Boris (Aleksey Rozin) et Genia (Maryana Spivak) ne se supportent plus. Alors que la procédure de divorce est en cours, il passent leur temps à se disputer entre deux visites dans leur appartement en vue de le vendre. Chacun a déjà l’esprit occupé sur sa future nouvelle vie : Boris s’est installé en couple avec une jeune femme enceinte et Genia a trouvé refuge au fiasco de son mariage dans les bras d’un homme aisé qui est prêt à l’épouser. Au milieu de ce chaos, Aliocha, leur fils de 12 ans. Trop préoccupés par la haine qui a remplacé leur amour, aucun des deux parents n’a d’intérêt pour l’enfant, jusqu’à ce qu’il leur rappelle son existence en disparaissant du jour au lendemain.
L’enfant fantôme
Dans la lignée de Leviathan (2014) [lire notre chronique], Faute d’amour est un drame très sombre où la notion d’espoir semble un lointain souvenir de jours meilleurs, désormais inaccessibles. Le cinéaste offre une autopsie glaçante de ce couple en pleine décomposition qui a déjà fait le deuil de leur amour perdu. Une situation qui a des conséquences sur leur enfant, sans qu’aucun des deux ne voit venir le drame qui s’impose à eux subitement. D’une justesse chirurgicale, le regard porté sur ce couple par le réalisateur révèle l’impensable : un couple qui, à force de se détester et pris dans la promesse d’une nouvelle vie, en oublie d’aimer le fruit de leur amour passé.
Pour Boris et Genia l’affaire est entendue, il ne reste plus que l’appartement à revendre et, s’ils le pouvaient, cet enfant devenu encombrant que personne ne veut récupérer ils le laisseraient bien avec les meubles. Déjà en grande partie oublié par ses parents, l’enfant s’échappe pour fuir ce foyer où il ne reste plus que haine et ressentiments. Aliocha quitte l’appartement et disparaît en même temps du film. Les recherches pour retrouver l’enfant débutent et Boris et Genia doivent enfin communiquer mais le constat de ce drame semble définitif : l’amour est mort, c’est désormais trop tard.
Aliocha est le fantôme qui vient hanter ce drame familial : tout le film tourne autour de cet enfant qui n’existe peut-être déjà plus, à l’image d’un amour dont on a du mal à imaginer qu’il a pu un jour être palpable avant de se transformer en haine. Tous cherchent ce survivant, l’unique preuve d’un amour disparu dont l’image spectrale se retrouve sur des avis de recherche désespérés. L’enfant évaporé, ce sont les parents qui sont scrutés avec leurs failles cruellement révélées au grand jour : un père totalement absent alors que la mère ne se rend compte de la disparition de son fils que deux jours plus tard. Défaillants, les services de police sont rapidement remplacés par une association qui propose son aide pour retrouver l’enfant, symbole d’un pays aussi dépassé que ces parents atrocement punis pour leur égoïsme.
Naître ou ne pas naître…
Au delà de la disparition du jeune garçon, Andreï Zvyagintsev explore ce manque d’amour qui a fini par aboutir à un désintérêt total pour cet enfant qui devient malgré lui le symbole de l’échec de la relation. Aussi terrifiant que soit la situation, Faute d’amour est d’autant plus troublant qu’aucun des deux parents n’est considéré par un monstre malgré la froide analyse de leur comportement par le cinéaste. Le désintérêt de Genia pour son enfant entre en résonance avec la façon dont sa propre mère qui l’a eu trop jeune a reporté sur sa progéniture son accouchement difficile. Dans ces conditions la mère n’est pas pour autant excusée de son comportement mais il est difficile de la haïr totalement d’autant plus que la question posée en fond dans le film nous concerne tous, (futurs) bons ou mauvais parents potentiels.
Le cinéaste russe interroge la notion de « faire un enfant », l’engagement que cela implique et renvoie à l’idée que l’on fait avant tout un enfant pour soi et non dans son intérêt, puisqu’il n’a selon toute logique rien demandé. Si Aliocha est le fruit d’un couple, quel statut a-t-il lorsque l’arbre dont il provient est abattu par la tempête ? Si Andreï Zvyagintsev pose la question il ne s’attache pas pour autant au sort de l’enfant. Contrairement à un thriller classique il importe peu dans ce drame, l’essentiel est son absence insoutenable qui révèle l’égoïsme aveugle de deux individus qui ont cessé d’être des parents en même temps qu’un couple.
Thriller sans autre crime qu’un désintérêt progressif, Faute d’amour est une œuvre bouleversante qui dissèque avec une précision terrifiante le cadavre d’un amour qui entraîne dans sa chute la preuve qu’il a un jour existé. Un film âpre et dérangeant, tout simplement sublime.
> Faute d’amour (Nelyubov), réalisé par Andreï Zvyagintsev, Russie – France, 2017 (2h07)