« En chemin, elle rencontre… »

« En chemin, elle rencontre… »

« En chemin, elle rencontre… »

« En chemin, elle rencontre… »

1 avril 2011

La maison d'édition indépendante Des ronds dans l'O vient de sortir le deuxième volume d'une bande dessinée consacrée au respect des droits des femmes. Autour de Marie Moinard, un collectif d'artistes s'est mobilisé pour mettre en images la violence ordinaire dont sont victimes les mères, les adolescentes, les petites filles. Rencontre avec une éditrice engagée.

« En chemin elle rencontre, quatre jeunes et beaux garçons. Le premier, un peu timide, la rirette, la rirette, le premier, un peu timide, lui caressa le menton (…). » Ce sont les paroles d’une chanson paillarde qui raconte l’histoire de ce qui ressemble à un viol collectif. Un refrain pourtant chanté par les jeunes à l’école et dans les colonies de vacances. Marie Moinard, éditrice et auteure, a décidé d’en faire le titre de deux albums de bande dessinée qui dénoncent les violences faites aux femmes. En France et dans le monde. A l’école comme à la maison. A travers des récits courts et réalistes, vingt-quatre auteurs s’engagent contre les souffrances et les droits bafoués des femmes. Entretien avec l’initiatrice de ce projet.

Pourquoi avoir choisi de traiter un sujet aussi grave sous la forme d’une bande dessinée ?

La bande dessinée est un médium extraordinaire qui permet de tout faire et de tout dire. On peut parler de tous les sujets, y compris ceux qu’on considère comme tabou. Moi, par principe, je n’ai pas de tabou mais je comprends que certains en aient. Il y a des choses qu’on ne peut pas dire clairement, en face-à-face, à l’école, à la télévision. Ça choque. Dans ce cas, on part dans des débats, des polémiques qui n’ont plus de sens et qui noient le sujet.
Alors qu’en BD, on peut tout faire passer par une image. Parfois, il n’y a même pas besoin de texte. Une image peut tout dire. Chacun va l’interpréter selon sa sensibilité.

Est-ce aussi une manière de rendre plus accessible ce thème et de viser les jeunes, en particulier ?

Oui, évidemment. Nous avons veillé à ce que ce soit des récits courts, et non des histoires de 60 pages. Même ceux qui sont fermés à toutes lectures, y compris à la BD, peuvent être attirés par cet ouvrage. Certains récits ne font que quatre planches, donc ça se lit facilement. Et il y a très peu de texte. Beaucoup de choses passent par l’image. La BD ne demande aucun effort.

Qu’avez-vous voulu montrer à travers cet album ? La banalisation des situations violentes, lancer un appel à la vigilance ?

Je voulais montrer que ces violences sont universelles. Dans la BD, on parle de toutes les femmes, dans tous les pays, et de tous les âges. Mais aussi de toutes les violences qui sont faites aux femmes. Parce qu’on pourrait imaginer qu’il n’y a que le viol et la violence conjugale. Mais il y en a d’autres. Dans cet album, on n’a rien voulu laisser de côté. C’est un travail de fond. Pour alerter, pour donner des informations, pour faire prendre conscience du monde dans lequel on vit. Ce sont des témoignages, et non des histoires inventées. Il est important de dire que ces problèmes de violences nous concernent tous. Que c’est nous, c’est tout le monde.

Vous dénoncez, mais vous proposez aussi des solutions avec des listes de contacts pour guider les victimes. Il y a un côté pratique.

On montre et raconte des choses dramatiques, c’est certain. Et puis on apporte également des réponses pour pouvoir s’en sortir, quelle que soit la situation. Il y a forcément quelqu’un qui peut aider. Il ne faut pas que la femme, victime reste seule. De nombreuses femmes meurent, se suicident, se font tuer. Il faut essayer de se sauver à temps… parce qu’il y a des solutions.
La solitude guette les femmes parce qu’elles ont honte des violences qu’elles subissent. Elles n’expriment pas leurs souffrances, comme si c’était honteux. Mais on ne peut pas avoir honte de ce qu’on subit. Pour moi, c’est incohérent et inadmissible.

A qui s’adresse l’ouvrage ? à une génération en particulier ?

Absolument tout le monde. Si je dis de 7 à 77 ans, c’est une réponse bateau mais c’est un peu vrai. Disons, à partir de 12 ans, pour de jeunes adolescents, car avant, c’est un peu compliqué. Je souhaite qu’ils prennent conscience du problème et qu’ils ne reproduisent plus cette violence devenue banale. On peut espérer qu’au final, le problème n’existera plus. Même si c’est une belle idée utopiste.

Vous visez les hommes en particulier ?

