« El buen patrón », management caustique

« El buen patrón », management caustique

« El buen patrón », management caustique

« El buen patrón », management caustique

Au cinéma le 22 juin 2022

PDG d'une fabrique de balances, Juan Blanco doit faire face à de multiples contrariétés qui pourraient compromettre la remise d'un prix devant honorer sa société. Avec son regard tragi-comique sur le petit monde du travail, El buen patrón bénéficie d'une prestation impeccable de Javier Bardem en patron dépassé par ses propres compromissions. Du beau travail qui égratigne au passage l'hypocrisie d'une culture d'entreprise qui n'a de familiale que le nom.

Patron se voulant proche de ses employés, Juan Blanco (Javier Bardem) est l’héritier d’une ancestrale entreprise familiale fabriquant des balances. À la veille de recevoir un prix d’excellence censé honorer son entreprise, les nuages s’accumulent au-dessus de sa tête.

Aux abords de l’usine, c’est le désordre. Jose (Óscar de la Fuente), un employé récemment licencié, a décidé de protester bruyamment en campant sur le terrain vague en face de l’usine. À l’intérieur, l’ambiance n’est pas plus détendue. Mirailles (Manolo Solo), contremaître et fidèle soutien de Blanco, est obnubilé par le fait que sa femme le trompe et met en danger la production.

Cerise sur le chaos, Juan est perturbé par la troublante Liliana (Almudena Amor), une nouvelle jeune stagiaire irrésistible qui lui réserve une bien mauvaise surprise. Pour tenter de sauver la boîte, Blanco applique la seule méthode qu’il connaît : paternaliste et autoritaire. Mais ces déboires vont tout déséquilibrer et confronter le manager à son cynisme.

El buen patrón © Reposado Producciones - The Mediapro Studio - Paname Distribution

Des équilibres

Esfuerzo, equilibrio, fidelidad… Effort, équilibre, fidélité. Ce slogan en lettres rouges qui orne fièrement le mur de l’entreprise Blanco, El buen patrón va prendre un malin plaisir à en explorer les limites et à déconstruire son aspect fédérateur. Mais le réalisateur Fernando León de Aranoa sait faire glisser lentement les choses et a priori tout débute sous de bons auspices.

Charismatique, Blanco se targue de bien faire les choses au sein de son entreprise. Il se plaît à qualifier son management de familial, au plus près de ses employés. Quoi de plus normal après tout pour une entreprise fabricant des balances, symbole universel de la justice.

El buen patrón © Reposado Producciones - The Mediapro Studio - Paname Distribution

De prime abord, Blanco apparaît donc a priori comme le « bon patron » loué par le titre du film, sans aucune ironie. Et tout est fait pour permettre de s’identifier à ce patron au sourire enjôleur rapidement assailli de problèmes à gérer. Mais l’équilibre nécessaire aux fameuses balances ne va pas tarder à s’avérer très précaire.

Retrouvailles

Multi récompensé à la cérémonie des Goyas, El buen patrón est reparti avec 6 statuettes dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur scénario original et du meilleur acteur pour Javier Bardem.

Le comédien retrouve d’ailleurs un cinéaste qu’il connaît désormais bien après avoir tourné sous sa direction dans Les lundis au soleil (2001) et Escobar (2017), biopic assez décevant du célèbre narcotrafiquant.

El buen patrón © Reposado Producciones - The Mediapro Studio - Paname Distribution

Le charme de l’acteur, vieilli pour incarner un patron d’expérience, fonctionne à merveille et permet, pour un temps, de compatir à ses déboires. Avant de comprendre que derrière cette autorité naturelle, le PDG ne récolte que ce qu’il a semé.

Papatron

Figure paternaliste au sein de l’entreprise, Blanco joue à fond le statut de protecteur vis-à-vis de ses employés. Mais lorsqu’un ex-employé décide de protester contre son licenciement en face de l’usine et que l’image de marque de l’entreprise s’en trouve ternie, le vernis commence à craqueler.

Devant cette révolte imprévue, le patron ne cache pas son agacement et commence à manigancer pour faire taire le nouveau chômeur récalcitrant. Si diriger est une question d’équilibre, Blanco penche du côté du père fouettard. Le boss n’a aucun problème à s’immiscer dans la vie personnelle des employés pour améliorer la productivité de l’entreprise.

El buen patrón © Reposado Producciones - The Mediapro Studio - Paname Distribution

Habilement, Fernando León de Aranoa nous plonge dans le costume de ce patron très intrusif et si la compassion est de mise elle fait progressivement place à l’interrogation devant des méthodes pour le moins discutables. Alors qu’il franchit une à une les limites éthiques, le point de non retour se rapproche dangereusement.

Family business

Pour Fernando León de Aranoa, son film n’est pas militant. Ne lui parlez surtout pas de « cinéma politique », ce n’est pas son univers. En évitant tout manichéisme, El buen patrón flotte dans une zone grise, tirant vers un humour noir assez désespéré.

Entre comédie et tragédie, les mésaventures du bon patron viennent titiller un sujet politique mais que le cinéaste préfère explorer au niveau des relations humaines.

El buen patrón © Reposado Producciones - The Mediapro Studio - Paname Distribution

El buen patrón ne propose pas de grand discours sur des salariés opprimés par le système capitaliste. Le film préfère porter un regard acerbe sur les faux semblants hypocrites d’une « petite » entreprise d’une centaine de travailleurs où se mêlent relations personnelles et professionnelles.

Alors que la situation de Jose incarne une précarité dictée par la logique du profit, c’est un storytelling bien particulier qui est démonté avec délectation.

Balance ta boîte

Le concept de l’entreprise familiale qui se vante d’une gestion humaine avec tous ses employés prôné par Blanco finit en effet par voler en éclats avec pertes et fracas. Après Blanco, la communication officielle de l’entreprise est une victime collatérale de ce jeu de massacre.

El buen patrón © Reposado Producciones - The Mediapro Studio - Paname Distribution

Comme l’insupportable tendance au greenwashing ou pinkwashing des entreprises qui portent en étendard des valeurs de façons opportunistes, Blanco en fait trop en s’immisçant dans la vie de ses salariés. Et le retour de bâton est sévère pour celui qui pense pouvoir manipuler le monde à sa guise.

Le patron apprend à ses dépends que la solidarité déclamée a ses limites au sein d’une structure qui reste soumise à la logique du profit capitaliste. Une manière de remettre à leur place des entreprises adoptant des discours d’associations caritatives.

De la même manière, Blanco va amèrement regretter sa manie de chercher la compagnie de la plus désirable des jeunes stagiaires qui cette fois-ci contre-attaque de façon imprévue.

El buen patrón © Reposado Producciones - The Mediapro Studio - Paname Distribution

Comédie poussant jusqu’au tragique l’hypocrisie d’un patron trop paternaliste pour être honnête, El buen patrón est un séduisant jeu de massacre qui met un positionnement entrepreneurial « humain » face à ses contradictions. Confronté à son cynisme, le bon patron ne sortira pas indemne du grand déballage venant dérégler, pour notre plus grand plaisir, une mécanique bien huilée.

> El buen patrón, réalisé par Fernando León de Aranoa, Espagne, 2021 (2h)

El buen patrón

Date de sortie
22 juin 2022
Durée
2h
Réalisé par
Fernando León de Aranoa
Avec
Javier Bardem, Manolo Solo, Almudena Amor, Óscar de la Fuente
Pays
Espagne