l’enthousiasme de Momo, Leslie et Renard partent à la découverte de ces lieux étranges comme la Tour TDF de Romainville aux Lilas. Ancien lieu de transmission de la télé hertzienne qui sert désormais à afficher l’horaire en temps réel des bus de la RATP, elle devient un vaisseau spatial crédible aux yeux de nos apprentis archéologues modernes. Grand Paris se nourrit avec gourmandise des légendes urbaines sur ces lieux étonnants comme la Pyramide de l’Axe Majeur, à Cergy Pontoise, qui prend une toute autre ampleur.

Répliques au top

Bus, métro, RER, trains, noctiliens… Grand Paris est un road movie en transports en commun au rythme peu trépidant. Mais ce périple parfois interrompu par des pauses imposées aux arrêts de bus ou sur les quais d’une gare assume totalement sa lenteur. Ces pérégrinations qui semblent ne mener nulle part ne plombent pas l’intérêt pour cette aventure rocambolesque rebondissant de façon nonchalante d’un lieu à l’autre au fil de rencontres fortuites.

Cette absence de réel fil conducteur, mis à part la valeur supposée de la pierre découverte, permet au film de naviguer à vue en jouant sur plusieurs genres. La cohérence de l’ensemble est maintenue par le travail d’écriture de Martin Jauvat qui reconnait faire des dialogues la pierre angulaire de son travail. D’une grande efficacité, les répliques de Grand Paris sont le ciment de cette aventure dont l’intérêt réside plus dans ce que les protagonistes en disent que sa réalité.

Si le film se garde bien d’être politique, la question de la gentrification perce au détour d’une réplique de Momo. Mais le phénomène est vu comme un plan machiavélique plutôt qu’une conséquence d’un capitalisme impitoyable. Cette considération sociale dépasse de toute façon les protagonistes qui jonglent avec les concepts – les civilisations antiques, l’archéologie ou encore l’amour – comme des occasions de balancer une réplique bien sentie. Avec son allure d’éternel adolescent, Amin, vendeur ambulant de drogue et de fast food interprété par William Lebghil, vu notamment dans la série Soda (2011-2014) et Le sens de la fête (2017) – lire notre critique, incarne magnifiquement ces échanges qui brassent de l’air avec un art de la désinvolture particulièrement savoureux.

Trip urbain sans réel terminus, Grand Paris charme pour sa capacité à nous entraîner dans un voyage délirant qui fait miroiter la possibilité d’un mystère caché dans les entrailles des bâtiments industriels franciliens. Un réenchantement du quotidien à la simplicité touchante et aux répliques qui font mouche sur fond d’amitié et de désirs d’évasion.

> Grand Paris, réalisé par Martin Jauvat, France, 2022 (1h12)