Pas uniquement. Tout le monde, y compris les plus anciens et évidemment les hommes qui sont de gros lecteurs de bande dessinée. Beaucoup ne se rendent pas compte de cette violence au quotidien. Elle est intégrée, banalisée. Mais une fois qu’on évoque ces violences avec ceux qui s’en rendent coupables, ils en prennent conscience et font attention. Ils changent d’attitude. Cela montre bien qu’il est utile de le répéter.
Il s’adresse aussi aux femmes, d’abord pour qu’elles comprennent qu’elles ne sont pas isolées face à de tels agissements, ni responsables de ce qui leur arrive et enfin pour leur montrer qu’il y a des solutions pour s’en sortir. Qu’il ne faut pas avoir honte.

Ce projet a-t-il été difficile à monter vu la gravité du sujet ?

Non, d’abord parce que je suis dans la BD depuis un moment. Et ensuite parce que je rumine le sujet depuis longtemps. Je ne savais pas forcément comment le traiter. Mais ça c’est fait tout seul, finalement. Quand on est dans le milieu, les auteurs, on les connaît. Ceux à qui je me suis adressée avaient déjà, à travers leurs œuvres, des engagements. Pas forcément sur le thème des femmes, mais disons un engagement humaniste. Ils ont été enthousiastes immédiatement. C’est aussi pour cela que les récits sont d’une grande force, parce que les auteurs ont donné beaucoup d’eux pour ce projet.

La chanteuse Agnès Bihl a également pris part au projet…

Agnès Bihl, c’est une personne engagée, quelqu’un d’extraordinaire. Son soutien est très important pour le livre. Elle connaissait le tome 1 et m’a dit elle avait été attirée par le titre de l’album, En chemin, elle rencontre. Elle nous a apporté et offert Viol au vent, une chanson que les lecteurs de l’album peuvent télécharger gratuitement sur internet. Elle a également permis que l’on utilise un de ces textes sur l’inceste, pour l’illustrer. Touche pas à mon corps est un récit très touchant. Agnès Bihl n’est pas dans l’aventure par hasard. Avec elle, nous allons dans la même direction, nous défendons les mêmes valeurs. C’est une action qui a du sens.

« Cette emprise sur la femme crée des dégâts, ravage toute sa vie »

Il y a aussi le témoignage de la scénariste belge, Tsutsail, qui raconte les violences psychologiques qu’elle a subies.

Les Chemins de l’emprise, c’est son histoire. C’est réel. Tsutsail a été touchée par le premier volume. Elle est arrivée dans le projet alors que le livre touchait à sa fin. Son récit est très important. Il montre le changement de regard et l’emprise du compagnon sur la jeune femme, à partir de sa grossesse. C’est très fréquent comme réaction. Mais attention, tous les hommes ne sont pas visés. Uniquement les pervers narcissiques, les violents. Cette emprise, cette dépendance créent des dégâts car cela ravage la vie de la femme. Aujourd’hui encore, Tsutsail en souffre, même si elle est très heureuse avec un autre homme.

Dans le premier tome, vous abordiez déjà les violences faites aux femmes. Pourquoi un deuxième tome ?

Tout simplement parce qu’on n’a pas terminé d’évoquer ces sujets. Dans le premier volume, on parlait d’excision, de lapidation, du viol, du mariage forcé. On pouvait aussi découvrir des dessins humoristiques sur des scènes de la vie quotidienne, réalisés par de grands auteurs de BD franco-belge. Dans le tome 2, on aborde les droits des femmes. Des droits bafoués. On a profité de grands noms, Jacques Ferrandez pour parler du massacre de femmes à Hassi Messaoud, en Algérie, où des femmes sont lynchées et enterrées vivantes. Au nom de la religion, de la culture, de la tradition.

L’ouvrage évoque également les relations garçons-filles à l’école, avec une histoire de viol. Et un isolement progressif de Noémie, la victime.

Florence Cestac qui a écrit La grise vie de Noémie n’a pas raconté cette histoire par hasard. C’est une historie vraie. Noémie se laisse débordée, elle n’est pas soutenue par son père, lorsqu’elle lui demande de l’aide à l’adolescence. Les années passent. Elle ne dit plus rien, se laisse aller et puis, elle rate tout. Elle n’a pas de diplôme, ne fait pas le métier qu’elle veut. Elle était jolie, elle devient moche pour qu’on ne l’embête plus. Elle était maigre, elle devient grosse. C’est une vie sacrifiée. Cette femme sort du circuit social pour ne plus être une proie. Elle se fait oublier, elle disparaît. C’est horrible.

