DJ Bambi : Auður Ava Ólafsdóttir et l’art des petites choses

DJ Bambi : Auður Ava Ólafsdóttir et l’art des petites choses

DJ Bambi : Auður Ava Ólafsdóttir et l’art des petites choses

DJ Bambi : Auður Ava Ólafsdóttir et l’art des petites choses
Rentrée littéraire 2025

12 août 2025

On attendait avec impatience la traduction du dernier roman d’Auður Ava Ólafsdóttir. Avec DJ Bambi, l’écrivaine islandaise confirme son talent pour capter les révolutions les plus profondes dans l’épaisseur du quotidien. Entre mer et silence, Logn, femme trans de 61 ans, avance à pas mesurés, fidèle à l’art de Ólafsdóttir : faire des petites choses de la vie des événements essentiels.

Logn, l’immobilité au bord du monde

« Je m’appelle Logn
parce que le monde va bien
quand l’air est parfaitement immobile. »

Née V. dans un corps d’homme, Logn songe souvent à mourir. Souvent, elle part en promenade sur la côte, à la recherche d’un « endroit approprié pour la noyade ». Dans sa famille, mourir en mer est presque un héritage : son père y a succombé, son grand-père aussi — tous des V., tous alcooliques. Mais Logn, elle, diffère. Avant d’entrer dans l’eau, elle plie soigneusement son manteau préféré sur un rocher (« le sel abîme le daim »). Ce qui la retiendra, plus encore que l’attachement à ce vêtement, c’est l’idée d’être enterrée dans le corps assigné à sa naissance, celui d’un homme.

Les goélands jouent aussi leur rôle. Omniprésents, ils encombrent la côte comme la cour de son immeuble, où les copropriétaires tentent, à coups de conseils syndicaux, d’en limiter la prolifération. Et puis, il y a l’attente : celle de l’opération de réassignation sexuelle. Six années déjà qu’elle patiente, entre résignation et obstination. Logn, provisoirement Logn, rêve de prendre le prénom de Guðríður, celui de sa grand-mère adorée, mais ses sœurs aînées le lui refusent et ne lui adressent plus la parole. Non, les relations familiales de Logn ne sont décidément pas au beau fixe depuis l’annonce de sa transition de genre, son fils l’évite et ex-femme ne lui adresse plus la parole depuis la « trahison ».

Un jour, peut-être, l’hôpital l’appellera. Un jour, peut-être, son fils acceptera de lui confier sa petite-fille. Mais il lui faudra, d’abord, faire le deuil d’un père. « Le plus simple serait évidemment que je n’existe pas », constate Logn. Reste le soutien indéfectible de Trausti, son taiseux de jumeau : « Chaque midi, lorsqu’il vient me voir, il se tait de manière différente. »

« DJ Bambi » : la révolution silencieuse 

Figure discrète, aux mots comptés, Logn laisse le non-dit parler pour elle. Presque monochrome, tout en retenue, sa voix est faire de silences intérieurs, de pensées isolées, de scènes éclatées. Fidèle à l’élégance et à la sobriété d’Auður Ava Ólafsdóttir, DJ Bambi refuse toute surenchère dramatique. C’est dans une palette minimaliste mais précise que le récit trouve son intensité. L’écriture, calme et mesurée, loge des drames profonds sous une surface paisible et privilégie l’introspection patiente à l’aveu spectaculaire. Pas de pathos, même pour ce sujet sensible : la transition tardive (Bambi a 61 ans), l’acceptation de soi s’inscrivent dans le rythme feutré des jours, dans la lenteur d’un quotidien tissé de petites choses. Une promenade, un appel manqué, l’odeur du sel : autant de micro-événements où la transformation intérieure prend corps. L’émotion naît dans les interstices — autant du dit que du non-dit — comme dans la relation avec Trausti, frère jumeau et miroir taiseux. Logn, ancienne DJ (Bambi) devenue scientifique spécialiste des cellules, condense dans son parcours cette attention à l’infime : des unités minuscules où se joue pourtant l’essentiel.

Ólafsdóttir excelle à transformer le banal en poétique. Elle le confie elle-même : « C’est ma méthode en écriture : utiliser les petites choses du quotidien pour les faire signifier des choses plus grandes. » Après Rosa Candida, Miss Islande ou L’Exception, DJ Bambi poursuit cette œuvre délicate où la nature, la famille et la mémoire composent les paysages intérieurs de personnages en quête d’eux-mêmes. Bambi — faon fragile, icône enfantine  —  n’a jamais vraiment fini d’apprendre, pas plus que chacun d’entre nous, à tenir debout.

Couverture du livre DJ Bambi de Auður Ava Ólafsdóttir

DJ Bambi de Auður Ava Ólafsdóttir

208 pages
Date de publication
4 septembre 2025
Éditeur
Editions Zulma
Page du livre sur le site de l’éditeur