Flow, un jeune chat noir, se réveille dans une maison vide et constate que le monde est désormais submergé par une vaste étendue d’eau dont le niveau ne cesse de monter. Dans ce nouvel environnement, aucune trace des humains. Alors qu’il part à la découverte de ce nouvel environnement, le félin qui n’apprécie guère l’eau manque de se noyer.
Flow trouve heureusement refuge sur un bateau qui abrite d’autres animaux : un capybara, un chien, un lémurien, un oiseau blessé… Sur cette arche improvisée, l’entente entre les voyageurs n’est pas chose aisée mais, réunis par l’adversité, ils apprennent peu à peu à collaborer. Alors que Flow tente de surmonter sa phobie de l’eau, tous doivent s’adapter à ce nouveau monde immergé.
Alone
Cinéaste et animateur letton, Gints Zilbalodis s’est fait remarquer avec Away (2019), un film d’animation qu’il a créé et réalisé seul, lauréat du prix Contrechamp du meilleur long métrage au festival d’animation d’Annecy. Pour ce second long métrage présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, le cinéaste nous mène en barque dans un monde dystopique où, en l’absence inexpliquée des humains, les animaux semblent avoir hérité de ce nouvel environnement très humide.
De nature timide, Gints Zilbalodis s’est lancé dans l’animation pour sa promesse d’indépendance. Une bonne alternative selon lui aux films de prises de vue réelles qui permet de développer des histoires avec des moyens limités et sans avoir besoin d’une grande équipe autour de soi. Pour faire un lien avec à son premier court-métrage Aqua (2012) qui met en scène un chat qui a peur de l’eau, le titre complet de ce nouveau film est Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau.
Au-delà du titre, le cinéaste s’identifie à son héros félin car, à l’instar de la charmante boule de poils qui doit collaborer avec d’autres animaux, le réalisateur a dirigé pour la première fois une grande équipe pour cette nouvelle production. L’image de Flow qui mène sa barque à travers un monde hostile prend alors une autre signification méta pour devenir un clin d’œil au long processus créatif et collaboratif de production.
Grands espaces
Voyage d’aventure contemplatif, Flow charme par la beauté de ses paysages envahis par la mystérieuse montée de l’eau. Le sens du détail apporté à la végétation et au traitement de l’eau omniprésente invite à se laisser porter par les flots comme le fait le chat sur sa barque naviguant au gré des courants. Le rythme lent du périple permet de se perdre dans ces décors soigneusement réalisés, grande force d’une animation très naturelle.
Cette place très importante laissée aux paysages traversés par Flow et son équipage renforce l’idée d’une nature majestueuse à laquelle il faut s’adapter – sujet de plus en plus d’actualité. L’autre thématique est la nécessaire union face à l’adversité pour survivre dans un univers chamboulé par l’omniprésence de l’élément liquide. Défi compliqué quand on est un chat ! En voguant vers les vestiges de l’ancien monde, Flow distille un univers poétique entre mystère et aventure guidée par la nature.
Au fil de l’eau
Fasciné par Hitchcock et Kubrick, Gints Zilbalodis plaide pour que l’animation soit considérée comme un mode d’expression cinématographique comme les autres. Une vision partagée notamment par Guillermo del Toro qui plaide également pour abolir les frontières entre persistantes entre l’animation, encore trop souvent considérée destinée aux plus jeunes, et films en prise de vues réelles. La réalisation soignée de Flow avec ses mouvements de caméra élaborés plaide en ce sens tout comme ses différents niveaux de lecture.
Dans le monde de l’animation, Gints Zilbalodis admire Hayao Miyazaki pour le côté imprévisible de ses films. Pour Flow, le cinéaste s’est inspiré de la méthode du maître qui ne connaît jamais la fin de son histoire lorsqu’il la commence. Un lâcher prise qui vaut parfois à Miyazaki des critiques sur la structure d’un scénario par définition mouvant mais totalement assumé pour cette histoire de chat à la dérive. Avec un script qui a évolué lors de la production, Flow renforce cette impression d’imprévu qui captive malgré le rythme contemplatif du film.
Chat bouge bien
S’il possède des décors très détaillés, Flow joue la carte d’un aspect simplifié pour Flow et les animaux qui l’accompagnent. Mais cette texture des poils et des plumes avec des aplats de couleur discrets, éloignée des prouesses réalistes de Pixar, ne sacrifie pas pour autant le naturel des animaux, bien au contraire ! Ce périple animalier charme notamment par le naturel déroutant des différents animaux.
Un grand soin a été apporté à la représentation de comportements de Flow et ses camarades. À l’opposé d’une représentation anthropomorphique à la Disney, Flow met en scène des animaux aux gestes et déplacements crédibles. Si certains actes comme orienter le gouvernail du bateau avec sa patte sont évidemment exagérés, Flow et les autres animaux sont criants de vérité dans leur comportement. Leurs sons sont d’ailleurs de véritables cris d’animaux pour rendre leur présence à l’écran encore plus réaliste.
Cette représentation fidèle des animaux à l’écran n’empêche pas d’y trouver un écho chez les humains absents de ce nouveau monde. Ainsi le lémurien collectionneur d’objets maladif nous renvoie à notre consumérisme compulsif comme signe d’appartenance sociale. Tout comme l’oiseau blessé qui cherche à tout prix à rejoindre les siens. Seul le capybara solitaire semble à la marge de ce besoin de faire société même s’il est amené à travailler avec les autres animaux pour leur survie commune.
Sans un bruit
Comme à son habitude, le cinéaste livre une nouvelle fois un film sans parole. Pour Flow cela semble logique car aucun humain n’est présent à l’écran. Seules subsistent des vestiges de leur existence passée, des immenses statues représentant aussi bien des hommes que des chats. Des figures géantes désormais à moitié immergées dont la curieuse présence ne sera jamais explicitée, tout comme l’usage des temples croisés sur la route par Flow et ses compagnons.
Cette volonté de ne pas livrer les clés de la soudaine montée des eaux ayant tout bouleversé renforce le mystère et l’onirisme du film. Au spectateur de capter les quelques indices pour imaginer l’origine de ce monde désormais réduit à quelques animaux déviants sur une barque. Seuls les effets sonores et la musique composée par le réalisateur lui-même accompagnent cette aventure captivante qui repose sur les sensations plus que la réflexion.
Entre aventure et contemplation, Flow réussit avec délicatesse le pari risqué d’un récit qui invite à s’immerger totalement dans la beauté des images à travers les déboires d’un chat affrontant un monde inondé. La majesté des décors et l’évocation d’une grande actualité d’une nature qui se rebelle devrait trouver écho dans les yeux et le cœur des spectateurs de tout âge.
> Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, réalisé par Gints Zilbalodis, Lettonie – France – Belgique, 2024 (1h25)