Au Danemark, Ruben, 10 ans, est l’un des meilleurs escrimeurs de son club. Facilement déstabilisé lorsqu’il est en difficulté, il va devoir apprendre à contrôler son anxiété s’il veut briller lors des championnat d’Europe où il s’apprête à affronter certains des escrimeurs les plus talentueux de sa génération. En Russie, Nastya, 12 ans, partage avec sa petite sœur Polina, 7 ans, le rêve de devenir danseuse étoile. Sélectionnées parmi plus de 5000 jeunes, elles s’entraînent sans relâche au sein de la prestigieuse et exigeante Académie Boris Eifman à Saint-Pétersbourg. Au Japon, Chikara est un apprenti lutteur de sumo qui porte la charge d’être le fils d’un des plus grand champion de la discipline. Le meilleur de son club, le jeune garçon de 10 ans se surpasse pour ne pas décevoir son illustre père.
Issu du projet Ultra Sport Kids regroupant six moyens métrages documentaires autour des enfants et du sport, Graine de champion réunit trois de ces films diffusés dans les salles françaises. Les deux réalisateurs, Simon Lereng Wilmont et Viktor Kossakovsky, posent un regard tendre sur le parcours de ces trois sportifs en herbe, très différents mais unis par le même besoin de dépassement de soi.
Mini champions en formation
Le réalisateur danois Simon Lereng Wilmont a décidé de suivre Ruben, jeune escrimeur talentueux au caractère affirmé, et Chikata, apprenti-sumo qui tente de se faire un prénom au pays du soleil levant. Son collègue russe Viktor Kossakovsky s’est lui penché sur le destin de Nastya, jeune danseuse étoile qui s’entraîne avec sa sœur Polina pour conserver leur place au sein d’une prestigieuse académie de danse. En fin observateurs, les deux cinéastes essaient de capter le quotidien des ces trois enfants aux profils et caractères très différents mais réunis par la passion de la pratique sportive. Un projet produit par Final Cut for Real à qui l’on doit notamment les magnifiques documentaires The Act of Killing (2012) et The Look of Silence (2014) — lire notre chronique — réalisés par Joshua Oppenheimer.
On découvre ainsi Ruben, jeune escrimeur qui manque de confiance en soi malgré ses excellents résultats, prêt à douter — voire à s’emporter, les arbitres en font parfois les frais — à la première contrariété. Un profil sensible d’autant plus touchant que l’on devine derrière la compétition une belle histoire d’amitié — ou peut être plus — entre le jeune garçon et Marie, également championne d’escrime. L’autre portrait proposé par le réalisateur danois nous emmène au Japon, au contact d’un sport méconnu qui peut paraître incongru aux yeux d’occidentaux, le sumo. Moins nerveux que Ruben, le jeune Chikara mène deux combats de front : vaincre des adversaires parfois plus imposants que lui et réussir à s’élever au niveau de son père, Harumitsu, qui est également son entraîneur et ex-lutteur de sumo professionnel. Là aussi on éprouve de l’empathie pour ce jeune garçon sur lequel pèse le poids d’une célébrité paternelle pas facile à porter. Plus introspectif et taiseux, l’épisode central de Graine de champion nous mène à Saint-Pétersbourg, dans les salles de la réputée Académie Boris Eifman. Nastya et sa petite sœur Polina y jouent leur maintien ou non dans l’école et la réalisation de leur rêve commun, devenir soliste de ballet. Ici c’est la solidarité entre les deux sœurs qui émeut, au-delà des souffrances inévitables à ce niveau de pratique.
Flou artistique assumé
Cela peut être assez perturbant — voire décevant — pour certains spectateurs, le documentaire Graine de champion est très peu explicatif et fait la part belle à la forme plutôt que le fond, que l’on est invité à déceler à travers des regards et des attitudes volés par la discrète caméra. Si le film consacré à Chikara est plus bavard que les deux autres — le jeune lutteur de sumo explique en voix off ses états d’âme —, le parcours de Ruben et de Nastya se passe de commentaires. Ce parti pris est totalement revendiqué par Simon Lereng Wilmont qui n’a pas souhaité inclure dans ses films de sous-titres explicatifs ou une voix off provenant de l’extérieur afin de se concentrer sur la valeur artistique des images. Et il faut reconnaître qu’à ce niveau le documentaire sublime les jeunes champions à travers des plans magnifiques où sont captés leurs moindres efforts, forces et faiblesses. Les caractères s’affirment à travers des regards, des postures et rien d’autre car ni les enfants et encore moins l’entourage ne sont à proprement parlé interrogés.
Cette méthode avare d’explications peut, au choix, charmer ou laisser le spectateur sur sa faim. Il ne faut pas s’attendre à un décryptage de ce statut bien particulier d’enfant pratiquant un sport à haut niveau ni du poids qui est mis sur leurs frêles épaules. Mais sur ce point le réalisateur danois a peut-être finalement raison, à trop vouloir orienter le spectateur on perd de vue les nuances. Il n’en reste pas moins que sans grand discours, Graine de champion saisit au vol de jolis moments comme lorsque Nastya conseille à sa petite sœur « d’ouvrir son âme » pour mieux danser. Le film gagne en émotion lorsque la compétition s’éloigne et qu’il se recentre sur les relations humaines. Destiné aux jeunes spectateurs (conseillé à partir de 8 ans), ce documentaire leur offre la possibilité de s’identifier à des enfants comme eux, qui pleurent quand ils perdent. Si les portraits restent vagues sur les conséquences d’un tel engagement physique, ils sont touchants et il est probablement plus sain pour un enfant de s’identifier à Ruben, Nastya et Chikara qu’aux stars adultes du sport. Dans ces prémisses de carrière, la gloire est toute relative et l’argent ne vient pas encore dénaturer leur passion.
Regard distancé sur trois sportifs en herbe, Graine de champion charme par la beauté de ses images et la mise à distance respectueuse qu’il s’impose. Ce documentaire capte les grandes joies et les amères déceptions de trois petits champions, sans jamais perdre de vue l’enfant qui se cache sous la performance.
> Graine de champion, réalisé par Simon Lereng Wilmont et Viktor Kossakovsky, Danemark – Suède – Norvège, 2013-2015 (1h23)