Les couvertures de ces deux albums sont différentes mais à la fois complémentaires…

Pour le premier tome, Emmanuel Lepage, auteur engagé, a répondu favorablement à ma demande. Il avait une liberté totale. Sa couverture représente une femme qui dégage beaucoup de dignité. Il n’y a ni larme, ni visage crispé. Mais en même temps, on perçoit une énorme tristesse, une douleur que cette femme garde pour elle.
Au contraire, pour le tome 2, je voulais qu’on puisse comprendre la colère de ces femmes, mais éviter l’agressivité et la violence. Il n’y a pas de violence dans le livre. Le propos est dur, mais nous n’exprimons pas de violence en tant qu’auteur. Nous montrons cette violence. Etienne Davodeau l’a très bien compris, sa couverture a beaucoup de force.

Vous consacrez une large place à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Avec un extrait du discours de Simone Veil et un récit troublant qui raconte l’histoire de Clara, une jeune femme dont la vie est bouleversée lorsqu’elle décide d’avorter.

C’est un sujet qui me tient à cœur. L’IVG est remis en cause aujourd’hui : non pas par la loi, qui existe bien et qui ne va pas disparaître. Mais il est tellement difficile d’appliquer cette loi, difficile d’avoir accès à ce droit aujourd’hui, qu’il faut en parler.
Le récit est poignant. On aurait pu aller encore plus loin dans l’ouvrage. Mais on n’a pas poussé parce que c’est vraiment délicat. L’actualité se charge d’en parler. Des centres qui ferment, des délais qui se rallongent, des médecins qui invoquent la clause de conscience pour dire "je ne suis pas obligé de le faire". Et tous ces mouvements pro-vie qui font passer celles qui veulent recourir à l’IVG pour des criminelles. Ces jeunes filles de 15-16 ans sont dans une situation où elles ne comprennent plus rien, elles sont terrifiées !

L’album insiste sur le fait que les violences psychologiques sont tout aussi perturbantes pour la victime que les violences physiques…

La violence morale est un gros problème. La BD aborde en profondeur les troubles post-traumatiques. Il était très important pour moi qu’on puisse, à un moment donné, apporter une réponse à ceux qui disent : "Ah oui, elle est encore en couple, alors qu’elle se fait taper. Ca ne doit pas être très grave." Là, je dis stop. Ce n’est pas du tout la vérité. La vérité, c’est que celles qui subissent des violences dans leur couple sont tétanisées.
Nous avons fait appel à Muriel Salmona, psychiatre et victimologue, pour expliquer ce phénomène. Par le biais d’un IRM (Imagerie par résonance magnétique), elle démontre que l’on voit très bien l’action d’un choc sur le cerveau des victimes, et la tétanie que cela provoque. Tout est bloqué. Et on comprend, grâce au récit illustré de l’album pourquoi une femme reste avec son conjoint. Ça, les gens ne le comprennent pas. Nous voulions expliquer l’attitude de ces femmes. Du coup, cela les déculpabilise, elles admettent qu’elles ne sont pas responsables.


Etait-il important d’avoir l’éclairage d’une professionnelle ?

C’est un livre qui n’a pas été fait à la légère. C’est une bande dessinée, d’accord. Mais rien n’est inventé. Tout a été validé. On a travaillé avec l’ANCIC (Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception) ou le Planning familial, par exemple. Amnesty International, notre partenaire, n’aurait pas validé les récits et les témoignages si des propos étaient fantaisistes.
Il était important qu’il y ait des professionnels pour nous appuyer. Parce qu’il n’existe rien, à ma connaissance, sur le sujet, sous cette forme : un ouvrage global qui permet aux femmes de dire "ce qui m’arrive, ce n’est pas normal".

Vingt-quatre auteurs ont pris part à la réalisation de cet album. Douze femmes, douze hommes. Cette parité était-elle recherchée ?

Non, la parité s’est faite par hasard. C’était spontané, j’ai trouvé ça génial. Cela permet de dire à tout le monde que les hommes n’ont pas peur d’aborder ces sujets, de signer des dessins qui parlent de l’humanisme et du féminisme. Même quand les hommes sont visés et accusés. Cela ne les "dévirilise" pas. J’aime beaucoup leur attitude. Surtout dans le monde de la bande dessinée qui met en avant des héroïnes souvent traitées comme des objets, très plantureuses, et qui sont là pour faire fantasmer !

 

En chemin elle rencontre… Les artistes se mobilisent pour le respect des droits des femmes. Volume 2. Collectif d’auteurs. Des ronds dans l’O éditions. Février 2011.

 

> Mise à jour du 2/04 : Tsutsail, la scénariste belge, a subi des violences psychologiques, et non physiques, comme indiqué initialement dans l’interview.

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